Aujourd'hui, le ciel a pris une couleur terreuse. A portée de main, il est d'une « lugubrité » totale. C'est l'annonce d'un vent de sable rebelle, ou je ne m'y connais pas. Bien sûr, il n'y a pas de pluie. Les quelques gouttes qui s'échappent ne font que subir le poids de la terre. Ce matin, en sortant de chez moi, j'ai fait un pas en arrière. Vais-je sortir ? Ou rester à la maison ? J'ai pesé le pour ou le contre ; pourtant, la décision est vite prise, logiquement. Avec un ciel pareil, et le corona qui guette tout un chacun, j'aurais dû rester chez moi. Pourtant, malgré ce ciel tragique, malgré la menace d'un virus totalitaire, je me suis risqué dehors, vers l'inconnu d'une épidémie diffuse. Je me suis promis de faire gaffe, comme si cela était évident. Bien sûr, la première station fut mon revendeur de journaux. Là, je rencontre une connaissance qui, contente de me voir, me plaque deux bécots sur les joues, en me disant : « Aucune crainte, je n'ai pas le corona. » J'ai reçu la « boussa » comme une menace potentielle. Calmement, je réponds à mon vis-à-vis tactile : « Tu n'as pas le corona, c'est bien. Es-tu sûr que, moi, je ne l'ai pas ? » Du coup, j'ai vu sa glotte faire le yoyo dans sa gorge. Une fois dans ma tire, j'ai tiré le flacon de la lotion hydroalcoolisée, j'ai lavé mes mains et, surtout, mes joues. Je ne panique pas ; mais j'ai peur de ce virus. Moi qui suis hypocondriaque, j'ai la désagréable surprise de me voir cerner par ces méchantes bébêtes. Je continue mon chemin vers le centre-ville de Tizi. Les idées se bousculent dans ma caboche. « Je devrais rebrousser chemin, et rentrer chez moi », me dis-je au fond de moi. Peine perdue ! Une force inconnue, appelons-la curiosité, me pousse à rejoindre l'endroit de la ville qui reçoit le plus de monde. Décidément, rien n'a changé. Je n'y vois rien de particulier. Je gare normalement ma bagnole. Le parkingueur n'est pas là, aujourd'hui. Tiens, c'est curieux ! Ce qui est curieux, par contre, c'est que les gens vaquent à leurs occupations, comme dans une journée ordinaire. Comme si de rien n'était. Je scrute les visages, je n'y vois pas d'inquiétude particulière. Ça fume. Ça chique. Ça téléphone, en criant. Ça crache par terre. Ça se mouche entre les doigts. Il n'y a pas d'épidémie, me dis-je. Il n'y a rien. C'est une invention de « la main étrangère ». J'ai soudain pensé au Hirak. Que va-t-il devenir ? On y reviendra plus tard. Pour le moment, le café de la Poste reçoit les consommateurs normalement. Un café, par-ci. Une tisane, par-là. Un jus de citron. Un lait-crème, un cake. Ça tourne normalement. Où est donc ce sinistre virus qui fait plier les genoux des grandes nations. Ici, il aura fort à faire face à notre bravoure. La distance sociale est une vue de l'esprit. On se serre la main, comme d'habitude. On se bécote, comme d'habitude. On se tape sur l'épaule, comme d'habitude. On se prend dans les bras, comme d'habitude. Le corona à Tizi, allons donc ! Tout de même, j'ai vu certains porteurs de masque. Oh quatre ou cinq, sans plus. Je n'ai vu que des femmes le porter. Quoi penser ? Je ne sais pas. J'ai peur de dire que les femmes sont plus intelligentes que les hommes. Ça y est, c'est dit ! Malgré les appels de la puissance publique, les échos se font rares. Les écoles, les lycées et l'université sont fermés. Les matchs de foot se jouent à huis clos. Mais les bus circulent. Puis, les incontournables fourgons de Tizi vont et viennent. A la boulangerie du quartier, les acheteurs sont pratiquement collés les uns aux autres ; j'y étais et j'ai constaté de visu. Le mètre de distance est une vue de l'esprit. Il y avait une ambiance bon enfant. A la poste du centre-ville, la distance est respectée ; sauf que certains font semblant de ne rien voir et s'intercalent sans se poser de questions. Restent les mosquées ! Une demi-mesure a été prise ; on prie collectivement, sans trop s'appuyer sur les « dourousse ». Justement, dans la prise en charge de la fermeture des mosquées, la puissance publique attend une fatwa ; et les religieux attendent une décision du ministère la Santé. Ce n'est pas gagné, n'est-ce pas ? Quoique je viens d'être informé, par monsieur Google, que les mosquées allaient être fermées, provisoirement, jusqu'à la fin de l'épidémie. C'est vrai qu'il faut, à tout prix, éviter toute propagation du virus. Et le Hirak ? That's the question. J'aurais aimé que l'ami Madjid, un convaincu du maintien du Hirak, m'explique quoi faire, en pareille circonstance. En tout état de cause, des appels sont lancés pour « reporter » le Hirak, en des temps sans virus. Des appels qui viennent de hirakistes eux-mêmes. Bien sûr, il y a l'autre son de cloche ; ceux, les irréductibles, qui ne veulent pas entendre raison ; selon eux, le Hirak doit continuer à peser sur l'Algérie officielle. Selon les spécialistes de la santé, d'ici et d'ailleurs, qui insistent sur la dangerosité de cette épidémie, il faut en prendre conscience rapidement et qu'il faut des mesures drastiques pour atténuer le coût en pertes, surtout humaines. En France, Macron parle de guerre ; au point où le confinement est national, allant jusqu'à interdire les visites familiales. L'espace Schengen est fermé, il faut le faire. On n'en est pas là chez nous. On risque d'y arriver d'ici demain. Il faut que l'Algérien se rende compte de cette menace tangible. S'il faut faire peur, il faut faire peur pour le bien de la collectivité nationale. S'il faut passer par le confinement, il faut le faire. D'autant que notre système de santé, nous le savons tous, n'a pas les moyens des nations développées pour répondre efficacement à la menace. Combien de lits en réa ? Je ne le sais pas. Il n'y a pas d'information à ce sujet. Où en est la logistique du matériel médical ? Je ne le sais pas. Il n'y a pas d'information à ce sujet. J'aurais aimé entendre les spécialistes dire leur mot. Il faut préciser les choses. Rapidement. Tout de suite. Dès lors, une solution idoine s'impose : la prévention, la distance sociale, sortir le moins possible, de la discipline, et mettre tous les moyens de l'Etat entre les mains de la santé publique et privée, pour lutter contre ce virus. A ce moment où je tente cette chronique, le ciel est toujours en colère. Je ne le sens pas, sérieux. Puis, je ne peux pas ne pas me frotter le nez constamment. C'est comme un tic. Aussi, si je chope ce fichu virus, je vais le transmettre à tous, en fait. A mes proches. Mes amis. A mon revendeur de journaux. A mon boulanger. Un peu à tout le monde ! Quand aux charlatans qui nous pompent l'air avec le mercure, il fait chaud, qui empêcherait le virus de faire des siennes, il faut qu'ils arrêtent avec leurs balivernes. Il faut juste écouter les spécialistes de la santé, d'ici et d'ailleurs. Il faut juste voir ce qui se passe ailleurs. Ainsi, on peut se faire une idée. Bonne santé à tous ! Y. M.