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Pourquoi ne trouve-t-on pas l'huile d'olive algérienne dans les épiceries fines de Paris, Londres et New York... ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 11 - 07 - 2020


Par Nidam Abdi (*) et Maître Rachid Siad (**)
Cela fait pourtant un long moment que l'on nous dit que l'huile d'olive algérienne a une très grande réputation dans le milieu des professionnels de l'oléiculture à l'échelle planétaire. C'est donc sans surprise que nous avons appris mi-mai, en plein confinement français, qu'un jury d'experts européens avait attribué à quelques producteurs de Kabylie et de la Mitidja des médailles d'or et autres accessits. Un mois seulement après, c'est lors d'un concours à Athènes que l'on fait encore état d'une distinction pour un grand cru algérien. Enfin, en début de ce mois de juillet, c'est de Londres que l'on nous annonce une «Gold Medal» pour une huile d'olive originaire de Boumerdès.
Au-delà de la fierté que peuvent provoquer de telles consécrations internationales d'un produit algérien dans la diaspora comme en Algérie, une interrogation s'impose tout de même :
- Comment cette huile d'olive hissée par des experts intransigeants au goût de l'oléiculture est totalement introuvable sur le circuit commercial mondial des huiles alimentaires ?
- Quel pays méditerranéen de la Grèce à l'Espagne et du Liban à la Tunisie... aurait manqué une telle occasion pour écouler des milliers d'hectolitres en bouteilles aux couleurs locales dans les commerces planétaires de l'alimentation ?
Bien au contraire, en Algérie, une polémique est née durant cette période de pandémie, où l'on découvrait avec stupeur que l'huile d'olive se trouve inscrite sur la liste gouvernementale des produits interdits à l'exportation. En bref, il s'agit d'un bien de consommation primé et désiré mondialement mais qui n'a pas son visa pour aller égayer les plats des cuisines du monde.
Durant ces 20 dernières années, les gouvernants algériens avaient délibérément choisi trois seuls canaux pour promouvoir l'exportation des produits algériens :
⦁ le premier était d'avoir une cellule économique au sein des chancelleries ;
⦁ le deuxième fut de favoriser la création d'entités consulaires relais dans les pays occidentaux de la Chambre algérienne de commerce et d'industrie ;
⦁ enfin, le troisième et non le moindre, a été de laisser la possibilité de promouvoir librement et sans le moindre contrôle le «Made in Algeria» au seul réseautage confié à des clans à différents niveaux au sein du pouvoir avec les risques de dérives inhérents à ce type de pratiques.
A l'arrivée, le constat est amer pour l'économie algérienne.
Il peut être notamment illustré par l'évènement qui avait été organisé conjointement le 13 septembre 2018, dans les locaux du premier journal économique français, Les Echos, par le FCE et l'ambassade d'Algérie à Paris.
Après une matinée conclue avec la lecture laborieuse d'une lettre par Ali Haddad, l'Algérie avait donné encore une fois l'image d'un grand pays réceptacle d'équipements et d'infrastructures en tout genre et aucunement celle d'un producteur de biens de consommation d'une haute tenue valorisant les identités culturelles algériennes.
Durant cette même matinée, l'Algérie était perceptible comme un no man's land de l'investissement industriel et des services, où il ne fallait pas s'attendre à voir fleurir des entreprises innovantes, inscrites dans le jus local de ses multiples et riches territoires aux cultures vernaculaires différenciées.
Ce 13 septembre 2018, l'économiste Olivier Pastré avait l'air de s'interroger sur la galère algérienne dans laquelle il était venu se fourvoyer dans ce colloque. Lui, l'auteur en 2004 de l'ouvrage Le capitalisme déboussolé publié par les éditions La Découverte, prenait, sans broncher, la juste mesure de la déchéance du patronat algérien. Etant venu s'exprimer comme membre du Cercle des économistes sur un sujet tel : «Comment l'Algérie favorise un écosystème permettant le développement et l'implantation des entreprises du secteur privé ?», face à un patron des patrons qui n'en menait pas large, il prenait conscience ce jour-là que son intervention, devant un parterre de patrons algériens et de notables, ne le créditait pas d'une sincérité totale vis-à-vis de la réalité de l'entrepreneuriat en Algérie.
Durant ce même jour, le FCE publiait sur son site web sa revue de presse quotidienne. Il est fait mention «d'une semaine de l'Algérie aux Etats-Unis d'Amérique» où sont présentés des produits algériens dont sept venaient de bénéficier de signatures pour leur commercialisation sur «les étalages américains». Mais à défaut d'huile d'olive, il est cité des produits de groupes d'oligarques qui aujourd'hui ont maille à partir avec la justice algérienne.
A l'époque on pouvait ainsi lire que c'est un cabinet d'avocats d'affaires de la ville portuaire de Baltimore qui avait servi de sésame à l'entrée de produits algériens sur le marché américain. Grâce au cabinet Gabriel J. Christian & Associates, les entreprises algériennes en question jouiront d'une zone sous douane à Baltimore, d'un espace de stockage et d'un showroom qui seront mis à leur disposition afin de leur permettre d'exposer leurs produits dans les manifestations et salons américains», était-il écrit à l'époque dans la presse algérienne.
Comment pouvait-on dès lors imaginer de manière sérieuse qu'un accord avec un cabinet d'avocats d'affaires américain dont la mission essentielle et habituelle est de fournir des prestations juridiques et fiscales, puisse être doté d'un savoir-faire spécifique pour pouvoir promouvoir certains produits algériens auprès d'une clientèle exigeante dans l'un des marchés les plus concurrentiels au monde ?
Le groupe Condor, les Moulins de Amor Benamor, Faderco, Moussaoui Industrie, Safina du groupe Metidji, Inotis et les Grands Crus de l'Ouest pensaient-ils sincèrement que les pays réputés pour leur savoir-faire en termes d'export, comme la France, l'Espagne, l'Italie et Singapour avaient réussi à pénétrer le marché américain via des cabinets d'avocats d'affaires d'une ville d'un Etat comme le Maryland ?
Effectivement, ces pays pragmatiques ne signent jamais avec des cabinets d'avocats de tels contrats qui, bien que très onéreux, demeurent aléatoires car dépourvus de toutes perspectives et de résultats concrets, car chacun de ces pays a son propre réseau d'agences gouvernementales, totalement indépendantes des représentations diplomatiques.
Chacune de ces agences est dotée d'un véritable «know how» afin d'accomplir concrètement et avec succès le développement commercial des entreprises et l'exportation des produits à l'étranger des pays auxquels elles sont rattachées, et aussi de favoriser l'attractivité d'investisseurs étrangers dans la terre natale du produit. Prenons le cas de l'Italie avec son ICE-Italian Trade Agency, un réseau de 79 agences dans 65 pays qui dépend conjointement du ministère du Développement économique et de celui des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.
A Chicago, c'est le sémillant Michael Cappiello qui tient une des 5 Italian Trade Agency aux Etats-Unis. Très solide en marketing avec une maîtrise en politique comparée internationale de l'Université Loyola de Chicago, Michael courait, avant le Covid-19, les salons de l'est des USA pour promouvoir entreprises et produits italiens. Son réseau dans le milieu des entreprises américaines, des politiques économiques et des affaires est impressionnant. Durant la pandémie, il a trouvé l'ingénieuse idée pour maintenir les contacts entre l'Italie et le marché américain d'organiser chaque semaine des «webinars» entre l'Italie et les Etats-Unis.
Le dernier en date était le 2 juillet, entre la Chambre de commerce de Turin et Charles Bernardini, ancien membre du conseil municipal de Chicago, Mark Phillips, un expert du digital, Pat McGibbon, responsable de l'association des industriels de Washington, Cynthia Hutchison, fondatrice d'un centre de l'industrie 4.0, et Bruce Morey, un journaliste/éditeur d'une revue consacrée à l'industrie. On peut penser que les membres de la Chambre de commerce de Turin étaient ravis d'assister à un tel webinar et de comprendre les mécanismes pour pénétrer le marché américain. Ils étaient surtout fiers d'avoir, à travers 65 pays du monde, des agents efficaces pour promouvoir dans n'importe quelle condition les produits Made in Italy.
Les Espagnols ne sont pas en reste non plus et leur réseau ICEX España Exportación, créé en 1982 par décret royal, avec 30 agences dans les provinces du pays et une centaine dans des villes à travers le monde, qui est resté très actif durant cette pandémie. Durant le mois de mai, le réseau ICEX España Exportación a organisé avec les représentants de l'industrie de la viande espagnole toute une stratégie autour du commerce sur internet pour palier l'exportation physique des produits agroalimentaires en arrêt complet du fait de la crise du Covid-19. Il faut savoir que le réseau espagnol est rattaché au ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme et ne dépend aucunement de celui des Affaires étrangères dont la mission est de s'occuper exclusivement de politique diplomatique et non pas de questions de marketing. Ainsi, peut-on imaginer que les agents de ICEX España Exportación à Paris seraient restés inactifs si le dirigeant de Rungis, le plus grand marché mondial de l'agroalimentaire au monde, était d'origine espagnole ? Or, depuis la prise de fonctions à la tête de Rungis en 2012 de Stéphane Layani, natif d'Alger, il ne semble pas que les produits algériens soient devenus visibles sur les étalages des grossistes français, à l'instar de ceux en provenance d'Italie, d'Espagne et d'ailleurs. On peut mesurer le temps perdu pour l'économie algérienne durant la période du bouteflikisme, où l'exportation a été laissée à la merci d'un clientélisme qui a altéré toute idée d'un pays capable d'offrir sur les marchés internationaux des biens de consommation dignes de ce nom. Promouvoir le Made in Algeria uniquement en présentant ses produits sur un stand bien que doté d'une très grande surface dans les salons internationaux, avec à chaque fois des représentants des ambassades d'Algérie assis dans un coin, n'est pas synonyme d'une vraie stratégie commerciale digne de ce nom en faveur de la production algérienne.
On peut dire, que parmi les pays qui ont adopté ce système de réseau d'agences pour favoriser l'export et l'investissement, Singapour est devenu le maître du genre. Malgré la pandémie, le Singapore Economic Development Board (EDB) a réussi à lever 13 milliards de dollars pour l'investissement dans l'Ile Etat et capitale mondiale de la finance dans le sud-est asiatique.
Ce savoir-faire âgé de 58 ans, avec la naissance d'EDB en 1961, a permis au réseau singapourien de possèder 18 bureaux internationaux dans 12 pays (Chine, France, Allemagne, Inde, Indonésie, Japon, Corée du Sud, Suède, Suisse, Royaume-Uni, Etats-Unis et Brésil) et certaines des personnalités les plus notables du gouvernement du pays, de ses entreprises et des cercles communautaires ont été associées à l' EDB en tant que membres du conseil d'administration. En mars 2017 à Paris, dans une salle du Conseil régional d'île-de-France, lorsque le wali Abdelkader Zoukh a apposé sa signature sur le document liant la collectivité territoriale algéroise à la région francilienne présidée par Valérie Pécresse, pour la rénovation de la Casbah, la délégation de la wilaya d'Alger n'a pas remarqué un simple fait d'une grande portée à la fois symbolique mais aussi symptomatique du déséquilibre patent qui existe dans les relations commerciales franco-algériennes.
D'un clin d'œil, le représentant d'Île-de-France du réseau Business France a félicité son homologue de l'agence française à Alger. Le premier savait que, grâce au travail du deuxième, il allait pouvoir promouvoir et proposer à la wilaya d'Alger le savoir-faire des entreprises de sa région parisienne. Peut-on espérer qu'un jour cela puisse se faire dans le sens inverse ?
N. A. et R. S.
* Editeur de la veille stratégique Territorial Challenges, spécialisée en transition numérique et énergétique des territoires. Membre de Peps, la plate-forme qui réunit, en France, professionnels, élus et experts issus des secteurs publics et privé autour des questions environnementales et de leur impact social.
** Avocat à la Cour d'appel de Paris et ex-membre du cabinet Oussedik


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