Adem se retrouva dans une situation pire que celle de celui qui doit «savoir quitter la table lorsque l'amour est desservi» dont avait parlé Charles Aznavour. Dalal venait de dire à son mari qu'elle le quittait pour toujours. Lui aussi quitte sa maison et son travail pour aller sur les routes comme un Don Quichotte algérien des temps modernes. Des paroles et des situations brèves dans le temps en disent plus long que tout un discours ou un livre entier. Les trois premières pages du nouveau roman de Yasmina Khadra, Le sel de tous les oublis, provoquent chez le lecteur «une tempête sous un crâne», pour reprendre le titre d'un chapitre du chef-d'œuvre Les Misérables de Victor Hugo. «Voilà toute l'histoire. Elle se tut. Comme un vent qui s'arrête subitement de souffler dans les arbres. Mais Adem Naït-Gacem continuait d'entendre la voix de sa femme qui cognait sourdement à ses tempes, tel un pendule contre un rempart. Pourtant, tout venait de s'évanouir autour d'eux : le jappement des chiens, la brise empêtrée dans les plis du rideau, le crissement d'une charrette en train de s'éloigner. Puis le silence. Le terrible silence qui s'abat lorsque l'on réalise l'ampleur des dégâts.» Dalal venait de dire à Adem, son mari, qu'elle le quittait pour toujours. «Puis Dalal se leva tel un esprit frappeur, empoigna la valise et le sac à main dans le vestibule et sortit de la vie de son mari.» Ainsi la sortie de la maison et aussi une sortie de la vie du mari. Adem, sous le choc, se retrouva dans une situation pire que celle de celui qui doit «savoir quitter la table lorsque l'amour est desservi» dont avait parlé Charles Aznavour. Mais en proie à une sourde colère, il frappa violemment sa désormais ex-femme. C'est la première fois de sa vie qu'il frappe une femme. Sur la couverture du nouvel ouvrage paru chez Casbah Editions est bien visible Don Quichotte accompagné de son fidèle Sancho Panza. Mais en fait (et en faits), la Dulcinée de l'histoire racontée par Miguel Cervantès ne ressemble pas à la Dalal du roman Le sel de tous les oublis. «Lorsqu'une femme claque la porte et s'en va, elle emporte le monde avec elle. Adem Naït-Gacem l'apprend à ses dépens. Ne supportant pas le vide laissé par le départ de son épouse, l'instituteur abandonne ses élèves et, tel un Don Quichotte des temps modernes livré aux vents contraires de l'errance, quitte tout pour partir sur les chemins», lit-on en quatrième de couverture. Adem démissionna de son poste d'instituteur pour aller, comme il répondit au directeur de l'établissement scolaire, «là où je n'aurai pas besoin de sourire lorsque je n'en ai pas envie, ou de dire bonjour tous les matins à des gens qui m'insupportent ou bien encore de faire confiance à des êtres qui n'en sont pas dignes». Sur les chemins de l'errance et de sa nouvelle vie, Adem fait parfois des rencontres providentielles, comme celle avec un musicien aveugle au prophétique. Un jour, le destin le mena jusqu'à une kasma du FLN. «Le chef de la kasma prit Adem dans ses bras, le serra très fort contre lui. - Merci Si Adem, merci du fond du cœur. J'avoue que j'ai été choqué par votre attitude à Sebdou ; cependant, mon intuition me disait que vous alliez changer d'avis» (page 224). À travers les pérégrinations d'un antihéros mélancolique (comme l'était Don Quichotte), Yasmina Khadra offre au lecteur une méditation sur la possession et la rupture, le déni et la méprise ainsi que sur la place qu'occupe la femme dans les mentalités obtuses. Le sel de tous les oublis, un condensé d'émotions, d'expériences et d'aventures humaines très philosophiques de 287 pages, sera disponible en librairie le 20 août 2020. Ce roman «tube de l'été» et de la rentrée littéraire en Algérie est à lire et surtout à méditer. Kader B.