Voilà, je suis à la deuxième semaine de confinement. Comme je suis totalement groggy, je ne réalise peut-être pas toute l'étendue de cette quarantaine. De cette mise à l'écart, à l'échelle d'une nation. De ce retrait forcé. De cette mise à la touche sociale. Dire que je suis sous pression, c'est un peu fort. Je subis, comme tout le monde, ce qui s'apparente à une privation de mouvement. Dire que je prends l'habitude, c'est un peu fort. Comme tout le monde, je ne peux pas m'habituer à l'étrange. Dire que je vais prendre la clé des champs, c'est un peu fort. Hypocondriaque, un peu comme tout le monde, j'aurais peur de choper ce virus couronné. Je fais tout pour garder le moral. Chacun de nous utilise ses propres astuces. Perso, je fais et refais le tour de mon appart, en changeant d'itinéraire à chaque fois. Attention, je n'habite pas un château. C'est un appart, un peu comme celui de tout le monde. Je vous livre ma démarche : aujourd'hui, j'ai entamé mes pérégrinations par le séjour, je me suis posé sur le canapé, j'ai regardé sans voir un film à la téloche, j'ai pris la pause d'un prince, puis je me suis levé sans le vouloir. Il me faut finir mon errance domestique. Je me rends en direction de la cuisine, qui, comme vous savez, est un domaine quasi réservé, moi qui ne marmite jamais. Ouf, elle est vide. Je jette un coup d'œil au frigo qui renvoie à mon regard un courant d'air glacé, sans plus. Il n'y a pas l'ombre d'un chocolat noir ; que voulez-vous, c'est mon plaisir et ma faiblesse. Tiens, que renferme cette marmite ? Un reste de lentilles. Ça fera bien un dîner. Le tour de la cuisine est vite fait. Je repars vers le séjour. Je me remets sur le même canapé. Le téléphone se met à faire des siennes ; oui, il sonne. Un ami qui vient aux nouvelles. Je lui donne des nouvelles. Il me donne des nouvelles. Puis, c'est tout ! Il n'y a pas autre chose à se mettre dans le combiné. Il n'y en a que pour le corona. Fin de la conversation. A l'écran, c'est toujours le même film. En noir et blanc, je crois. Ou en couleur, je ne sais plus. Je vais à la chambre. Il n'y a rien de nouveau. C'est toujours le même lit, la même fenêtre, les mêmes rideaux, et tout le reste. Demain, je ferai le tour en sens inverse. Sincèrement, cette chronique n'est pas franchement passionnante. Que voulez-vous, c'est la chronique d'un confiné. Tout tourne autour du corona. Du confinement. Des suites de cette pandémie. Du traitement. Et des querelles de spécialistes. Faut-il prescrire ce fameux médicament ou pas ? Puis ce médicament, faut-il le donner au début de la maladie ou pas ? Même les réseaux sociaux ne parlent que de ce virus. C'est à s'arracher les cheveux. Tel médecin est décédé. Tant de cas à Blida, le « Wuhan de l'Algérie » (l'expression n'est pas de moi). Au Sud, il n'y a pas de cas. Que font nos ministres ? Ils font. Ils font. Ils font. Le ministre du Commerce, un sacré gars ce monsieur, ne se gêne pas pour aller bousculer les mauvaises habitudes de nos commerçants. Le Premier ministre se rend à Blida. Et les autres ministres ? Je ne sais pas. Donnez-moi les infos, si vous en avez. Il y a peut-être un confinement gouvernemental ? Ce que je trouve raisonnable, pour ma part. Ça ne vole pas très haut, cette chronique ! Un toubib m'a conseillé de faire mon introspection. En somme, il me demande d'aller aux confins de « mon Moi ». Pour en faire quoi ? Remettre les choses à plat. Lesquelles ? Je n'ai pas de réponse. Faire un bilan de mon passage sur terre ? C'est bien beau. J'ai encore un peu de temps, non ? J'ai peur des scénarios catastrophes. J'ai oublié de préciser que ce toubib est un psychiatre. Voilà, c'est dit ! Et si j'entamais l'écriture de mes mémoires ! Quelle idée saugrenue ! Ça intéresserait qui, mes mémoires ? Personne. Pas même mes enfants. Ce t'bib me fout décidément le cafard. Et si je reprenais mon manuscrit de poésie ! Même pas. Je ne vois nulle part un soupçon de poésie. A moins de me faire violence. Et la violence, je la vis dans ce confinement. Ce n'est pas maintenant que je vais jouer au charlatan de l'âme. Pas aujourd'hui. Pas à mon âge. Je laisse faire. Je persiste dans mon confinement. Je ne sors pas. De ma fenêtre, je contemple les oliviers du jardin ; c'est déjà un privilège ! Ah, j'ai quand même une bonne nouvelle. Et j'en suis content. « Mon » hibou est revenu. Hier soir, je l'ai entendu ululer. J'ai trouvé son ululement agréable. Un peu comme une « ode à la joie ». Il n'y a rien de curieux, là-dedans. Je me suis habitué à ses visites nocturnes. A tort, j'ai pensé qu'il s'est aussi confiné, comme nous tous. Un hibou ne peut pas être contaminé par ce satané virus, non ? Un hibou n'est pas très malin, non ? L'essentiel est qu'il soit revenu se poster sur son arbre fétiche. Et s'il pouvait nous débarrasser de quelques rongeurs, ce serait toujours ça de pris. Je l'attendrai, cette nuit, aussi. C'est beau un hibou, non ? J'ai vérifié auprès de monsieur Google. Le hibou a une belle tête. Et des yeux tout ronds. Sa présence me rassure, comme celle d'un ami d'enfance. Alors, je l'attendrai chaque soir, juste pour faire de son chant un soutien à ces jours nuls d'indice. Ce que je fais de mieux et de régulier, par contre, c'est la lecture. Beaucoup ont pris sur eux de tenter la relecture de La Peste d'Albert Camus, comme s'il y avait un parallèle à faire entre cette fiction et cette réalité terrifiante. J'aurais voulu relire, personnellement, La Nausée de Jean-Paul Sartre. Est-il possible de guérir le mal par le mal ? Aujourd'hui, je suis tombé sur le Sisyphe de Camus. Je le relis avec beaucoup de recul. Je retrouve tous les paragraphes que j'ai soulignés. Et j'imagine ce pauvre Sisyphe rouler son rocher, ad vitam æternam. C'est un peu l'histoire de l'humanité. De l'homme. On roule sa bosse, comme un dromadaire, culminant sur les hauteurs, pour ensuite se retrouver le bec par terre. Ceux qui n'ont pas compris la « vaineté » des moments de puissance se retrouvent dans un confinement bien plus dur que le nôtre. Il faut savoir se dire que tout a une fin. Et plus haut que l'on est assis, on est assis que sur son popotin. Comme nous tous ! C'est dans ces moments terribles que l'absurde prend tout son sens. Et qu'il faut, encore heureux celui qui le pourra, de ne pas confondre la vie et l'éternité. Laissons Nietzsche conclure cette chronique : « On veut la liberté aussi longtemps qu'on n'a pas la puissance ; mais si on a la puissance, on veut la suprématie. » Y. M.