C'est un travail de longue haleine, un processus «long et compliqué» que constituera la potentielle récupération des fonds publics transférés illicitement vers l'étranger, estime Lachemi Siagh, le spécialiste en stratégie et financements internationaux, qui avertit également qu'il ne faudra pas s'attendre à une coopération internationale garantie pour ce faire. En fait, dans son entretien accordé à l'agence officielle, Lachemi Siagh a abordé plusieurs sujets de l'actualité, plutôt tourmentée, liée à l'économie du pays. A commencer par plaider pour la création de ce qu'il appelle «une caisse de dépôt et d'investissement». Une création qui devrait «constituer un élément central des réformes structurelles à entreprendre en Algérie», selon le spécialiste en stratégie et en financements internationaux qui voit en cette caisse comme un «instrument idoine pour le développement d'un marché financier, en jouant le rôle de teneur de marché. Elle aura vocation à prendre des participations dans les entreprises rentables». Dans son plaidoyer pour l'institution de la caisse de dépôt et d'investissement, Lachemi Siagh énumère, en guise d'arguments, d'abord, la gestion des excédents de liquidités des organismes publics et parapublics n'ayant pas la capacité de gestion d'actifs et de planification financière à l'instar de la CNR, la Cnac et la Cnas. Puis, préconise que la caisse puisse, «à côté des banques», prendre part au financement de grands projets «lorsque les banques font face à un problème de ratio de division des risques». Puis d'avancer, toujours en guise d'arguments, le cas, «tout chaud», des entreprises dont les propriétaires sont emprisonnés ou poursuivis en justice, situation qui pourrait permettre à la caisse de gérer les actifs qui ont été acquis illicitement ou sur la base de prêts considérés actuellement non performants et irrécupérables. Quant à la question du recouvrement de l'argent transféré illicitement vers l'étranger et la possibilité de le récupérer, question que beaucoup considèrent cruciale en raison de la situation financière du pays, Lachemi Siagh joint sa voix à celles qui se sont déjà longuement exprimées sur le sujet en soutenant cette possibilité, mais en mettant un bémol en confiant que cela pourrait s'avérer un processus aussi «long» que «compliqué», et requerrait l'implication de spécialistes de divers horizons qui devraient commencer par retracer et procéder à l'inventaire des transactions qui ont servi de base à la surfacturation, au blanchiment et à l'évasion fiscale. «Les renseignements sur les entreprises exigent un savoir-faire et nécessitent des comptables légistes capables de retracer les flux monétaires dès leur origine et les localiser. Cela nécessite aussi des spécialistes en montage de sociétés écrans, de fondations et autres trusts ainsi que d'avocats spécialisés et une action diplomatique musclée», a expliqué l'expert avant d'avertir qu'il faudra se préparer à fournir des preuves aux pays d'accueil des fonds algériens transférés illégalement qu'il s'agit bien «d'argent sale», et souvent, il s'est avéré que la coopération de la part des institutions financières, voire des Etats, n'est pas aussi facile à avoir, surtout lorsqu'il s'agit de gros montants. Sur plusieurs autres sujets, Lachemi Siagh a fait état d'un avis bien tranché. C'en est ainsi lorsqu'il s'est agi du recours au financement non conventionnel. «Un mauvais choix» auquel on aurait pu substituer le recours aux agences multilatérales de développement, comme la Banque africaine de développement (BAD), dont l'Algérie est membre, et qui peuvent accorder des financements en concessions pour financer des projets d'infrastructures, par exemple. Ou encore les financements BOT qui, en gros, consistent à faire financer les projets d'investissement – notamment en matière d'infrastructures reconnues d'utilité publique – par des sociétés promotrices qui en sont adjudicataires, à charge pour elles de récupérer leur investissement en gérant le projet pendant un certain nombre d'années. Parmi toutes les urgences de l'heure ; l'amélioration de la balance des comptes extérieurs à court terme, M. Siagh propose de mettre en place une politique de change avec un dinar moins fort, «afin de décourager les importations, les surfacturations et encourager les exportations». D'un autre côté, l'expert milite pour «une stérilisation des recettes des hydrocarbures», c'est-à-dire les garder en dollars, pour limiter les effets inflationnistes. Quant aux récurrentes tensions budgétaires, la solution réside en partie dans la réduction «considérable» du train de vie de l'Etat, recommandant également à ce que «tout le monde fasse des sacrifices, sauf les plus démunis», préconisant, entre autres, la révision de la rémunération et les salaires de certains corps comme les députés et les sénateurs, la rationalisation de la distribution des bons d'essence et la réduction des parcs automobiles et des services de sécurité qui y sont attachés. De la réforme socio-politiquement sensible des subventions, Lachemi Siagh pense qu'elle doit être précédée par une rationalisation de la consommation d'énergie avant d'aller à une révision «rapide» des prix domestiques de l'énergie. «La mère des réformes sera celle de s'attaquer aux diverses subventions notamment énergétiques, de soutien aux produits de large consommation qui plombent le Trésor public», a-t-il confié à l'APS tout en recommandant, d'abord, de procéder au recensement de toutes les subventions, directes et indirectes et sous toutes leurs formes. Là, il ne manquera pas de souligner la difficulté d'identifier les vrais nécessiteux et l'impératif d'une refonte du système d'information fiscal. «La priorité aujourd'hui est de casser l'esprit d'assistanat qui prédomine en Algérie et mettre rapidement tout le monde au travail en distribuant des salaires décents aux gens pour avoir moins recours aux subventions», conclut l'expert en stratégie et financements qui, ainsi, a livré une somme de pistes aux gestionnaires de l'économie nationale qui, il faut le dire, ne brillent pas par leur ingéniosité, ne serait-ce que pour procéder à la gestion des affaires courantes. Azedine Maktour