Cela a commencé par la présidente du Rassemblement national, parti d'extrême droite, Marine Le Pen, qui s'est fendue d'une déclaration aussi grotesque que dangereuse à propos de la restitution des crânes de résistants algériens à la colonisation française dans laquelle elle ironise qu'après 60 ans d'indépendance, l'Algérie n'a rien construit. Une journaliste lui emboîtera le pas quelques jours après pour enfoncer le clou disant que ce pays n'était rien avant la colonisation. Le chroniqueur de sinistre réputation, en l'occurrence Eric Zemmour, affirmera tout simplement, quant à lui, que l'Algérie avant la France n'existait pas ! Cette tendance négationniste d'un passé colonial n'exprime pas des humeurs qui seraient passagères mais, bien malheureusement, participent à la construction d'une opinion à distiller pernicieusement dans les plus larges couches de la société française. Au moment où dans les milieux de bonne volonté l'on fait l'effort du devoir mémoriel salvateur pour deux pays intimement liés par tout un faisceau d'ordre historique et humain. Combat d'arrière-garde ? Selon toute vraisemblance, c'est le cas car, comment comprendre toutes les manifestations critiques à la faveur de la nomination de l'historien Benjamin Stora à la « Commission algéro-française sur la mémoire de la colonisation et la guerre d'Algérie »? Le choix du spécialiste de la guerre d'Algérie est tout indiqué du fait même de sa maîtrise du sujet comme le démontrent ses nombreux livres et études. Issu de la génération de l'après-guerre d'Algérie, Emmanuel Macron n'avait pas hésité avant même son investiture à l'Elysée à parler de « crimes contre l'humanité » commis par l'occupation française en Algérie... sans discontinuer jusqu'en 1962. Il formulera même des excuses une fois élu président et recevra pour ce faire la veuve de Maurice Audin torturé et assassiné pour avoir lutté pour l'indépendance de l'Algérie. Si les autorités algériennes enregistrent avec satisfaction cette nouvelle prédisposition, ce sont pour elles des « demi-excuses » appelées à évoluer vers des « excuses complètes ». Le jeune Président français, qui veut sans doute imprimer aux rapports entre l'ancienne puissance occupante et l'ancienne colonie une dimension tournée vers l'avenir dans le cadre de deux Etats souverains partageant des intérêts communs, est évidemment la cible de lobbies anti-algériens et leurs clients qui cultivent la nostalgie d'un passé – Algérie française — à l'évidence révolu à jamais. Algérianistes, pieds-noirs, voire harkis baignent dans la haine d'une Algérie qui a reconquis de haute lutte sa liberté et son indépendance, la dignité retrouvée. De la droite à l'extrême droite, le credo est le même quitte à avoir la dent dure à chaque date ou événement commémoratif. Et cela fait des émules puisque des intellectuels, journalistes, écrivains ou essayistes, pour certains sans liens directs avec « les événements d'Algérie », s'évertuent à vouloir démentir des faits avérés, têtus. Les enfumades du Dahra, entre autres exemples, seraient un détail mis en balance avec les bienfaits de la civilisation apportée à un peuple barbare. Jean Servillia est de la même génération que Benjamin Stora au regard de l'âge mais sûrement pas du même bord. Essayiste et chroniqueur au Figaro magazine, l'auteur de Les vérités cachées de la guerre d'Algérie (octobre 2018) multipliera les écrits et interventions dans les médias dans une démarche tout européocentriste et veillant surtout à ne pas ouvrir le placard aux fantômes qui risqueraient de lui causer des insomnies. C'est loin d'être le cas puisque, comme beaucoup d'autres tenants des bienfaits de la colonisation, il se complaît dans le confort du blanc bienfaiteur ! «Lors de la conquête, il n'existe pas de peuple algérien : l'Algérie, création française, rassemble des peuples et des tribus qui n'ont pas d'unité politique», dira-t-il dans un entretien au... Figaro magazine. S'il revient sur des événements majeurs qui ont marqué la guerre de Libération nationale, c'est pour leur donner une lecture sous son propre prisme. La torture ? Non, c'était un «interrogatoire poussé». Les événements majeurs de la guerre de Libération nationale «sont d'abord déformés et même mythifiés» selon lui. Il en est ainsi pour le 8 Mai 1945, l'insurrection du Constantinois en août 1955, la Bataille d'Alger en 1957, le putsch des généraux en 1961, l'OAS, les manifestations pacifiques des Algériens à Paris le 17 octobre 1961, les accords d'Evian, etc. Il contestera le chiffre du million et demi de martyrs au moment même où Abdelmadjid Tebboune déclarera que la colonisation française en Algérie a fait (au moins) 5,5 millions de victimes. Partant de l'idée que « la vision d'Emmanuel Macron est hémiplégique et manichéenne », il dénoncera sa décision de nommer Benjamin Stora, pour les raisons citées et parce que l'historien est « partiel et donc partial sur la question de la guerre d'Algérie et même « complaisant parce que sympathisant ». Ici nous ne sommes plus à la bataille des idées, arguments contre arguments mais devant une tentative d'excommunication, d'exclusion du débat. Faut-il s'en étonner pour autant sachant l'appartenance idéologique du chroniqueur ? Il doit savoir, mais pour d'autres raisons a contrario, que Stora, ici aussi, n'est pas exempt de critique. C'est donc à une bataille supplémentaire que devra s'atteler l'homme de confiance d'Emmanuel Macron et convaincre de sa bonne foi. Il sait sans doute que de la pertinence de ses travaux que dépendront les relations dépassionnées de part et d'autre de la Méditerranée. Mais faut-il craindre, qu'outre la montée de l'islamophobie, une algérophobie qui ne dit pas son nom prenne le relais à l'encontre de l'immense intérêt de voir s'instaurer des relations apaisées ? Brahim Taouchichet