Choix délibéré, l'histoire du roman se situe juste après l'indépendance. "Une période que je n'ai pas suffisamment traitée dans mes textes, celle de l'euphorie, des grands espoirs, je suis revenu pour la raconter", explique Khadra. Le nouveau roman de Yasmina Khadra, Le Sel de tous les oublis, marquera certainement la rentrée littéraire de septembre prochain. Avant même sa sortie officielle prévue fin août 2020 aux éditions Julliard et Casbah, il fait déjà le tour du monde des médias et des plateformes de diffusion. Avec trente romans traduits dans une cinquantaine de langues, Yasmina Khadra est un immense écrivain dont le talent est reconnu aussi bien en Algérie qu'à travers le monde. Il présente son dernier livre dont l'histoire se déroule juste au tout début de l'indépendance algérienne. Adem Naït-Gacem est instituteur dans une petite école. Il est désespéré, car sa femme vient de le quitter. Il va errer sur les routes et croiser des personnages qui vont tenter de l'encourager. Comment ce personnage est-il sorti de l'imagination de l'auteur ? "C'est certainement le jour où j'ai rencontré des clochards sur une plage", explique Yasmina Khadra. "Je venais de rompre avec une amie très chère, et la seule façon de consommer mon chagrin était de m'isoler totalement." De Koléa, il se rend à la plage de Fouka. "Là, j'ai rencontré des clochards magnifiques, pas des êtres damnés, mais des personnages fabuleux qui avaient peut-être échoué quelque part et qui ont renoncé à leurs rêves et accepté de se décomposer au soleil" : des professeurs d'université, des journalistes, des militants de la guerre de Libération. "Ils ont été tellement déçus et trahis dans leurs convictions qu'ils ont décidé de se marginaliser ; mon personnage est allé les rejoindre, c'est comme cela qu'il est né." Adem est porté sur la lecture et a toujours un livre dans sa besace. C'est une référence claire aux écrivains que l'auteur pense avoir négligés dans ses livres : "J'avais besoin de me souvenir que c'est grâce à eux que je me suis construit." Entré à 9 ans dans la vie militaire, il estime que ce n'était pas la meilleure façon d'être heureux. "Tout le reste de ma carrière militaire est un parcours du combattant et non un repos du guerrier." Les écrivains – la lecture – vont l'accompagner et le soutenir "quand il fléchissait". Mais, contrairement à Yasmina Khadra, Adem lisait beaucoup, mais n'avait pas écouté les écrivains. "À quoi cela lui a-t-il alors servi ?" interroge l'auteur qui délivre un message : "Faites du livre votre meilleur compagnon, mais écoutez-le, ce n'est pas un objet, c'est peut-être la clé de votre destin ; la littérature est très importante." Choix délibéré, l'histoire du roman se situe juste après l'indépendance : "C'est une période que je n'ai pas suffisamment traitée dans mes textes, celle de l'euphorie, des grands espoirs ; je suis revenu pour la raconter. C'était la naissance d'une nation, avec ses naïvetés, ses espoirs, l'idéal de l'Algérie (...) Mon personnage va rencontrer toutes les mentalités et les préjugés." Adem Naït-Gacem serait-il un antihéros ? "Il y a une part de nous-mêmes dans ce personnage, celle de notre fragilité, notre désillusion parfois. On est très naïf, on croit en des choses qui n'ont peut-être jamais existé et qui deviennent réalité dans nos têtes : ce sont des convictions et non des vérités." Adem se laisse aller, ce qui déplaît à l'auteur qui rappelle aux gens : "Quelles que soient vos désillusions, ne lâchez pas, continuez de croire, ne faites pas comme Adem." Il faut pour cela avoir la capacité d'écouter le monde quand il nous parle et nous dit : "Aucun échec n'est une mort définitive, il y a toujours une vie après l'échec, y compris le bonheur, il faut chercher." L'image de Don Quichotte sur la couverture du livre symbolise "la recherche névrotique de la vérité, de la réponse aux questions que l'on se pose". En définitive, suggère l'écrivain, même au creux de la vague, on peut trouver le bonheur, et s'il n'existe pas il faut l'imaginer pour qu'il devienne "presque une réalité". ALI BEDRICI * Le Sel de tous les oublis, de Yasmina Khadra, éditions Julliard et Casbah, 256 pages, parution fin août 2020.