Voilà, je suis à ma septième semaine de confinement. Disons que je prends le pli. Je n'ai plus l'âge de trop bouger. Je n'ai plus vingt ans, l'âge de toutes les escapades. L'âge est le meilleur des diplômes. Perso, je l'ai, ce diplôme, depuis un fagot d'années déjà. Je ne me fais plus de pression. Je laisse faire. Je laisse couler l'eau du quotidien. Je vais à pas régulier, doucement, mais sûrement. Disons que je connais le chemin de ma route. Aussi, je prends en charge ce confinement avec beaucoup de recul. Que voulez-vous faire, quand il s'agit d'un temps de vie ou de mort ? Je prends toutes les précautions. Il s'agit de ne pas sortir, je ne sors pas. Il s'agit de sortir masqué, je sors masqué. Il s'agit de respecter une certaine distanciation, je fais en sorte de ne pas coller aux gens. L'Algérien est un être tactile, on le sait. Les embrassades. Les étreintes. Les «tape cinq». Il suffit d'apprendre à ne plus serrer des mains, à ne plus faire de bises (même lors de l'Aïd), d'éviter les accolades et tout se passera dans les normes. Dans ma dernière chronique, je disais que le gouvernement confine tout en «déconfinant». Je n'étais pas loin de la réalité. Je crois avoir vu juste. Il a suffi que les boutiques rouvrent pour que les Algériens oublient carrément les précautions d'usage. Absence de masque. Quoique les masques sont rares sur le marché. Coller, coller dans les chaînes. De ce fait, le virus se frotte les mains. Tiens, des clients à gogo, à moindre frais, sans contrepartie de transpiration. Voilà, on a ce qu'on mérite. On referme les commerces. Plus de chiffons. Plus de baklawa. Plus de zlabia. Ni de charbet. Le «Tounsi» a baissé pavillon. Les adeptes du sucre n'ont plus qu'à se retrousser les manches et préparer cette zlabia at home. Feddar. Deg uxxam. Allons plus loin. Le «déconfinement» est prévu pour le 14 mai. Selon ma connaissance du terrain, ça risque d'être une catastrophe. Ce sera la ruée. Les écoles. Les cafés. Les restaurants. Les boutiques de fringues. Les retrouvailles entre potes. Les retrouvailles familiales. Et viens que je te bousse. Que je te rebousse. Et viens que je te prenne dans mes bras. Que je te farfouille les cheveux. Que je te malmène les joues. Le virus n'est jamais loin. Il se frotte les babines. Il aiguise ses incisives. Et vas-y que je te mords. Puis rebelote ! Je flippe trop, non ? Je sais que ça ne sera pas fait à ce niveau-là. Un «déconfinement» réfléchi. Graduellement. Par région. Par zone. Par quartier, s'il le faut. Il faut créer les conditions du «déconfinement». Des masques. Pas seulement. Il faut impérativement que l'Algérien prenne d'autres habitudes sociales. On ne peut plus revenir à la période d'avant le Covid-19. Il faut réinventer notre façon d'être. Il n'est plus possible de revenir aux anciennes traditions. Tout le monde sait de quoi je parle. Sinon l'Algérie risque de passer de très mauvaises périodes. Cette épidémie n'est pas simple, ce n'est pas moi qui le dis. Les grands spécialistes mondiaux s'accordent à le proclamer, haut et fort. Mieux encore, ces spécialistes déclarent qu'un nouveau monde doit émerger des cendres de l'actuel. Pour le bien de l'humanité. Car il ne faut pas se leurrer, seuls les faibles payeront la facture. Et les pauvres. Le lumpenprolétariat, d'abord, dans les pays riches. Puis, les pays du tiers-monde, ensuite. J'ai été sonné à l'annonce du décès du chanteur Idir. Comme un boxeur KO debout, je n'arrivais pas à comprendre le fil de l'avis de décès. Ces derniers temps, j'ai reçu tellement d'annonces de ce genre, de potes qui, sur la pointe des pieds, ont préféré abandonner le navire Terre. Ces potes étaient tellement proches de moi que, depuis, je me sens vidé, orphelin, seul, abandonné et malheureux. Je le dis comme je le ressens. Il n'y a aucune pudeur à mettre en avant. L'homme ne pleure pas : foutaises que tout ça ! L'homme pleure. Et doit pleurer. Aussi, j'ai pleuré (à) la mort de mes potes. NKH, Djilio, Hamid, Hadj Krimo, mes instits Amar Boukhalfi et Saïd Aït Iftene sont autant d'étoiles désormais qui viennent éclairer mes nuits d'insomnie et maintiennent en alerte une mémoire obèse. Chacun d'eux a compté dans ma vie. Et compte encore. Oui, je me sens seul. Je le reconnais. Je me retrouve sans soutien. Soutien moral. Soutien intellectuel. Soutien philosophique. Dès lors, je me raccroche aux souvenirs. Chacun d'eux a une place particulière dans mon cœur. Chacun d'eux continue à m'instruire. A m'éveiller. A me conseiller. Le jour, il me suffit de fermer les yeux pour les voir accourir, chacun apportant sur son visage un éclairage d'affection et d'amour. La nuit, il suffit que je lève les yeux vers le ciel pour que je voie quelques étoiles plus brillantes que les autres ; je me dis : «Ils sont là-haut.» Et je retrouve ainsi une grande sérénité face au quotidien. L'annonce dit qu'Idir est décédé. C'est antinomique : Idir, en kabyle, projette la vie. Idir, c'est vivre. Et c'est ce pseudo qu'a choisi Hamid Cheriet pour dire la cosmogonie de la Kabylie. Mélodiste de talent, il a su mettre les notes idoines sur des poèmes éclatants de vérité (merci Ben !), pour chanter, précisément, sa vie. Sa société. Son Ancêtre. A côté d'une kyrielle de jeunes chanteurs, dans les années soixante-dix, Idir a donné ses lettres de noblesse à la chanson kabyle. Djamel Allem. Noureddine Chenoud. Malika Domrane. Ferhat. Menad. Nouara. Matoub. Tagrawla. Ces noms ont accompagné ma jeunesse. Ils sont ma jeunesse. Ces chanteurs ont supprimé les scories qui minaient la chanson kabyle, un moment donné. Les chanteurs de l'émigration (El Hasnaoui, Azem, Yiahiatène, Ou Belaïd, Mezani, Mesbahi, Hamadi, etc.) ont chanté leur temps. Le temps de l'exil. Le temps de la déchirure. Le temps de la colonisation. Le temps de l'espoir. Puis, d'autres chanteurs sont venus chanter, également, leur temps. Le temps du déni identitaire. Le temps de l'identité. Le temps de la lutte. Mais également, le temps de l'exil pour pouvoir chanter sans peur. Je ne peux pas oublier le travail colossal réussi par ce monument de l'Awal, Lounis Aït Menguellet. Ils disent qu'Idir est mort. Non, il ne l'est pas. Il vit. Yedder. Il vit dans notre cœur. Dans notre mémoire. Il vit dans ses mélodies. Ses chansons. Ses accords. Ses notes de musique. Si, je pleure cette disparition. Je ne peux pas ne pas pleurer. Le cimetière de toutes les valeurs se peuple davantage. Ihi, bienvenue Idir pour ton Eternité. Adieu Hamid ! M. B.