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Immersion dans un service Covid-19
La bataille «passionnelle» de deux praticiennes contre le virus
Publié dans Le Soir d'Algérie le 22 - 08 - 2020

C'était parti pour être un service Covid-19 de secours, le service rééducation-endocrinologie en est devenu le service principal ouvert au CHU Nedir-Mohamed de Tizi-Ouzou dédié à cette pandémie qui ébranle encore le monde.
Pour en assurer le fonctionnement, deux assistantes du service infectieux, Dr Aliane et Dr Mehidi qui ont déjà réussi la prouesse de comptabiliser les sorties de patients guéris par dizaines, alors qu'elles bouclent à peine un mois dans leur mission. Le fil de la passionnante histoire remonte à début juillet. Au CHU de Tizi-Ouzou, tous les services dédiés au Covid-19 étaient déjà saturés. À commencer par le service infectieux, où étaient affectés une vingtaine de patients. Un peu plus, quelque 25 à 27 au service pneumologie de l'unité Belloua, le service de médecine interne a libéré 9 places pour le Covid-19 et le service de pédiatrie près d'une quinzaine. Tous affichaient complet ! On n'avait d'autres recours alors que de retenir les évacués, qui présentaient des complications notamment ceux en détresse respiratoire, sur place au service de consultation grippe où se faisait le tri des malades potentiellement contaminés au Covid-19. C'est là où le malade évacué atterrit en premier lieu. Il est examiné et est soumis à l'habituelle enquête pour déterminer s'il a éventuellement été en contact avec un sujet déjà atteint.
Ce service de tri ne devait alors servir que d'escale, de transit avant que les malades retenus ne soient transférés vers les services d'hospitalisation. Mais vu les premières affluences de malades, les praticiens qui se relayaient à ce poste se retrouvaient à chaque fois face à la contrainte de retenir les sujets les plus atteints en surveillance devant les formes graves développées. Ce qui fait que cet espace de tri finira par être improvisé pendant plusieurs jours en espace d'hospitalisation.
D'où l'urgence de recourir alors à d'autres espaces pour contenir les nombreuses hospitalisations enregistrées quotidiennement. La direction décide alors de procéder, par réquisition, à l'occupation du bâtiment qui abrite les services de rééducation et de l'endocrinologie de l'unité Belloua. Deux niveaux ont été alors ouverts à la hâte : le rez-de-chaussée et le premier étage du service de rééducation dans un premier temps. Pour prendre en charge les malades, c'est l'appréhension chez le personnel en place du service. «On ne connaissait rien à la maladie. On savait juste que c'est dangereux et mortel parfois même. Donc j'estime que notre réticence au début est humaine, on ne savait même pas quoi faire au malade. On était habitué à tenir la main au malade pour lui réapprendre à marcher, ou à comment tenir une tasse de thé au bout d'un bras ‘'retapé'', mais là, c'est autre chose, complètement autre chose, c'est vital et complexe ! On se retrouve souvent face à l'urgence, il s'agit de respiration à réguler, d'oxygène, de malades qui suffoquent, de saturation à faire remonter (...) c'est de la réanimation carrément, et on ne savait quoi faire», avoue un paramédical du service. «C'est vous dire que ce fut vraiment soulageant que des infectiologues viennent prendre les choses en main. C'était apaisant. C'était en fait comme réaliser enfin qu'il y avait un pilote dans l'avion.»
De la rééducation fonctionnelle et de l'endocrinologie au... Covid-19
Le pilote, c'est elle et non lui. Elles sont même deux : Dr Aliane et Dr Mehidi, deux assistantes du service de maladies infectieuses du CHU, toutes aussi réquisitionnées par la direction du CHU pour prendre en charge les hospitalisations de ce nouveau service. Au premier jour, ce dernier en avait déjà accueilli quatorze. Mêlées entre femmes et hommes au rez-de-chaussée, les hospitalisations qui se multipliaient feront que même le premier étage soit vite occupé avec un total de plus d'une vingtaine de malades à prendre en charge. «Au départ, oui c'est vrai qu'être désigné pour prendre en charge un service vous procure un sentiment d'incertitude. On se pose tout de même la question : est-ce que ce n'est pas plus grand que moi ? Est-ce là un défi qui est à ma portée ? Voilà des questions de ce genre, mais il y avait également beaucoup d'envie de venir en aide aux malades, de tenter le coup, surtout qu'il est question de sauver des vies. La mobilisation s'est faite alors d'elle-même et on se sent galvanisé pour aller de l'avant. Et puis, quand vous avez le directeur général qui vous appelle pour vous confier une telle mission, ça vous renforce, ça vous donne du tonus. Je me souviens aussi du Pr Afiri, mon médecin-chef de service à ‘'infectieux'' quand elle a pris connaissance de ma désignation, me disant que je vais lui ‘'manquer''. Franchement, je ne peux pas vous décrire ce que j'ai ressenti à ce moment-là. C'est au plus profond, et ça m'a fait un mélange de grisaille à l'idée que je serai un peu éloignée du service, mais aussi de fierté et de motivation de réussir ce devoir, cette mission. Et Dieu merci, on s'en sort bien jusque-là», commentait Dr Aliane, ce petit bout de femme bien droite aux côtés de sa complice, l'autre assistante infectiologue, Dr Mehidi, devant l'entrée du service à Belloua. «Elle a bien résumé, que voulez-vous que je dise de plus ? C'est un sentiment qu'on a partagé dès le départ, et on vit l'expérience au quotidien. On est là chaque jour, du matin au soir. Pas de week-end, ni de jour de l'Aïd. Avec le temps, on a balayé le stress et le Covid-19 n'est plus pour nous une maladie à traiter mais une passion qui nous permet d'extraire de ce mal nos patients. Ça pourrait paraître de la philo ce que je dis, mais quand, tout à l'heure, on avait vu une vieille de 83 ans sortir d'ici, sur ses pieds, guérie après une semaine d'hospitalisation poussant des youyous en quittant le service, je suis juste tentée de dire que c'est magnifique. C'est le genre d'instants de séquences qui vous recharge d'un coup, on n'a besoin ni de manger ni de boire, ni de repos... Ça nous fait oublier toutes les difficultés», enchaînera Dr Mehidi.
Des difficultés, les deux maîtres des lieux en avaient à rémunérer, mais elles les évoquent au passé, car «la direction a assuré un bon accompagnement, en dehors, toutefois, de quelques manques sur les kits de protection qui surviennent encore sporadiquement, comme les lunettes qui font défaut. Mais, globalement, on est très soutenu et ça se répercute bien sur les malades. On était parti de rien sans exagérer. C'est un service qui a été créé de rien. On avait juste la structure, et aujourd'hui, on a tout ce qu'il faut. Il y a des équipements, des appareils de mesures divers, des chariots d'urgence, de soins ; bref, tout ce qu'il faut ou presque dans un service, de l'oxygène à tous les box, la réanimation de l'unité a été même ouverte au Covid, une seconde ambulance a été affectée spécialement aux malades contaminés hospitalisés ici à Belloua, le laboratoire de l'unité qui, habituellement, fermait à 16 heures assure désormais une prolongation jusqu'à 18 heures, des équipes de médecins, d'agents, et de paramédicaux à qui je rends un hommage particulier, de plus en plus avisés et studieux. Au départ, ils avaient tout de même galéré, ils faisaient monter des obus d'oxygène d'une centaine de kilos à l'étage. Et à chaque fois, il fallait faire ça, car un obus ça tenait quelque quatre heures, pas plus, et il fallait renouveler ça, car le malade ne pourrait tenir sans. Il fallait aussi nettoyer, assister les malades, répondre aux urgences qui peuvent survenir, aux parents qui pointaient continuellement devant le bâtiment», reprenaient-elles presque en chœur.
Le pari réussi pour réconforter soignants et patients
Auparavant, il faut «mettre en place un protocole à chaque patient admis sur lequel il faut procéder à un bilan complet pour déterminer le traitement à administrer. L'opération prend du temps et nécessite une mobilisation humaine, et quand vous avez huit nouveaux patients ou plus, et un cas qui se complique, ce n'est pas facile de faire face avec une équipe réduite et pas du tout habituée à ce genre d'exercice. Franchement, les équipes paramédicales, médicales et les agents qui font le turn-over, on leur doit reconnaissance. Car tous les patients ne sont pas faciles. On en a vu des cas et des cas : des diabétiques qu'il faut surveiller de près, des fois toutes les heures, des sujets atteints d'Alzheimer, donc à ne pas perdre de vue, des patients instables et turbulents qui arrachent leurs masques d'oxygène,... Ce n'est vraiment pas facile, et quand le malade souffre également de cécité ou de surdité, croyez-moi, un seul peut mobiliser toute l'équipe».
Dr Aliane et Dr Mehidi parlent ainsi quand elles évoquent le service toutefois suffisamment huilé. Les intervenants savent désormais ce que chacun doit faire. L'acte de soins est mieux maîtrisé. L'équipe a acquis de l'expérience dans l'exercice, même si la surcharge du service rend ce dernier plus compliqué. Mais tous avouent que c'est moins pénible qu'avant, à l'ouverture du service. Maintenant, les malades ne sont plus au rez-de-chaussée et au premier étage, mais au troisième et quatrième. Car entre-temps, le nécessaire a été fait en haut. Les deux étages supérieurs du bâtiment ont été dotés de réseau mural en oxygène. Et chaque box, chaque lit en est désormais doté. Un grand plus, un soulagement pour les malades, particulièrement ceux dans le besoin. Le déplacement est fluide entre les étages. Un technicien surveille de près le bon fonctionnement de l'ascenseur. Le rez-de-chaussée est désormais réservé aux consultations de contrôles.
«Avec les nombreux malades qui rentrent et qui sortent, on est quand même à une moyenne de trois à quatre sorties quotidiennes, et parfois on va jusqu'à huit et c'est autant de patients qu'on revoit généralement au quotidien aussi. Et notre soulagement, c'est le jour où on les revoit bien portants. Certains nous surprennent même par des «on est juste venu vous dire merci, on est très bien!», c'est tout simplement réconfortant, on sent alors qu'on ne se décarcasse pas pour rien. Vous savez, y a pas plus réconfortant que lorsqu'on vous reconnaît un mérite. C'est ce qui fait qu'on est là et on tient toujours», se soulage Dr Aliane. C'était parti pour être un service Covid-19 de secours, le service rééducation-endocrinologie en est devenu, par la force des choses, le service principal ouvert au CHU Nedir-Mohamed de Tizi-Ouzou dédié à cette pandémie qui ébranle encore le monde.
D'un service de secours au service Covid-19 le plus important du CHU
En chiffres, le service a déjà largement dépassé, en l'espace d'un mois depuis son ouverture, sa centième hospitalisation pour plus de soixante-dix sorties guéries, et encore une quarantaine de malades en séjour au quotidien. Le service déplore, jusque-là, deux décès sur place, et trois autres qui ont succombé aux services de réanimation où ils ont dû être transférés après de sévères complications générées par d'autres maladies dont ils souffraient. C'est dire que, comme partout ailleurs, au service Covid-19 de rééducation-endocrinologie de Belloua, il y a de l'apaisement né de ce sentiment du devoir accompli, comme il y a des moments de douleur quand l'équipe découvre qu'elle perd un patient. «Ça fait toujours mal de perdre un malade même si on est convaincu qu'on a tout fait pour lui, c'est comme ça. Mais il faut vite se reprendre, et Dieu merci, on n'a pas eu à vivre plusieurs difficultés du genre», dira Dr Mehidi qui insiste sur la prévention et la sensibilisation pour éviter la contamination.
«On en sait maintenant un peu plus sur le virus, de par le monde, on aura réalisé que malgré la virulence de ce mal, les sujets à grands risques restent les sujets âgés et les sujets traînant des maladies chroniques, notamment le diabète, la tension, l'insuffisance cardiaque... qui pourraient être à l'origine de complications irréversibles. Et comme, quasiment, chacun a, dans sa maison, au moins un sujet de ces catégories vulnérables, tout un chacun devra donc s'exercer pour rompre la chaîne de contamination pour éviter d'exposer les plus fragiles au danger. Je dis cela avec beaucoup de prudence, car même les sujets jeunes ne sont pas certains de s'en sortir indemnes, et il y en a eu des cas malheureusement», avertit-elle les plus insoucieux.
Amel Yani


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