Par Mostefa Zeghlache, ancien diplomate Art. 95 - al. 3. Le président de la République décide de «l'envoi de troupes à l'étranger après approbation à la majorité des deux tiers par le Parlement». Cet alinéa de l'article 95, plus que d'autres articles pourtant pas moins importants portant amendement de la Constitution, fait couler beaucoup d'encre et éveille l'intérêt de nombreux commentateurs de l'avant-projet de Constitution, soumis à un débat national. S'agissant donc de la possibilité d'envoi de militaires algériens à l'extérieur des frontières nationales, l'alinéa proposé est censé remplir un vide autant juridique que politique d'une situation dont les contours n'ont pas été précisés par le législateur ou le pouvoir politique. Certains analystes voient dans cette perspective la possibilité pour l'Algérie d'affirmer davantage son rôle d'acteur solidaire de la communauté internationale dans ses efforts de préservation et de maintien de la paix à l'échelle mondiale, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte des Nations unies. À cet effet, notre pays serait appelé à être, plus que par le passé, présent aux côtés d'autres pays dans le contexte de la préservation de la paix et de la sécurité internationales dans le cadre des Nations unies, et si nécessaire, de l'Union africaine ou de la Ligue des Etats arabes. Dans ce contexte, l'ANP participerait non seulement «techniquement» (envoi d'experts) et logistiquement (soutien logistique notamment le transport aérien de Casques bleus, par exemple) comme cela est le cas depuis des années, voire financièrement (si nécessaire) aux opérations de maintien de la paix, d'interposition et de monitoring de cessez-le-feu entre belligérants ou plus simplement de maintien de l'ordre (police) et de sauvetage, notamment en milieu marin, mais enverrait, et c'est là que réside la nouveauté, des troupes hors territoire national pour participer au sol à ces opérations de l'ONU nécessitant la présence physique de forces armées. Nombreux sont ceux qui prétendent que le refus de notre pays d'envoyer son armée que ce soit dans le cadre international multilatéral mentionné ou dans celui de coalitions internationales comme celles menées par les Etats-Unis en Irak ou en Syrie ou l'Arabie Saoudite au Yémen, était lié à une disposition constitutionnelle. Ce qui nous semble erroné, l'article 28 de la Constitution (devenu article 30) précisant en son alinéa 3 que l'ANP «est chargée d'assurer la défense de l'unité et de l'intégralité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime». Ainsi, le champ d'action de l'armée est circonscrit, implicitement, au territoire national dans ses trois configurations, terrestre, maritime et aérienne et la non-participation à ces coalitions est avant tout liée à une décision souveraine. La souveraineté en question s'est manifestée, par exemple, par l'engagement militaire de l'Algérie dans le cadre des guerres arabo-israéliennes de 1967 et 1973, au nom de la solidarité arabe, de la défense de la Palestine et en application du Traité de défense commune et de coopération économique entre les Etats de la Ligue des Etats arabes (Joint Defence and Economic Co-operation Treaty) de 1950. Il s'est agi donc d'un cadre collectif arabe et conformément à un accord arabe. Par ailleurs, notre pays a également été sollicité pour participer militairement à des coalitions au Moyen-Orient initiées soit par de grandes puissances non arabes, soit par des Etats arabes et a toujours opposé un refus poli à ces sollicitations. Encore une fois, l'attitude algérienne est le reflet d'une appréciation et d'une décision souveraines. Par ailleurs, l'Algérie, dont un de ses cadres dirige le Conseil «paix-sécurité» de l'Union africaine, a toujours soutenu les initiatives de cette dernière dès qu'elles s'inscrivent dans un contexte collégial africain. Ce fut le cas avec «le Processus de Nouakchott» initié par l'Union africaine en mars 2013 dans le cadre de la Structure africaine de paix et de sécurité. Pour rappel, ce mécanisme est destiné à renforcer la coopération sécuritaire entre pays du Sahel. Il regroupe 11 pays dont l'Algérie et les 5 pays du G5 Sahel et vise à «articuler l'action africaine dans les domaines de la sécurité, de la gouvernance, de la décentralisation et du développement des pays du Sahel». Mais ce processus est resté au niveau de projet africain. Il faut se rappeler que notre pays a aussi joué un rôle déterminant dans la création, en avril 2010, du Comité d'état-major opérationnel conjoint (Cemoc) qui est une structure militaire d'état-major dont le siège se trouve à Tamanrasset et qui regroupe les forces armées de l'Algérie et de trois pays du Sahel (Mali, Mauritanie et Niger) avec pour mission de coordonner et de «mener des opérations de localisation et de destruction des groupes terroristes. Comme on peut le déduire, l'adhésion de notre pays à des structures collectives de défense et de sécurité dans la région est motivée par le respect des engagements dans un contexte de défense commune, arabe ou africaine. Il ne s'agit pas de participer à une stratégie militaire initiée par un pays pour mener la guerre à un autre pays ou dans le cadre d'une coalition militaire. Certes, au fil des années, ce qui n'était qu'une position de principe est devenu une sorte de doctrine. Ce qui a permis à notre pays de ne pas envoyer son armée s'impliquer dans des conflits à l'issue incertaine et dont les conséquences n'étaient pas toujours prévisibles pour notre sécurité nationale. La communauté internationale autant que les pays voisins apprécient la contribution algérienne dans la sécurité et la stabilité de la région, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste. Avec l'adoption de l'alinéa en question, notre pays pourrait être relancé par les pays voisins du Sahel pour les assister dans leurs efforts de sécurisation de la région. La non-intervention des forces armées algériennes au Mali vers la fin de 2012-début 2013, pour soutenir le pouvoir central à Bamako, objet d'une vaste offensive terroriste, avait été critiquée non seulement dans ce pays mais également dans les autres pays sahéliens voisins. Même la France a tenté à plusieurs reprises de solliciter l'implication de notre armée dans le bourbier sahélien. En vain. L'attitude algérienne a ses raisons. Au Sahel comme partout ailleurs, l'Algérie promeut le dialogue politique et la négociation comme moyens de sortie de crise. En témoignent les efforts politiques et diplomatiques et l'assistance économique déployés pour la paix et la stabilité à nos frontières méridionales. Au Mali comme au Niger, notre pays assiste nos voisins qui font face à une rébellion locale depuis les premières heures de leur indépendance et dans la lutte contre les effets des crises humanitaires et sécuritaires par des dons, la logistique économique et la formation supérieure. En sus de ce soutien multiforme, l'Algérie a encouragé et abrité à plusieurs reprises des rounds de dialogues inter-maliens, et ce, depuis longtemps. La conviction algérienne est qu'il n'y a pas de solution militaire à un problème politique. L'aboutissement de ces efforts diplomatiques intenses soutenus par les protagonistes maliens et par la communauté internationale fut tel que c'est à Alger qu'a été lancé le plus récent des processus de dialogue de paix signé à Bamako entre le 15 mai et le 20 juin 2015, et dont l'Algérie assure la présidence du comité de suivi. À notre frontière orientale, l'évolution du conflit libyen ne laisse pas indifférent, bien au contraire, il est source de bien des préoccupations régionales et internationales et l'Algérie, plus que d'autres pays, est concernée par la recherche d'une solution politique inclusive entre Libyens. Mais la réalité quotidienne est autre et le conflit a depuis longtemps évolué au-delà de la volonté des seuls protagonistes libyens. Depuis le début du conflit en Libye, notre pays a condamné toute ingérence étrangère dans ce pays et soutient la solution politique libio-libyenne inclusive dans l'intérêt du peuple libyen, de la stabilité de la région et de la paix et de la sécurité internationales. Le dialogue politique est le remède. Par ailleurs, l'Algérie souscrit solennellement à travers les articles 29 et 31 de la Constitution aux principes et objectifs de la Charte de l'ONU qui portent notamment sur le non-recours à la guerre pour régler les différends avec d'autres pays ou pour porter préjudice à la souveraineté et la liberté d'autres peuples, sur la base de l'égalité souveraine des Etats, de la non-ingérence dans les affaires internes des pays et de l'engagement à promouvoir l'amitié et la coopération avec d'autres pays. Autant d'engagements qui devraient prémunir l'opinion nationale de toute inquiétude potentielle. Nonobstant le contexte politique transitionnel dans lequel se trouve le pays, allié à une pandémie aux effets inquiétants tant sur la santé de la population que sur l'état de l'économie nationale, il n'en demeure pas moins que le processus de révision constitutionnelle en cours n'aurait de sens que s'il tend vers l'édification de l'Etat de droit auquel aspire le peuple ainsi qu'exprimé à travers le Hirak, condition sine qua non pour la réussite de tout processus de réforme politique viable. L'espoir est de parvenir à mettre en place, à travers la Constitution, les mécanismes politiques et juridiques nécessaires pour faire éviter à notre pays, à l'avenir, la résurgence des dangers du régime autoritaire et hyper-présidentialiste, de la corruption, de l'injustice, de l'opacité et de la confusion des leviers du pouvoir et surtout et avant tout le danger du déni des dispositions de l'article 7 de la Constitution : «1- le peuple est la source de tout pouvoir et 2- la souveraineté nationale appartient exclusivement au Peuple.» M. Z.