Il est question encore du panel. J'insiste sur cette « chose » de dialogue et de concertation. J'insiste, parce que je ne comprends pas leurs desseins. Dialoguer et réconcilier ? Oui, mais qui ? Comment ? Puis, comment s'est formé ce panel ? Un panel ex nihilo, je n'y crois pas. Il doit bien y avoir une force derrière, non ? Ceci dit, je ne crois pas que ce panel est venu « comme ça », d'une manière désintéressée. L'amour du bled, penses-tu ? C'est mon droit, je n'y crois pas. Depuis 62, il n'y a plus d'amour du pays. C'est à qui amassera la fortune ; puis, basta ! Alors, le bled, tu penses. De plus, j'ai cru comprendre que ce panel œuvre pour une élection présidentielle rapide. Bon, allons-y alors. Pourquoi toutes ces simagrées ? Toute cette comédie démocratique ? Pourquoi tout ce tapage ? La télé, et tout le toutim ? Remplissons les urnes, vite. Qu'on connaisse enfin « notre » Président. Sauf que j'ai cru comprendre que ce Président ne sera élu que pour gérer une transition. Chut, il ne faut pas parler de transition. C'est un mot évacué, manu militari, du vocabulaire du bled. Soyons sérieux, un instant. Un président pour gérer une transition ! Il y a de la cervelle dans ce panel. Oui, pourquoi pas ? Quoique je me dise qu'il faut juste le désigner. Par qui ? Par le Hirak, pardi. Les cerveaux du panel ont fait une autre trouvaille. Pour que le « président de la transition » ne s'incruste pas à El-Mouradia, les candidats éventuels (il faut les trouver ces saisonniers des urnes) doivent signer une charte, une sorte de déclaration sur l'honneur qu'ils ne vont pas mettre de la glu sur le fauteuil présidentiel. De l'éthique, disent-ils, ces cerveaux du panel ! De l'éthique ? Je me marre. De l'éthique, allons donc. Wallah, je suis tenté par le nihilisme. Je ne crois plus en rien. Jusqu'au rêve qu'on m'interdit de faire ! Alors, Karim Younès, cher ami, essayez de me convaincre ! Il est question de redressement au FLN. Redresser le FLN ? Qu'est-ce qu'il y a à redresser au FLN ? Un redressement au FLN me rappelle le coup d'Etat scientifique, les chaînes et les cadenas, les dobermans et le… 19 juin 65. Il s'agissait, nous disaient-ils, de redressement révolutionnaire. Mieux encore, de sursaut révolutionnaire. Le sursaut nous a menés très loin. Jusqu'au… FLN d'aujourd'hui. On s'ennuie tellement dans ce parti que, du jour au lendemain, un groupe de redresseurs se met en place. Et tente de dégommer le patron, celui qui a été adoubé par ceux-là mêmes qui veulent le mettre en retrait. Ça s'ennuie grave au FLN ! Le patron du FLN dit ceci : « Nous connaissons toutes les difficultés des Algériens, et le FLN a toujours été à l'écoute du peuple » (in Le Soir d'Algérie du 18 août). Ça rigole grave également au FLN ! Ce dernier a tellement été à l'écoute de « son » peuple que celui-ci vit, aujourd'hui, un bonheur sans pareil. Au point où certains pays, comme la Suède ou la Finlande, copient l'écoute populaire du FLN ! Au moment où nos robinets rotent la soif et que nos ampoules disjonctent à tout bout de champ, le FLN (lui !) est toujours à l'écoute. Ecoutez, écoutez, il en restera toujours quelque chose ! Au point où le peuple « vendredise » sa colère. Son ras-le-bol. Sa frustration. Et ses espoirs. Soyons sérieux un moment ! Et si tout simplement on convoque, pour une fois, l'Histoire vraie ? Et que l'Histoire décide de mettre le FLN au musée, loin de tous les redressements. Et autres chaînes et cadenas. Il est question de l'anglais. J'ai cru comprendre que d'autres cerveaux, ceux-ci sont au gouvernement, veulent introduire l'anglais au primaire. C'est génialissime ! De l'anglais au primaire ! L'Algérie a des « analphabètes trilingues », cette combinaison n'est pas de moi. Elle relève du génie populaire. Bien, nous irons plus loin. D'ici quelques années, avec l'anglais en renfort, l'Algérie aura des « analphabètes quadrilingues ». C'est parfait ! Allons-y ! Mettons l'anglais au primaire. Oui, dès la première année ! Il faut oser. Il n'y a pas à hésiter. Dès la première année, allons-y pour la langue des Beatles. Je me rappelle de mon prof d'anglais, en quatrième du lycée, dans une autre vie, juste avant le redressement révolutionnaire : « Hez your finger ya akhi ! » Oui, mon prof d'anglais ! Il est venu directement du Moyen-Orient. Je n'invente rien. Au point où je suis aujourd'hui analphabète dans la langue de Shakespeare. Je n'invente rien, wallah. Heureusement que mon prof de français ne me disait pas : « R'fed ton doigt, ya kho ! » Il n'y avait pas de prof de français du Moyen-Orient, non. Ah, nos futurs anglophones pourront lire, à l'entrée de Oued Rhiou, les plaques de signalisation : « Welcome to Oued Rhiou ». Ou « Thank you for your visit ». L'anglais est déjà chez nous. Dans nos communes. Dans nos villages. Il ne reste qu'à fourguer cette langue à nos enfants. Youpi, l'Algérie est un pays international ; il parle une langue internationale. Ouf ! Il est question de la prison d'El-Harrach. Sincèrement, je ne veux pas parler de prison. Ni celle d'El-Harrach. Ni celle d'ailleurs. Mais je pense aux nouveaux pensionnaires de cette institution, il m'arrive de penser que tout est pourri au pays du million de chahids. Tout est pourri, à ce point ? Je n'accuse personne. Et ne condamne personne. J'accuse et condamne le système que le peuple, depuis le 22 février, ne cesse de lui crier : « Dégage ! » Puis, j'ai essayé de me documenter sur d'autres pays. J'ai beau chercher, je n'ai pas trouvé d'équivalent au nôtre. Je n'ai pas connaissance d'un pays où deux Premiers ministres se retrouvent en prison. Pour des affaires liées à leur gestion. Ni autant de ministres. Ni autant de walis. Si vous, lecteurs, avez en tête un exemple, je vous remercie d'avance de me fournir le nom du pays concerné. Moi, j'ai donné ma langue au chat. J'abandonne. Je passe mon tour. Et le FLN qui nous dit être à l'écoute du peuple ! Pardonnez mon scepticisme que l'ami Madjid trouve excessif. A vrai dire, je n'ai pas d'autre choix intellectuel, pour le moment. Je suis dépassé. Je suis périmé du bulbe. L'âge n'explique pas tout, bien sûr. Si j'avais dix-huit ans (ça devrait vous rappeler quelque chose cette condition), j'aurais tenté la harga. Pour où ? Pour n'importe où, comme disent les algéro-désespérés, comme moi. Mais, l'ami Madjid, je n'ai plus les moyens de la harga. Je n'ai même plus les moyens de maintenir intactes mes facultés d'émerveillement, pour tenter le pays des muses. Je n'ai plus les moyens de mes rêves. Au point où il m'arrive de penser qu'il y a des Algériens à qui il faut interdire la parole publique. Alors, mon jeune ami, n'oublie pas de recharger la batterie de ton mégaphone, vendredi n'est qu'à portée de voix. Et de voie ! Y. M.