La 24e édition du Salon international du livre d'Alger s'ouvre aujourd'hui au Palais des expositions avec le Sénégal comme invité d'honneur. Plusieurs éditeurs algériens annoncent de nombreuses nouveautés marquées notamment par la situation politique dans le pays. Les éditions Koukou, Barzakh et Apic figurent parmi les maisons d'édition les plus en vue depuis quelques années. A chaque Salon du livre, leurs nouvelles publications ainsi que leurs activités attirent les habitués de cette manifestation. Cette année marquera d'ailleurs le premier depuis longtemps dont l'affiche n'est pas flanquée du sempiternel «Sous le parrainage du président de la République» et qui verra la parution de plusieurs ouvrages dédiés au Hirak. Les éditions Koukou annoncent une dizaine de livres dont le très attendu Les califes maudits — La déchirure, deuxième opus de l'islamologue tunisienne Hela Ouardi après le très controversé Les derniers jours de Mohamed : enquête sur la mort du prophète (Koukou, 2017). Le livre ambitionne de déconstruire le mythe d'un âge d'or utopique, celui des «califes bien guidées», et lui oppose le récit documenté d'une époque marquée par les luttes fratricides et magouilles pour le pouvoir. «L'imaginaire musulman, en particulier salafiste, a tendance à présenter le règne des quatre premiers successeurs de Muhammad, celui des ‘'califes guidés'', comme un temps idyllique. Or, les textes les plus anciens révèlent une tout autre réalité : celle d'une déchirure précoce avant même que le Prophète soit porté en terre. Ses plus proches Compagnons rivalisèrent alors de trahisons, de pactes secrets, de corruption et de menaces de mort pour s'emparer du pouvoir. Voici l'histoire stupéfiante des Califes maudits, dont ce premier volume révèle les enjeux et les acteurs», lit-on sur la quatrième de couverture. L'Histoire de l'islam est également au cœur d'un autre ouvrage, Les femmes du prophète de la chercheuse et psychanalyste Houria Abdelouahed qui raconte, dans un récit romancé mais s'appuyant sur des documents historiques, le destin des femmes du prophète Mohamed et interroge à travers elles la figure du féminin dans l'islam : «Khadîja, Sawda, Aïsha, Hafsa, Zaïnab fille de Khuzaïma, Hind, Zaïnab fille de Jahsh, Jowaïriya, Ramla, Saffiya, Maïmouna... Qui étaient les femmes de Mahomet, épouses et concubines ? Qui étaient ses filles ? Dans ce récit poétique et critique, mené comme un roman oriental, l'auteure raconte chacun de leurs destins. De la plus aimée à la plus calomniée, de la plus légitime à l'enlevée, de la plus libre à la plus asservie, de la plus célèbre à la plus ignorée.» Sur un autre registre, le Hirak algérien est présent en force dans la cuvée 2019 des éditions Koukou : deux ouvrages lui sont consacrés entre essai et fiction, à l'instar du dernier roman de Mohamed Benchicou, Casa del Mouradia, récit d'anticipation se déroulant en 2080 où un homme décide de partir à la recherche des traces de la révolte de février 2019 : «Djeddou Messaoud avait excité ma curiosité à propos de cette jacquerie sans précédent qui eut lieu soixante ans auparavant, en 2019. Récit d'une rencontre avec son peuple et avec ma grand-mère Nora, scènes d'où me parvenait l'étrange parfum d'un temps qui m'avait toujours fasciné, qui m'obsède encore, le temps où Nora était jeune et belle, follement amoureuse, l'époque où l'odeur de la mer se mélangeait à celle des glycines.» Le sociologue Mohamed Mebtoul s'ancre, quant à lui, dans la réalité immédiate avec Liberté, dignité, algérianité avant et pendant le Hirak qui interroge la reconquête, par le citoyen algérien, de son être politique depuis le début du soulèvement : «Citoyens contres clientèles. Désir de changement contre volonté de stagnation. Ethique contre corruption. Révolte contre résignation. Humour et poésie contre langue de bois… Que peut faire la société, piégée par une triple instrumentalisation de l'histoire, de la peur et du religieux, face à un pouvoir adossé à la rente, au clientélisme, à la violence de l'argent et à la force brutale ? Sursaut de dignité d'un peuple méprisé, réprimé, assigné à la marge, le mouvement pacifique du 22 février 2019 signe le retour du politique par l'entrée en scène du citoyen. Quand la société crie son ras-le-bol, le pouvoir tire les vieilles rengaines en rafales : «anarchie», «désordre», «trahison», «main étrangère», «ennemi intérieur». Une quinzaine de livres sont annoncés par ailleurs par les éditions Barzakh : fictions, poésie, essais et livres d'Histoire, en arabe comme en français. Parmi ces ouvrages, le dernier roman de Kaouther Adimi, Les petits de décembre, une satire racontant la guerre entre des préadolescents et deux généraux autour d'un terrain vague, servant aux premiers d'espace de jeu et convoités par les seconds pour y construire leurs villas. Le journaliste et écrivain arabophone Hamid Abdelkader est également présent dans ce catalogue avec Le quinquagénaire, un récit de dix-huit heures se déroulant sur le célèbre paquebot algérien Tarek Ibn Ziad où l'intime se mêle à l'historique à travers les souvenirs d'un narrateur hanté par son passé et celui de son pays. Belle surprise pour ce Sila 2019 : le retour de Mahmoud Darwich, onze ans après sa mort, avec deux anthologies : Rien qu'une autre année (1966-1982) traduite de l'arabe par Abdellatif Laâbi ainsi qu'un recueil de textes écrits entre 1992 et 2005, traduits par Elias Sanbar. Barzakh annonce également la parution en arabe du roman Là où j'ai laissé mon âme de l'écrivain corse Jérôme Ferrari, traduit par Mohamed Salah El Ghamidi ainsi que la version bilingue (arabe et français) du récit de Souad Labbize Enjamber la flaque où se reflète l'enfer. Enfin, les éditions Apic seront présentes comme chaque année avec un lot de nouveautés centrées notamment sur l'essai politique et historique à l'instar de «Agriculture et paysannerie en Algérie : de la période coloniale aux politiques agricoles et rurales d'aujourd'hui» de l'économiste Omar Bessaoud ; Transition et transformations sociales en Afrique du Nord de l'universitaire et démographe Kamel Kateb ; Palestine, le plus grand hold-up du XXe siècle du philosophe et chercheur Mohamed Taleb… Côté littérature, Apic fait la part belle à la poésie avec quatre recueils : Pour ainsi dire de l'écrivain américain Charles Bernstein ; Poèmes en archipel du Français Frédérique Jacques Temple ; Ta voix vit/nous vivons de Habib Tangour et Furtif instant (version bilingue) de Hamid Larbi. Quatre romans sont également annoncés : La civilisation de l'ersatz de Djawed Roustom Touati ; Les fleuves impassibles de Akram El Kebir ; Alter-égo de Hanane Bouraï et Rhapsodie des concertants de Youcef Tounsi. Sarah H.