Ce n'est pas une blague: le piratage des œuvres littéraires, ici le dernier en date au détriment de notre ami Waciny Laredj, et de son roman, L'Histoire du dernier Arabe, a encore un bel avenir devant lui et des suites. Mais alors qu'on s'attendait à des suites judiciaires et à des sursauts d'indignation dans les médias égyptiens, après ce forfait mémorable, voici, au contraire, qu'on nous annonce Al-Nihaya, le jour d'après. Le feuilleton égyptien à succès du dernier Ramadhan aura donc une seconde saison, comme pouvait le laisser prévoir le cliffhanger, inspiré cette fois-ci directement des séries américaines. C'est la star d'Al-Nihaya, Youssef Cherif soi-même, qui l'annonce dans plusieurs journaux du Caire, et notamment le quotidien cairote Al-Wafd, organe officiel du parti du même nom. Youssef Cherif, qui figure aussi au générique d'Al-Nihaya, comme auteur de l'idée, la joue modeste et affirme même qu'il est contre le fait d'ajouter immédiatement une suite à une œuvre à succès. Mais comme il a lui-même puisé dans l'escarcelle d'un autre, il ne se laissera pas voler le succès, évident, mais moralement immérité, de la production dont il a été le précurseur et la star. Bien entendu, il revient aussi sur la genèse du feuilleton qui aurait surgi tout armé et casqué de son seul cerveau, à l'exclusion de tout autre, et il affirme en avoir parlé d'abord à son épouse. Confidences, donc, et pas de livre sous l'oreiller.(1) Cela s'est donc passé exclusivement entre époux, et vu la réputation qu'il a et la barbe qu'il arbore en permanence, Youssef Cherif pourra jurer qu'il n'a lu que quelques Sourates et les 40 hadiths. L'acteur ne s'est pas fait prier pour en rajouter, affirmant que le feuilleton était à la fois un défi et une œuvre patriotique qui engageait la réputation de l'Egypte, citée au tout début du feuilleton.(2) À moins de considérer que les journalistes et les internautes égyptiens ne lisent rien de ce qui s'écrit sur leur pays, en dehors de l'Egypte, on peut s'interroger sur ce mutisme global. Pas la moindre allusion à cette histoire de plagiat alors que l'auteur de L'Histoire du Dernier Arabe a donné des éléments probants pour étayer ses accusations, confirmées par ses lecteurs. C'est à croire qu'en matière de violations des libertés, autant que dans le vol, en général, et celui des œuvres littéraires en particulier, il y a une espèce d'omerta arabe qui autorise l'impunité. Sinon, voler sa famille, son voisin, ses concitoyens reste absolument interdit, et c'est une violation flagrante du code moral, ou religieux, qui régit la vie dans les quartiers, les villes et les villages. Mais, cette loi non écrite, en la matière, doit certainement contenir un alinéa qui autorise les vols et pillages divers des œuvres culturelles, hors des frontières nationales, de préférence en Occident. La preuve par l'Egypte, encore : alors que tous les médias du Caire observent un silence prudent, pour ne pas dire complice, vis-à-vis du pillage flagrant de l'œuvre de Waciny Laredj, ils se sont déchaînés pour Naguib Mahfouz. Le tollé a été provoqué par les premiers épisodes de la série du Ramadhan, Al-Foutouwa, dans lesquels les téléspectateurs ont trouvé d'étranges similitudes avec le roman de Mahfouz Oulad haratna. Outre que les évènements d'Al-Foutouwa (Le Protecteur) se déroulent à la même époque (milieu du 19e siècle) que Les Fils de la médina. Ils ont lieu aussi au même endroit. Il s'agit du vieux quartier historique du Caire, Al-Djamalya, qui regroupe plusieurs édifices prestigieux, dont la mosquée d'Al-Azhar et les remparts datant de la période fatimide. Les producteurs de la série, réalisée avec une distribution prestigieuse, dont la star Yasser Djallal, au physique de lutteur des foires, ont fait monter ce dernier au créneau pour démentir. Ces dénégations ont eu pour effet de mettre fin aux protestations, mais l'athlétique Yasser Djallal ne s'est pas attardé sur les personnages et les lieux qui ont visiblement beaucoup inspiré Al-Foutouwa. Il s'agit d'un personnage qui fait un peu comme dans l'allégorie de Naguibe Mahfouz, et qui veut rétablir la justice et l'équité, mises à mal par les «protecteurs» maffieux du quartier. Comme Naguib Mahfouz faisait clairement allusion aux trois révélations successives, validées par le Coran, et que ça se passait sous les murs d'Al-Azhar, le roman est resté longtemps interdit. Le feuilleton a choisi une meilleure approche, avec les critères du présent, comme la polygamie(3) et la bataille finale entre deux héros se battant tout deux au nom d'Allah, mais Dieu n'en reconnaîtra qu'un seul. Seule la morale islamique s'en tire à bon compte, mais c'est tout ce que demande le peuple. A. H. (1) Quoique son épouse Angie Ala soit connue en Egypte comme auteure de romans, devenus des feuilletons saisonniers, comme Le jeu du diable, ou La loi du Karma. On peut supposer qu'elle a le temps de lire entre deux écritures de romans. Elle anime aussi la page Face-Book consacrée à la série Al-Nihaya, dont son mari est l'acteur principal et l'auteur de l'idée du feuilleton. Evidemment, on n'y trouve aucune allusion aux accusations de plagiat lancées contre les auteurs et les producteurs. (2) Les faits se déroulent à Al-Quds, et on apprend, par le biais d'un enseignant, au début de la série, qu'Israël a été rayé de la carte, suite à une attaque nucléaire, déclenchée par un pays arabe, qu'on devine être l'Egypte. C'est ce simple passage, en forme de vœu pieux, qui a suffi à déclencher l'ire des Israéliens et à booster la réputation et le succès de la série. (3) Depuis le succès de La Famille de Hadj Metwali, véritable tableau apologétique de la bonne vieille famille musulmane, recomposée au profit exclusif de l'homme, rares sont les feuilletons égyptiens où la polygamie n'est pas excusée, sinon encouragée.