Le Président Abdelmadjid Tebboune se rendra dimanche 19 janvier à Berlin sur invitation de la chancelière allemande Angela Merkel pour une conférence sur la crise libyenne qui dure depuis huit ans. Bien évidemment, son ambition est de parvenir à réunir les principaux protagonistes, directs et indirects, pour la paix dans ce pays convoité pour ses richesses et son importance géostratégique. La tâche est loin d'être une sinécure, bien au contraire, elle sait que cela demandera des trésors de moyens pour convaincre. Elle sait que le plus difficile est non seulement de faire asseoir à la même table les frères ennemis libyens mais aussi de réduire un tant soit peu les divers intervenants qui s'ingèrent dans le conflit. Pour ce faire, de quels atouts dispose-t-elle et quels seraient les buts de cette conférence ? Il faut savoir qu'elle compte beaucoup sur le Gouvernement d'union nationale (GNA) qu'elle a contribué à mettre sur pied, en 2016, à Tunis, sous l'égide de l'ONU, pour stopper l'afflux de centaines de milliers de migrants clandestins qui se lancent vers l'Europe à partir des côtes libyennes. Cette tâche ingrate et hautement compliquée a ainsi été dévolue au président du GNA, Fayez El-Serraj avant qu'un profond désaccord avec le maréchal Khalifa Haftar n'hypothèque tous les espoirs. La chancelière allemande table sur la fin de la crise libyenne pour enfin enrayer le phénomène migratoire, ce que le différend El-Serraj-Haftar n'a fait qu'aggraver car il laisse grandes ouvertes les voies de passage en provenance de plusieurs pays sub-sahariens. C'est à une vraie course contre la montre qu'elle s'est lancée avec l'idée de réunir le maximum de chances de réussite de la conférence de Berlin qu'elle projette mais avec des partenaires crédibles et écoutés par les parties libyennes. Elle aura fait le voyage de Moscou, samedi 11 janvier, pour solliciter le soutien de l'homme fort du Kremlin. C'est dans cet esprit qu'il faut appréhender l'invitation lancée au président de la République, Abdelmadjid Tebboune, ce mardi 14 janvier, en la confirmant lors de l'appel téléphonique du lundi 6 janvier dernier. Ce n'est guère par convenance diplomatique. Outre le fait que l'Algérie et l'Allemagne entretiennent de fortes relations économiques, c'est sa position permanente dans la crise libyenne et sa proximité avec notre voisin de l'Est qui pèsent sur la balance. A l'inverse, le nouveau Président tunisien, Kaïs Saïed, sans doute par manque d'expérience, n'est pas convié à la conférence quand bien même la Tunisie, qui partage une longue frontière avec la Libye, est directement concernée qui plus est susceptible de recevoir de plein fouet les conséquences d'un débordement de cette guerre fratricide. L'on peut donc considérer que ce fut une brèche dans laquelle s'est introduit facilement Recep Tayyip Erdogan, le Président truc, avec ses conséquences désastreuses. Le déploiement de l'armée turque c'est de l'huile sur le feu qui a eu pour effet de radicaliser un peu plus le rival d'El-Serraj et ses alliés comme on le voit avec leurs déclarations très dures et poussent à une dangereuse escalade militaire. Dans ce contexte, fort heureusement, la diplomatie a vite pris le pas sur les risques d'engagements armés. A Alger, nombre d'émissaires y ont convergé à commencer par le principal concerné El-Serraj, suivi des ministres des Affaires étrangères turc et italien. Les consultations entre les pays concernés par la crise libyenne, à l'exemple de l'Egypte frontalière, la France par Emirats arabes unis interposés, ont pris une tournure qui laisse penser que les nouveaux enjeux sont graves. Sans que cela aboutisse à des initiatives concrètes tandis que sur le terrain, les opérations armées, aux portes de Tripoli, ont repris de plus belle. Erdogan en appelle à son interlocuteur en Syrie pour imposer un rapport de force en sa faveur et donc pour El-Serraj. Moscou, qui ne peut pas se prévaloir d'une quelconque neutralité dans le chaos libyen successif à la chute d'El Gueddafi, va jouer de son influence sur Khalifa Haftar qui répond positivement à l'injonction pour un cessez-le-feu. Le politique et le militaire sont convoqués à Moscou, lundi 13 janvier, pour signer les termes de l'accord. Mais l'on s'interroge : si la Russie fait valoir sa puissance hégémonique elle n'est pas pour autant exempte de reproches puisqu'elle s'est alignée avec armes et argent (et mercenaires) sur le maréchal. C'est dire que la rencontre de Moscou était, dès le départ, biaisée et les résultats espérés n'ont pas suivi. Si Fayez El-Serraj a signé l'accord ce ne fut pourtant pas le cas du maréchal qui a vite fait de quitter la capitale russe. Ses soutiens arabes (Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Egypte) ont-ils joué un rôle dans cette décision qui a rendu furieux Erdogan qui n'a pas manqué de formuler, ouvertement, des menaces à son endroit. « Haftar a choisi de s'enfuir sans signer l'accord de cessez-le-feu à Moscou, la Turquie n'hésitera pas à lui donner une leçon s'il poursuit son offensive contre le gouvernement libyen », dira-t-il devant les cadres de son parti. L'échec de Moscou de réunir les rivaux est ainsi le deuxième clash après celui tenté vainement, à Rome, par le ministre italien des Affaires étrangères. Moscou et Ankara se posent, grave erreur, en parties prenantes dans ce conflit qui menace de durer encore longtemps. Angela Merkel pourra s'appuyer sur l'expérience de l'Algérie dans la résolution pacifique des conflits interafricains, sa position non partisane et les préjugés favorables dans toutes les parties libyennes comme le prouve la récente visite de la forte délégation dépêchée par le maréchal Haftar. Pour l'Europe, menée par Angela Merkel, c'est peut-être l'occasion de tirer son épingle du jeu, elle qui a une grosse part de responsabilité dans la destruction de l'Etat libyen ainsi que l'a rappelé le journal russe Sputnik affirmant : «L'OTAN a détruit la souveraineté de la Libye dans une aventure criminelle en 2011 .» Dans ce contexte et compte tenu des enjeux, la chancelière allemande réussira-t-elle là où les initiatives n'ont pas abouti ? Parviendra-t-elle à forcer le chemin de la paix ? Un temps elle a été surnommée « Mama » Merkel par les réfugiés syriens qui appréciaient de ne pas être refoulés aux frontières. A 65 ans, la chancelière allemande jouit d'une grande crédibilité dans son pays et peut se targuer d'être écoutée sur la scène internationale, risquant même de tenir tête à l'intraitable Donald Trump. Membre de l'Union chrétienne démocrate, elle est régulièrement élue au Bundestag. C'est de l'ordre du jour de la rencontre de Berlin, la qualité sinon la crédibilité des participants que dépendra son impact sur la résolution définitive de la crise libyenne. Brahim Taouchichet