Au 30e vendredi, le volcan est toujours en éruption. Toujours serein et paisible. Mais l'autre, en face, celui qui tient le levier, ne bouge pas. Un sphinx. Un pharaon. Un roc ? Pas si sûr ! Tout au contraire, nombre de décisions précipitées, de rétropédalages, de promesses velléitaires et d'explicites menaces montrent que le roc n'est pas si solide qu'il y paraît. Depuis le début du mouvement du 22 février et son accroissement exemplaire et spectaculaire, on a senti, à intervalles réguliers, chez l'autorité désemparée qui détient le pouvoir, la tentation de l'anéantir par la répression. Toutes les manœuvres d'infiltration qui auraient imputé une éventuelle fin du mouvement aux manifestants eux-mêmes ont échoué. Ni le recours à la violence des forces de l'ordre, ni l'action de provocateurs injectés dans les cortèges, ni les nombreuses interpellations inconsidérées pour cause de détention du drapeau amazigh, ni la zizanie grossière de l'antikabylisme ne sont parvenus à délester le Hirak de son pacifisme et de sa maturité politique que les autorités devraient lui emprunter dans le traitement de cette crise majeure dont les manifestants sont la clé plutôt que le verrou. La précipitation avec laquelle le pouvoir veut imposer une élection présidentielle avant la fin 2019 est en soi un signe de panique. Cet affolement se traduit, par ailleurs, par l'arbitraire d'arrestations à tout-va dont celle de Karim Tabbou opérée dans le plus pur style des enlèvements pratiqués par les polices politiques des années les plus sombres des dictatures. Il est difficile de croire qu'il n'est pas un seul conseiller doté d'assez de bon sens et de lucidité politique pour expliquer à l'autorité que, dans les conditions révolutionnaires actuelles, l'élection présidentielle n'est pas la solution mais bien le problème. A ce niveau de maturation de la situation, un petit flash-back ne serait pas inutile. Quelle que soit l'origine du mouvement du 22 février, il est plus que certain qu'il a très vite rencontré le refus populaire d'un ubuesque 5e mandat qui tendait à maintenir au pouvoir un moribond et un système en décomposition. Le mouvement populaire s'est emparé du Hirak, lequel, dépassant le motif originel du refus du mandat de trop, a très vite condensé tous les acquis, depuis l'indépendance, des luttes pour la réappropriation par le peuple des rênes de son destin. L'évolution fulgurante des revendications passant du coup d'arrêt de la tragicomédie du règne interlope de Bouteflika et de sa camarilla à la remise en cause de tout le système politique algérien hérité du modèle FLN et de son Etat basé essentiellement sur des fondations militaires, ne peut être stoppée par des mesures autoritaires antidatées. Il faut rappeler que c'est la volonté populaire qui, en contraignant Bouteflika à démissionner a, de fait, octroyé un pouvoir inespéré aux décideurs actuels qui ont eux-mêmes grandi et prospéré dans le sillage du clan déchu. Déposséder de sa victoire, ce peuple qui a montré au monde une nouvelle voie dans l'expression de ses aspirations au changement, est tout, sauf du patriotisme. Les détenteurs du pouvoir actuel tiennent là une occasion historique inédite pour montrer au monde qu'ils sont capables de se mettre au diapason de leur peuple dans l'accomplissement d'un nouveau départ pour un pays qui s'est libéré par une guerre sanglante et qui connaît une indépendance ponctuée de régimes autoritaires et de guerres civiles. Evidemment, l'angélisme n'est pas un argument et les intérêts qui dictent le dédain du mouvement populaire vont au-delà du sauvetage proclamé du pays qui, de toutes manières, ne peut pas se faire sans le peuple et a fortiori contre lui. Le temps n'est pas encore loin où un certain Ouyahia fardait outrageusement la réalité en pérorant que les premières manifestations contre le cinquième mandat étaient l'expression populaire de la volonté de maintien de Bouteflika. On veut nous refaire le coup en nous disant que le Hirak demande une élection présidentielle alors que les millions d'Algériens exigent la fin du système négateur de leurs droits et libertés, le changement de république, et le départ de tous les hommes fossiles de ce système honni qui a causé le naufrage du pays. Cette opportunité pour changer dans la paix, par le biais de la politique, un état de fait oppressant pour le peuple, est une victoire à porter à l'actif des Algériens qui ont démenti la réputation qui collait au drapeau d'avoir la violence instinctive et obligatoire. Ceux dans l'escarcelle de qui le pouvoir est tombé grâce à la mobilisation populaire suscitée par l'atteinte à la dignité de tous et de chacun d'être gouverné par un cadre, ne devraient pas oublier que considérer le peuple comme un ennemi à réduire par le passage en force, ne fera qu'hypothéquer la construction de l'avenir. Ils devraient se réjouir de ce que la mobilisation, au bout de trente semaines, continue à représenter un modèle de maturité et de mouvement pacifique, insensible aux promesses lénifiantes comme aux menaces et aux intimidations. Ils devraient en prendre de la graine. Car on a l'impression que plutôt qu'un héros, il n'y a qu'un ennemi,… le peuple ! A. M.