Pour deux jours, aujourd'hui et demain lundi, les chefs d'Etat et de gouvernement se réuniront dans la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, siège de l'Union africaine (UA). Au menu de ce 33e sommet, les dossiers brûlants de la crise libyenne et la situation au Sahel. Ce n'est pas tant cette réunion au sommet qui fait l'événement que le contexte rempli d'incertitudes dans lequel elle se tient. Guerres larvées, terrorisme, contrebandes en lien direct avec les réseaux de drogue transnationaux, développement économique en panne, la corruption qui gangrène les institutions de ces pays avec son lot de laissés-pour-compte, les migrations clandestines massives fuyant la misère, il faut bien admettre qu'aujourd'hui, l'Afrique ce n'est pas beau à voir ! Le Président Abdelmadjid Tebboune, dont c'est la première sortie en terre africaine, se verra plongé dans les réalités du continent noir. L'on s'attend à ce qu'il ait de nombreuses consultations avec ses pairs arabes et africains et compenser l'absence de l'Algérie de ces dernières années ,et lui faire retrouver sa place traditionnelle d'écoute à défaut de leadership qui n'est plus de mise aujourd'hui. Bien que la crise libyenne soit d'une grande complexité, il a en main des arguments forts, parce qu'ils s'inscrivent dans la philosophie de l'Union africaine en matière de règlement des conflits par le dialogue pour leur résolution pacifique. Cette démarche aboutirait au demeurant à la réactivation des mécanismes de l'UA pour la promotion de la paix dans le continent. Car ainsi, à Brazzaville (Congo-RDC), le 8e sommet du Comité de haut niveau de l'UA sur la Libye a adopté une feuille de route qui baliserait la route sur cette question lors de ce sommet d'Addis-Abeba. Les enjeux de la paix obligeront un tant soit peu les chefs d'Etat et de gouvernement à dépasser leurs divisions, afin de mettre en application le mot d'ordre retenu pour cette rencontre continentale, à savoir faire taire les armes. Pourtant ,sous la présidence l'année 2019 (présidence tournante d'un an) du général El Sissi ,cette recommandation devait trouver son aboutissement cette année 2020, mais il n'en fut rien, finalement. Ce bilan négatif de la présidence égyptienne était prévisible, en ce sens que le raïs égyptien s'est complu à jouer plutôt au pyromane dans la crise libyenne ,en se rangeant ouvertement aux côtés de l'homme fort de Benghazi, le maréchal Khalifa Haftar. Par ailleurs, le grave différend qui oppose l'Egypte à l'Ethiopie sur la construction du barrage sur les eaux du Nil a accaparé toute l'attention des Egyptiens. Il risque de dégénérer en une guerre, vu que les différentes médiations n'ont abouti à rien de concret. Face à cet énorme défi, l'UA se trouve tétanisée par l'ampleur d'un problème qui l'interpelle directement. C'est à Washington pourtant qu'un conclave a réuni récemment les émissaires des deux pays. Sans résultat. Si le déplacement du chef de la diplomatie algérienne à Benghazi a reçu un accueil favorable de la part des autorités de cette partie de la Libye, il y a à penser à une évolution des positions crispées des belligérants. Le maréchal et son ministre des Affaires étrangères parlent d'une même voix quant au rôle positif de l'Algérie – qu'ils saluent – dans la crise libyenne. Pour autant, la situation dramatique que vivent les populations des pays du Sahel est tout aussi préoccupante, à défaut d'une perspective de solution et de la recrudescence du terrorisme qui fait des ravages, sachant le bilan macabre de ces dernières semaines. Les gouvernements concernés s'avèrent impuissants à y mettre fin, un aveu clair de leur impuissance face à ce phénomène transfrontalier. Quel riposte proposera l'Union africaine, d'autant que le terrorisme est instrumentalisé par des pays qui ont intérêt à entretenir l'instabilité du continent africain ? Faut-il s'attendre à un regain d'activité pour la résolution des conflits avec le Président sud-africain, Ciryl Ramaphosa, qui succédera au général El Sissi ? Certes , on connaît l'engagement de l'Afrique du Sud envers les causes justes et celle des Sahraouis en est une. L'Afrique du Sud fait de cette question une priorité de sa politique étrangère, légitimement pour elle, dans la mesure où l'Union africaine compte parmi ses membres la République arabe sahraouie démocratique (RASD). A ce sujet, il y a fort à faire, compte tenu des dernières évolutions sur l'occupation marocaine du Sahara Occidental. En effet, les statuts de l'UA sont régulièrement violés par le Maroc sans qu'elle bouge le petit doigt face, par exemple , au scandale de l'organisation d'une compétition sportive continentale dans une ville du Sahara Occidental occupé. Pis, le Maroc pousse des pays africains à ouvrir une représentation consulaire dans ce pays occupé, sans qu'elle élève aucune contestation. Il est pourtant de sa responsabilité de bloquer le Maroc dans sa politique du fait accompli. Et de là à prendre ce silence comme une caution pour la partie marocaine, ce n'est pas exclu. Mieux, dans son aveuglement à nier la réalité de l'occupation, le Maroc va jusqu'à vendre son âme au diable et lâcher les Palestiniens et soutenir le « plan de paix » américain de Trump et rêver ainsi de l'ouverture d'un consulat américain à Laâyoune occupée. En appelant aussi à la rescousse Israël , en échange d'une normalisation en bonne et due forme. Et c'est tout le devenir de la crédibilité de l'Union africaine qui est aujourd'hui posé. Elle n'arrive pas à « discipliner » ses membres, ni à leur faire respecter leurs engagements inhérents à leur adhésion. Chaque pays veut faire cavalier seul ou, au besoin, coaliser. Ces divisions cachent mal des divergences profondes quant au rôle attendu de l'Union africaine. Cette dernière est en pleine crise, elle vit une rupture qui ne dit pas son nom par rapport aux conceptions passées nées de l'Afrique postindépendance successive aux grands mouvements de décolonisation. C'est à un autre défi que sont confrontées les élites dirigeantes africaines. Les antagonismes Est-Ouest du passé sont supplantés par un nouvel ordre mondial qui montre clairement une redistribution des cartes en faveur des puissances de l'heure. Les mots clés sont zones d'influences pour le partage des ressources naturelles… C'est l'Afrique degré zéro de souveraineté. Brahim Taouchichet