De notre correspondante à Rome, Aïcha Abdeslem Pour contenir la contagion par le Covid-19, plusieurs pays occidentaux (France, Espagne, Allemagne, Etats-Unis...) se sont inspirés de la stratégie italienne, elle-même conçue sur l'expérience chinoise. Au début de ce qui était alors une épidémie circonscrite au pays asiatique, les mesures drastiques de confinement prises par Pékin semblaient difficilement applicables dans les démocraties occidentales, et pourtant. Les Italiens, durant le mois de février, découvraient sur leur téléviseur les images des Chinois contraints par leur gouvernement à demeurer chez eux, s'ils sont sains, et à obéir à une sévère quarantaine s'ils étaient porteurs du coronavirus. Ces dispositions drastiques semblaient excessives, voire constituaient une violation des libertés individuelles. Face à cette menace virale qui venait de loin et par précaution, l'Italie a été le premier pays à suspendre tous les vols vers la Chine et en provenance du pays asiatique. Les Italiens, qui menaient alors leur vie avec la même joie de vivre, insouciance et optimisme, n'auraient jamais imaginé que, quelques semaines après, ils passeraient par la même expérience angoissante. L'épidémie s'était déclenchée au Nord, plus précisément en Lombardie, cœur économique de la péninsule. Des quelques cas détectés vers la fin du mois de février, des dizaines de malades souffrant de complications respiratoires ont afflué vers les services des urgences des hôpitaux, vers le début mars. Rapidement, les autorités, prévoyant une large contamination, ont interdit aux personnes atteintes de symptômes qui pouvaient conduire à l'infection par le coronavirus de se présenter spontanément aux urgences, par peur de contaminer les autres patients. Un vade-mecum diffusé sur les principales chaînes de télévision les invitait à appeler leur médecin de famille, le numéro des urgences, ou même les forces de l'ordre qui allaient les orienter. A une vitesse stupéfiante, les services de soins intensifs et de réanimation de plusieurs villes du Nord, comme Milan, Bergame et Brescia, se sont remplis de malades en grandes souffrances respiratoires, surtout des patients âgés ou atteints de pathologies chroniques. Ainsi, des 16 cas détectés positifs le 21 février dernier, on est passé le 3 mars à 2 500, dans toute l'Italie. C'est alors que les autorités, très alarmées par la tournure que prenait cette infection, ont décidé d'abord de fermer les écoles et les universités, pour, ensuite et rapidement, intensifier cette mesure et ordonner de placer la Lombardie et la Vénétie sous un statut de confinement de tous les habitants. Entre-temps, les régions du Centre et du Sud pensaient être relativement épargnées, jusqu'à ce que les cas de malades atteints par l'épidémie commencent à s'y multiplier. Mais leur nombre, encore bas par rapport à celui du Nord, est appelé à connaître son pic vers la dernière semaine de mars, selon les experts, qui attribuent cette éventuelle recrudescence au grand flux de travailleurs et étudiants installés au Nord mais originaires du Sud, qui ont pris les derniers jours le chemin du retour, malgré les contrôles effectués par les militaires aux abords des gares ferroviaires. Ce qui a poussé les autorités à annuler tous les trains de long courrier. Et si la situation reste gérable dans la région du Latium (Rome), le confinement décrété sur tout le territoire national n'en est pas moins rigide. Tous les bureaux, commerces, restaurants, cafés, centres de beauté, et même les usines où il n'est pas possible d'observer les mesures de précaution comme la distance de plus d'un mètre entre les ouvriers et le port obligatoire du masque et des gants protecteurs, ont été fermés. Tous les déplacements sont interdits, y compris dans le même quartier sauf pour des raisons vitales : se rendre au travail, aux visites médicales ou pour acheter de la nourriture. La non-observation de ces normes est passible d'amendes et même de peines de prison allant jusqu'à 3 mois. Par contre, les personnes mises en quarantaine et avérées positives qui quittent leur domicile risquent jusqu'à 12 ans de prison pour «attentat à la santé publique». Ces mesures draconiennes prises par le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, et approuvées par le chef de l'Etat Sergio Mattarella, visent à maintenir le système sanitaire opérationnel, y compris dans sa fonction cruciale qui garantit la réanimation et l'assistance respiratoire aux malades très affectés par le Covid-19. Car ce que craint chaque directeur d'hôpital public, c'est de voir son dernier lit de soins intensifs occupé. L'Italie disposait avant le début de la pandémie de 5 300 places en service de réanimation, auxquelles s'ajoutaient les 2 500 lits de réanimation dans les services d'infectiologie. Rapidement, cette capacité a été renforcée avec 2 000 autres places, mises en place en quelques jours, surtout en Lombardie. Il faut dire que les donations de particuliers qui continuent à affluer vers les hôpitaux ont constitué une véritable bouffée d'oxygène pour le gouvernement. Ainsi, la famille Agnelli, propriétaire majoritaire du groupe automobile Fiat, a fait don de 250 appareils pour la respiration assistée, ainsi que 10 millions d'euros à la Protection civile chargée de les distribuer. L'ancien chef de gouvernement et milliardaire, Silvio Berlusconi, a lui aussi versé le même montant à la santé lombarde, ce qui devrait permettre d'équiper plusieurs services en ventilateurs et respirateurs. Concernant la pénurie de masques protecteurs, le gouvernement a décidé de simplifier les procédures bureaucratiques qui permettent à des usines de textile de se convertir pour en fabriquer. A la fin de cette phase 3 de la pandémie, les autorités italiennes prévoient que le nombre de personnes contaminées sera aux alentours de 92 000, alors que celles mises en quarantaine sera de 360 000, ce qui constituera le pic tant redouté de la contagion et qui devrait survenir au début du mois d'avril. Après, on devrait assister à la progressive régression de l'infection et du nombre de cas positifs. Dans une semaine environ, ces prévisions seront confirmées ou infirmées. A. A.