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LE RETOUR DES CIGALES
Publié dans Le Soir d'Algérie le 08 - 07 - 2020

Je prends mal ce retour des cigales ; je ne vais pas encore rejouer la fameuse fable. Par ce temps de pandémie, je n'ai vraiment pas le cœur à prêter oreilles aux stridences d'une cigale. Si au moins elle servait à quelque chose ; j'ai beau cherché un bienfait quelconque ; j'ai beau demandé aux anciens l'intérêt de ce retour, je n'ai eu comme réponse que des haussements d'épaules et des «boff» de mépris. Et si La Fontaine, par sa fable, a fait de la cigale le symbole de l'inutilité et de la fourmi celui du labeur ! C'est du domaine du possible.
D'une part, la cigale est invisible, ou presque. Il faut des yeux de lynx pour surprendre une cigale en train de fomenter ses décibels. Parfois, il arrive de trouver sur le tronc d'un arbre son enveloppe, une fois la mue achevée. Sauf que cette bestiole est facile à entendre ; même un mal entendant est en mesure de suivre sa crise de démence ; La Fontaine dit que la cigale chante ; non, elle ne chante pas, elle explose les tympans ; encore heureux que le chant du chardonneret (L'maknine) ne ressemble pas à celui de cette faiseuse de tapage diurne ; la nuit, elle dort comme si elle rechargeait ses batteries ; au moment où le soleil est à son zénith, la voilà –la bougre- qui vient faire entendre une voix, à donner la migraine à une tête d'airain. Mais qu'est-ce qu'elle peut bien raconter à longueur de journée ? A-t-on décodé son cri de démence ? Si c'est pour annoncer la canicule, c'est inutile, on la ressent bien cette chaleur d'étuve, surtout quand ça atteint les quarante degrés Celsius. Qu'elle ferme son clapet une bonne fois pour toutes !
D'autre part, la fourmi –la bien nommée- n'arrête pas d'aller et de venir sans relâche ; industrieuse, à prendre comme exemple, elle profite de l'été –saison des greniers remplis de victuailles- pour planifier l'économie de l'hiver à venir. Au jardin, tout à l'heure, j'ai vu ces fourmis s'occuper à approvisionner la colonie ; elles s'appellent entre elles ; elles se protègent contre l'adversité ; elles ne perdent jamais le nord ; elles ramènent des brindilles de paille, des grains de blé, elles mordent les tomates à même la plante, elles coupent, elles macèrent, elles régurgitent et, habilement, elles se préparent pour l'hiver prochain. Et la disette ! La pénurie ! Le manque ! La fourmi, à elle seule, est un véritable ministère de l'économie et du plan.
La fable va plus loin que ma vision ; elle fait rencontrer la cigale et la fourmi ; oui, pas au moment des réjouissances de la cigale ; au moment des frimas de l'hiver, la fourmi, bien au chaud dans sa demeure, reçoit donc la chanteuse des rues. Il n'y a rien à gratter ô cigale inconsciente, tu as bien chanté à la belle saison, maintenant confinée par le froid, tu peux te réchauffer le popotin en dansant, toi qui te réchauffes les cordes vocales tout l'été.
Il y a un proverbe de chez nous qui dit : « axxam yergha, xersum a n sehmu ». Je tente une traduction (même si tamazight est langue nationale et officielle, c'est toujours le cas, n'est-ce pas ?) : « La maison brûle, autant se réchauffer. » Et au poète d'At Dwala, Zedek Mouloud, de renchérir dans le même esprit : « Limer ncefu/Tili macci akka/Imi ntettu/Yyaw meqqar ad necdah. » (Traduction : « On aurait eu bonne mémoire/Les choses ne seraient pas ce qu'elles sont/Puisque nous sommes oublieux/Entrez au moins dans la danse. »
Je n'avais pas l'intention de réécrire la fable de La cigale et la fourmi. J'avais juste envie de réagir à ces inconséquents qui courent les rues en ces temps « covidés ». Je ne peux pas ne pas revenir sur le sujet de Covid-19. Je flippe tellement par tout ce que j'entends et tout ce que je vois, qu'il m'arrive de «palper» cette infection. Chaque jour, je me promets de ne plus chercher les statistiques de la journée, malheureusement je me renie au quotidien. Les chiffres augmentent un peu partout. Ca flambe à Djelfa. Ça pousse à Boumerdès. Sétif se transforme en « Wuhan » algérien. Tiens, aujourd'hui encore, les chiffres s'affolent. Et je ressens une peur inexpliquée embrouiller mon cerveau. Pourtant, je sors masque ; je mets le flacon de gel dans ma poche ; je garde la distance ; je n'enlève pas la bavette ; j'évite le contact ; je me lave régulièrement ; j'évite le plus possible de sortir ; je continue en quelque sort le confinement, un confinement volontaire.
Puis, ça ne parle que de corona, matin et soir. C'est presque une hantise. Tous ont le remède. Le pain ? C'est simple, il faut le mettre au micro-ondes quelques minutes, le virus ne résistera pas à la chaleur. Et ceux qui ne disposent pas de cet appareil chez eux, ils font comment, hein ? La viande de boucher ? Il n'y a pas de souci, tu peux la consommer sans problème, cuite bien sûr. Les légumes ? Ne les fais pas rentrer à la maison, il faut les laisser une heure ou deux pour donner le temps au virus de dépérir. Se toucher la main ? Jamais ! Il est préférable de taper cinq avec le coude. Le coiffeur ? Il est préférable de s'acheter une tondeuse et de se faire couper les tifs à la maison. Les chaussures ? Il faut les enlever avant de rentrer chez soi, on peut ramener le Covid-19 aux talons de ses souliers. Et la liste est longue.
Je n'invente rien. J'entends ce discours à longueur de journée. Les gens tentent d'exorciser un peu leur peur. Sauf qu'à l'extérieur, je constate un laxisme à la démesure d'un pays. Juste une supposition : imaginons des tests massifs en Algérie, les « covidés » seront combien ? Un million ? Plus ? Et si la peur était réellement le remède, du moins en Algérie. C'est la meilleure manière de faire prendre conscience aux gens que nous vivons une pandémie gravissime. Et que rien ne sera plus jamais comme avant ! Il faut désormais revoir de fond en comble nos comportements. En cas de découverte d'un vaccin, les premiers servis seront les plus riches, les plus puissants, ya kho. On fera la chaîne. Il ne faut pas se leurrer ; la seule alternative est de s'astreindre à une discipline militaire. On pourra ainsi limiter la casse.
Je laisse la regrettée Safia Kettou clore cet espace de parole : «Une poignée téméraire/S'est soudain soulevée/Et par les mots et par les armes/Dans son sillage flamboyant/Entraîna les foules considérables/Ces torrents populaires/Ont déferlé vers les cités/Assiégées/Pour les libérer. »
Y. M.


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