Par Zoubir Zemzoum Le Hirak est, comme le qualifie le président de la République lui-même, un mouvement de sursaut national béni et salutaire. Il a permis une prise de conscience collective, de la société algérienne, de la nécessité de repenser les fondements de notre régime politique, notre modèle de développement économique, social et sociétal, pour répondre aux nouvelles aspirations matérielles et immatérielles de la société. D'autant que ces revendications de la société algérienne rejoignent celles de la société universelle qui mène, depuis la mondialisation du capitalisme ultralibéral, une lutte soutenue contre les multinationales qui gouvernent le monde, contre les politiques de réformes structurelles imposées à toutes les nations du monde portant atteinte, par leurs retombées négatives, à la souveraineté et aux intérêts majeurs des Etats et des peuples, de tous les pays, particulièrement ceux du Sud. Dès son accession au pouvoir, après l'élection présidentielle de décembre 2019, le chef de l'Etat, convaincu de la légitimité des revendications du Hirak, s'était engagé à les prendre en charge et à les concrétiser. Mais pour répondre aux doléances du peuple, il avait précisé, aussi, à maintes reprises, de prendre ses distances par rapport à l'ancien régime. Il avait affirmé son indépendance vis-à-vis des partis politiques, et précisé sa démarche se rapportant aux conditions, aux modalités et aux objectifs qui doivent caractériser la Constitution qui devrait statuer sur la nature de la nouvelle République revendiquée par le peuple. En affichant son indépendance par rapport aux partis représentatifs des différents courants idéologiques qui meublent le paysage politique algérien, en militant, également, pour l'engagement de la société civile dans la vie politique, économique et sociétal du pays, il laisse apparaître, en filigrane, les principes directeurs qui devraient imprégner le contenant et le contenu de la Constitution de la nouvelle République souhaitée par tout le peuple. Cette volonté de changement de régime, perceptible dans les derniers discours du président de la République, ouvre la voie à un débat déterminant sur la nature du projet de société attendu par la société. Un projet qui devrait répondre, non seulement aux aspirations matérielles et immatérielles du peuple, mais qui devrait s'inscrire, aussi, dans le sens de l'évolution des revendications de l'humanité largement exprimées par tous les mouvements contestataires et revendicatifs de la société universelle contre les pesanteurs et les méfaits de la mondialisation d'un capitalisme ultralibéral des plus oppressants et des plus aliénants. Ce que préconise le président de la République, par ces prises de positions, sur le pluralisme politique, et, par prolongement, sur la démocratie représentative, c'est la place et le rôle qu'il attribue à l'engagement de la société civile ans la vie politique, économique et sociale du pays, à l'implication du citoyen, dans cette bataille de redressement national. Sa proposition sur la relance du mouvement associatif, militant pour le renforcement de l'engagement de la société civile dans la bataille de redressement qu'il est décidé à mener à son terme, va contribuer, sans aucun doute, à la libération de la pensée du citoyen algérien des pesanteurs des luttes idéologiques récurrentes du passé et de la stérilité du dogmatisme de formations politiques déconnectées des préoccupations réelles du citoyen et de la société de ce XXIe siècle. Une nouvelle pensée qui mérite, donc, d'être explicitée. Par ces annonces, théoriques et pratiques à la fois, le président de la République voudrait inverser, en quelque sorte, la dialectique qui a prévalu jusqu'à ce jour dans l'élaboration de toutes les Constitutions des régimes républicains issus des Révolutions de 1789, de la bourgeoisie, et de 1919, des Bolcheviks. En privilégiant, dans le débat actuel sur la Constitution, la problématique du contenant institutionnel de la nouvelle République avant celle de son contenu doctrinal, il voudrait donnait plus d'importance à l'organisation du pouvoir des gouvernés qu'à celui des gouvernants. La priorité accordée aux aspects organique et technique sur lesquels doivent se mouvoir les articulations architecturales de la nouvelle maison républicaine, avant son contenant doctrinal, c'est-à-dire les constituants idéologiques du projet de société représentatif de la volonté de toutes les composantes de la société, constitue, en vérité, une véritable inversion de la dialectique, dans l'organisation du pouvoir gouvernants-gouvernés. Cette démarche procède du souci d'éviter au mouvement souverainiste national émergent les pièges de son enfermement dans la nasse des antagonismes idéologiques du passé. Le maintien de tels clivages idéologiques, dans l'élaboration de la nouvelle Loi fondamentale de la nation aboutirait, d'une manière ou d'une autre, à la copie de la République sous son mode institutionnel ancien et reproduire in fine le système de démocratie représentative, aujourd'hui rejeté, non seulement par le peuple algérien, mais aussi par tous les peuples du monde. Ce choix, délibéré, permet une meilleure structuration et organisation des institutions, de bas en haut, de l'Etat, non pas sur le mode ancien – gouvernants-gouvernés —, mais sur celui souhaité par la nouvelle société, gouvernés-gouvernants, en codifiant, en priorité, le pouvoir des élus mandatés par la société dans l'exercice du pouvoir à travers la place et le rôle que doivent jouer ces élus du peuple, issus du mouvement associatif de la société civile, dans l'élaboration et la prise des décisions concernant le devenir du peuple et du pays. C'est en cela que réside, pensons-nous, la nouveauté d'un discours présidentiel qui se démarque d'un pluralisme politique rejeté, de nos jours, par toutes les sociétés. Le modèle tunisien est en cela le meilleur exemple à ne pas suivre. À travers cette nouvelle forme d'organisation démocratique de la société, défendue par le président de la République, c'est la valorisation et le renforcement de l'unicité de l'expression de la souveraineté du peuple, une unicité qui reste, de notre point de vue, le meilleur rempart contre les dérives du pouvoir des gouvernants constatées et le moyen idoine pour expurger, avec la liberté et l'indépendance d'esprit retrouvées, du contenant institutionnel et du contenu doctrinal de la nouvelle République tous les germes de la division de la société, sources des maladies idéologiques infantiles qui rongent, encore aujourd'hui, les régimes républicains à l'échelle planétaire. Se pose, alors, les questions suivantes : - Comment garantir l'unicité de cette souveraineté et la protéger des assauts des partisans des idéologies dominantes : capitalisme, socialisme, nationalismes et autres fondamentalismes religieux ? - Quel est le modèle d'organisation démocratique de la société qui pourrait apporter une réponse objective à la concrétisation du projet de société découlant de cette nouvelle vision, qu'a le chef de l'Etat, de la nouvelle République souhaitée par le citoyen ? Dans les régimes républicains résultant des idéologies dominantes, capitalisme, communisme, socialisme, nationalisme et autres versions du fondamentalisme religieux et du fascisme, le système de démocratie qui les caractérise repose essentiellement sur l'organisation du pouvoir des gouvernants et les institutions s'y rapportant, plutôt que sur la participation du citoyen à l'exercice du pouvoir au sein des institutions, notamment celles confortant sa participation à l'élaboration, à l'exécution et au contrôle des lois déterminant son devenir matériel et immatériel. La déviation du sens de la démocratie, concept qui exprimait, originellement, la volonté de la souveraineté, une et indivisible du peuple, et par la liberté et le droit du citoyen de participer à la conception du pouvoir, à son organisation et à son fonctionnement au niveau des institutions de l'Etat, a été voulu lors de la l'instauration du régime républicain des temps modernes par la bourgeoisie qui en a été le promoteur, pour imposer son pouvoir afin de décider de la politique répondant prioritairement à ses intérêts de classe qu'à ceux de toute la société, de tous les citoyens. Pour redonner, donc, à la démocratie toute sa dimension humaniste première, il faut restituer au citoyen sa liberté et son droit de décider de la nature du pouvoir, de son organisation et de son fonctionnement au niveau des institutions de l'Etat, de façon à lui permettre d'y participer et de l'exercer, directement, en son nom et au nom de toute la société, pour concrétiser les objectifs inscrits dans la politique de développement conçue par les élus de la société au niveau des assemblées instituées, de la base au sommet de l'Etat. La Constitution de la nouvelle République revendiquée par le citoyen de ce XXIe siècle doit se fonder, donc, sur la démocratie participative. Toute l'architecture de son édifice institutionnel, de la base au sommet de l'Etat, doit porter l'empreinte de la participation réelle du citoyen au pouvoir et garantir son droit à la prise de décision garantissant le progrès de son devenir matériel et immatériel. De la démocratie participative Dans le cadre de cette vision de la démocratie participative que privilégie et défend, sans doute, le président de la République, le premier principe sur lequel se fonde cette organisation démocratique de la société est l'adhésion du citoyen, volontaire, libéré de tout engagement idéologique à une formation politique déterminée, de participer dans une association de son choix, sur les lieux de son activité professionnelle ou dans le quartiers où il habite, à toutes les actions d'ordre politique, économique, social ou sociétal visant une meilleure prise en charge de ses problèmes et ceux de toute la société, priorisant la défense des intérêts généraux de la société et du pays sur ceux, égoïstes, d'une classe sociale déterminée. Insérée dans cette nouvelle vision de la démocratie participative, l'organisation démocratique de la société basée sur le mouvement associatif ne peut être que la première et déterminante étape de tout le process de construction de l'édification de la nouvelle maison républicaine revendiquée par le citoyen algérien. Elle constitue le moyen le plus indiqué, à notre avis, qui permettra à toute la société de s'impliquer directement, à travers sa participation massive et réelle, à tous les échelons des instances législatives et décisionnelles du pays, à l'élaboration des politiques et des lois qui engageront le devenir du peuple et de la nation. La règle générale qui prime, pour toute adhésion citoyenne, à une association quelconque est le rejet – cela va de soi – de toute affiliation à une idéologie ou à un parti politique donné, car les missions essentielles des adhérents d'une association sont la défense et la prise en charge des revendications matérielles et immatérielles, à la fois, de chaque citoyen et de toute la société et non celles d'une idéologie et d'une classe. Cette vision sociétaliste caractérisant ce mouvement associatif national trouve toute sa dimension révolutionnaire et son illustration politique efficace dans le plein exercice, par le citoyen, de sa souveraineté, de sa liberté et de son droit de participation à la prise de décision qui le concerne et touche aux intérêts de la société et du pays. Au terme de ce processus d'organisation démocratique de la société et de la réalisation du système de démocratie participative, l'échafaudage institutionnel de la nouvelle République ne sera que plus facile à formuler et à concrétiser. Une telle vision de la démocratisation de la vie politique nationale délimitera positivement le champ du débat sur l'élaboration du projet de société initié à la base par tous les citoyens structurés dans le tissu associatif, enrichi par les différentes assemblées, de bas en haut, de l'édifice institutionnel de l'Etat et finalisé par l'Assemblée nationale, qui sera alors l'instance dirigeante suprême de la République. Dans le cadre de l'inversion de la dialectique signalée précédemment, l'architecture de la nouvelle République repose sur sa structure institutionnelle de base : la commune, circonscription géographique et administrative la plus indiquée pour ce genre d'organisation démocratique décentralisée de la gouvernance de la société et du pays. Dans chaque municipalité, l'organisation et la structuration de ce mouvement associatif national seront, à la fois, horizontales et verticales. Horizontalement, toutes les activités à caractère économique, social, sportif, culturel, humanitaire ou environnemental doivent être couvertes par ce mouvement associatif. Verticalement, toutes les associations représentatives d'un secteur d'activité donné doivent élire les représentants qui doivent constituer le conseil associatif du secteur d'activité s'y rapportant. Le conseil associatif de ce secteur d'activité élira son ou ses représentants qui devraient siéger au conseil municipal pour défendre non seulement les intérêts de tous les travailleurs du secteur, mais participer, aussi et surtout, à l'élaboration de la politique de développement des différents secteurs d'activité situés sur le territoire communal. Le mode d'emploi Voyons maintenant, dans la pratique, comment cette représentativité horizontale et verticale du mouvement associatif doit s'effectuer. Dans chaque secteur des activités à caractère économique, social, culturel, sportif, humanitaire ou environnemental à l'échelle communale, il existe, dans le même secteur, différentes formes d'activités ou d'entreprises. Dans chaque activité spécialisée ou unité de production d'un secteur déterminé, les citoyens qui veulent s'impliquer dans la vie politique nationale doivent créer leur association. L'objectif du collectif de l'association n'est pas de défendre uniquement les intérêts matériels et immatériels du citoyen, mais de participer à la réflexion et à l'élaboration de la politique générale du développement de leurs entreprises et à la prise des décisions se rapportant à la prise en charge des problèmes les concernant, d'ordre social ou humanitaire. Si, par exemple, tous les employés des entreprises du secteur industriel existant sur le territoire de la commune s'organisaient selon ce modèle associatif, chaque association d'une entreprise de ce secteur élira un délégué pour la représenter dans le conseil associatif qui sera créé au niveau de tout le secteur de l'activité mentionnée. Ce conseil du mouvement associatif de l'ensemble des entreprises d'un secteur d'activité donnée aura une double mission à la fois horizontale et verticale, par sa participation à la recherche des solutions aux problèmes soulevés dans leur secteur, au plan local, et au plan national, à la réflexion sur l'intégration des différentes entreprises de production dans la politique nationale d'industrialisation du pays. Tous les autres secteurs d'activité, quelles que puissent être leur nature ou leur vocation seront organisées suivant cette procédure. Le nombre des élus de ces conseils sera déterminé par les autorités compétentes nationales et locales, en fonction de la dimension et de l'importance de ces entités dans la vie économique, sociale, culturelle, sportive, humanitaire ou environnementale de la commune. Cet exemple illustratif du modèle de tissage du mouvement associatif, à la fois horizontal et vertical, au niveau de la commune, nous donne une idée de ce que sera, au bout de ce processus d'organisation démocratique de la société, le fondement de la nouvelle architecture institutionnelle de la nouvelle République du pays. Comme on peut le constater lors de la conférence nationale sur la relance économique du pays, l'idée du mouvement associatif lancée par le président de la République ne se résume pas, uniquement, à la réalisation de ce modèle d'organisation démocratique de la société. Si l'on se réfère à ses dernières déclarations lors des réunions des Conseils des ministres, de la conférence des autorités de wilaya et de la conférence nationale sur la relance de l'économie nationale, cet objectif est annonciateur, à notre avis, d'un nouveau système politique, d'une nouvelle vision du développement économique et sociétal et l'annonce d'un nouveau projet de société qui épouse son temps et réponde aux nouvelles aspirations matérielles et immatérielles du citoyen et de la société. Dans notre prochain article, nous essayerons de démontrer, dans le cadre d'une assemblée communale, tous les bienfaits du mouvement associatif et le processus de démocratisation de la société dans la gestion d'une municipalité, et sa contribution dans le redressement national du pays, la réalisation des aspirations matérielles et immatérielles du citoyen et de la société et l'instauration de la nouvelle République souhaitée par le Hirak, par tout le peuple. Z. Z. (À suivre)