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Politique de sortie de crise : pour une approche novatrice et une conduite du changement réussie
Publié dans Le Soir d'Algérie le 30 - 08 - 2020


Par Amine Kherbi(*)
L'histoire récente de notre pays, forte d'une succession d'espérances et d'impasses politiques, économiques et sociales, ne peut qu'inciter à redoubler de lucidité et de vigilance face à un présent problématique et complexe qui nous engage à prendre toute la mesure des difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans un contexte de crise beaucoup plus grave que ce à quoi l'expérience nous a accoutumés.
Avec la propagation de la pandémie de coronavirus et son impact sur la vie économique et sociale, l'Algérie affronte une crise globale, décisive pour son existence. La capacité de résilience du pays dépend de la réanimation générale de la société, du renforcement de la cohésion sociale, de la relance de l'économie et de l'utilisation des leviers dont dispose la puissance publique en termes de réglementation, de contrôle, de fiscalité, d'investissement dans les infrastructures et de mise en place de partenariats public-privé.
Cette crise, perçue comme une rupture profonde de paradigme, marque la fin d'une époque avec le dépassement de la problématique de la fin et des moyens. Aujourd'hui, l'équation lancinante que nous devons résoudre est celle du commencement et des possibilités. Le temps est donc venu d'imaginer les choses autrement en se fixant un nouveau cap, puis agir en synergie selon des modes de concertation novateurs afin de libérer notre potentiel humain et mieux gérer nos ressources naturelles. La poursuite de nos efforts en faveur de la politique du renouveau l'exige tout comme le commande l'impératif de stabilité et de sécurité.
Voilà pourquoi nous devons privilégier une approche novatrice et une conduite du changement réussie dans le choix de la voie du futur. Nous sommes contraints d'inventer une nouvelle architecture institutionnelle et d'élaborer une stratégie globale de développement. En ce temps de crise, le redressement du pays est l'affaire de tous. Le savoir, c'est y contribuer en recherchant des solutions constructives.
Les mutations géopolitiques et économiques du monde nous ont permis d'identifier depuis un certain temps les tendances d'évolution de notre pays. Celles-ci comportent des risques, des dangers, des défis et des atouts.(1) Ce que la crise nous apprend et nous oblige à considérer, c'est la prégnance de nos besoins de sécurité et de développement.
Il faudra donc commencer par surmonter les contraintes institutionnelles et managériales qui entravent le processus démocratique, pèsent sur les réformes et handicapent la productivité et la croissance. Ces enjeux sont liés : une accélération de la démocratisation et une relance économique induites par des facteurs internes ne pourront se faire qu'en assurant une saine gouvernance et un cadre législatif et structurel adéquat. Une conception de l'action prospective en temps de crise revêt, à cet égard, une importance cruciale.
D'où l'urgence des réformes politiques, économiques et organisationnelles qui seraient susceptibles de favoriser les transformations structurelles nécessaires à l'affirmation de l'Etat de droit et à un renouvellement des bases de la croissance fondé sur une nouvelle politique économique. Telle est la perspective d'une politique de sortie de crise viable conforme à nos desseins et à l'ambition que nous avons pour l'Algérie de demain.
Disposer d'une capacité d'anticipation
Plus que jamais, pour être en phase avec les mutations accélérées observables aux plans mondial et régional, l'Algérie doit non seulement agir au niveau des politiques monétaire et budgétaire, industrielle et commerciale mais aussi disposer d'une capacité d'anticipation. Dans un monde troublé et incertain, c'est la vocation naturelle d'un pays soucieux de sa stabilité et de sa sécurité que d'avoir une vision prospective pour inspirer l'action.
Même si la révolution informationnelle a mis la plupart des unités actives de la planète au même diapason, il est cependant aujourd'hui difficile de déterminer les choix décisifs à opérer pour les actions à court et à long terme dans un contexte aléatoire et fluide, caractérisé par les discontinuités et les crises. D'autant que la mondialisation complique certains aspects de la vie internationale et la globalisation des économies et des marchés rend problématiques la reconfiguration de l'Etat et le nouveau rôle qu'il est appelé à jouer.
Dans ce contexte où la tâche des gouvernements est devenue ardue, il est sinon impossible du moins difficile de penser une architecture optimale du système institutionnel, d'assurer un équilibre des pouvoirs et de découper les activités productives et l'espace géographique en tranches bien identifiées et relativement interdépendantes les unes des autres. C'est pourquoi il ne faut pas attendre de la crise actuelle qu'elle opère un tri entre bonne et mauvaise économie en favorisant l'accélération du changement et qu'elle fasse naître d'elle-même la lumière sur les causes qui la sous-tendent.
Certes, des vagues d'innovations dans le traitement de l'information, dont on n'a pas encore mesuré toutes les conséquences potentielles, provoquent globalement une mobilité accrue des marchandises et des hommes à l'origine des nouvelles mutations économiques résultant de l'hybridation des technologies dans les domaines de la santé, de l'environnement et de l'industrie des services.
Aussi, la capacité d'adaptation de notre société aux enjeux nouveaux dépend-elle de la restructuration des services des technologies de l'information et de la communication permettant l'essor des réseaux de communication, des services génériques et des applications télématiques. À cet égard, la réalisation de réseaux performants est une tâche essentielle qui exigera un effort durable des pouvoirs publics à tous les niveaux ainsi que la sensibilisation et la mobilisation des entreprises de services appelées à jouer un rôle important dans l'avenir.
La volonté devrait être affirmée de contribuer au renforcement de l'efficacité, de la cohérence et de la visibilité des actions, notamment en faveur des petites et moyennes entreprises grâce au développement des synergies locales et des technologies numériques. Il est essentiel également de tracer des axes complémentaires d'actions à engager dans une perspective de prise en compte des besoins de ces entreprises dans le marché intérieur en ayant en vue les exigences de renforcement de la compétitivité et les conditions indispensables à la croissance économique et à l'attractivité du pays.
Rompre avec l'ère bureaucratique
Cependant, dans la période de transition que nous vivons, le défi majeur pour l'Algérie est de rompre avec l'ère bureaucratique en mettant fin à l'économie rentière et à la corruption grâce à l'adaptation de ses modes de régulation et au renforcement de sa cohésion sociale. Nous devons donc faire en sorte que la politique de relance contribue sur des bases saines et solides à la modernisation de l'économie en produisant l'impact souhaitable sur l'émergence de nouvelles activités industrielles et de services favorisant une efficacité accrue du système productif.
Cette approche permettra de concilier défense de nos intérêts et logique de coopération en tenant compte d'un certain nombre de problèmes sensibles nécessitant des solutions urgentes adaptées à nos objectifs de développement et aux besoins de notre sécurité nationale.
Nos efforts devraient tendre vers un meilleur suivi des impacts sociaux et économiques ainsi que d'une plus grande compréhension de la dynamique de changement avant toute action. L'aptitude à l'ouverture des possibles est un des enjeux stratégiques majeurs du monde actuel. Aussi, pour affirmer sa présence sur la scène internationale et occuper la place qui lui revient au sein de la communauté des nations, l'Algérie doit-elle donner plus de cohérence à sa politique économique, adapter son action extérieure et relever le défi industriel et technologique afin d'améliorer sa position dans la compétition mondiale. À un moment où les crises accidentelles semblent remettre en cause ce que l'on croyait savoir, il convient de se faire une idée plus juste du monde dans lequel et sur lequel nous prétendons agir. Nos sujets de préoccupation doivent être en phase avec les protagonistes du monde contemporain. Presque toute la planète est actuellement engagée dans des processus de gestion et de sortie de crise selon le degré de capacité organisationnelle, de maturité politique et économique des pays concernés. Les instruments de gestion des crises n'ont jamais été autant sollicités qu'aujourd'hui.
Rien ne semble donc totalement inéluctable et diverses voies alternatives en termes d'action et de solution sont possibles selon le degré de mobilisation des moyens humains et des acteurs sur le terrain. L'essor conséquent des énergies renouvelables et l'utilisation systématique des technologies de pointe comme leviers principaux pour renouveler les bases de la croissance vont agir sur le processus d'intégration et l'environnement économique général. Il en est de même pour ce qui est du nouveau partage des compétences entre les administrations centrales, les collectivités locales et les entreprises ainsi que de la répartition des activités productives et la façon de dessiner l'image future du territoire. La prise en considération des problèmes d'adaptation des moyens d'hier aux fins d'aujourd'hui demeure en effet insuffisante pour trouver les combinaisons stratégiques possibles susceptibles d'atténuer l'impact global de cette crise exceptionnelle qui met en évidence de nouvelles règles du jeu et de nouveaux rôles dans la conduite des relations internationales des pays. À l'ère de la post-mondialisation, les Etats cessent d'être les acteurs les plus importants de l'action collective. Ils sont désormais concurrencés par une multitude de visions rivales issues de différents groupes, d'organismes privés et de cercles de réflexion.
À l'évidence, l'intérêt bien compris des uns comme des autres est de se mettre en quête de solutions en tenant compte des limites contraignantes d'un monde critique qu'il faut savoir réorganiser et adapter aux besoins des hommes comme aux ressources limitées de son environnement.
Voilà pourquoi, en dépit de la crise actuelle ou à cause d'elle, il appartient à notre pays de faire les choix les plus conformes à sa politique de renouveau et à l'impératif de son autonomie en privilégiant l'intelligence des situations pour trouver des terrains d'entente et des motivations partagées avec ses partenaires.
Intégrer les transformations du contexte global
Des institutions fortes, une gouvernance saine, un système bancaire performant, un cadre général et ouvert des échanges ainsi que des relations économiques adaptées aux règles mises en œuvre multilatéralement est le moyen le plus approprié de maximiser la croissance dans un monde interdépendant. Mais pour promouvoir la compétitivité et rechercher une position enviable sur le marché mondial, il faut une vision à long terme étayée par une gestion stratégique du développement industriel et commercial.(2)
L'industrie et le commerce doivent s'atteler plus fermement à la création de liens solides avec les entreprises et les consommateurs étrangers. La tâche à mener à bien est d'une ampleur telle que les mesures actuelles sont sans effet.
Pour pouvoir faire face efficacement à la relance du secteur industriel, au développement technologique et à l'accroissement des exportations hors hydrocarbures, il est nécessaire d'approfondir les réformes structurelles et de revoir la répartition des missions gouvernementales, notamment dans les domaines de l'éducation et de la santé, de l'économie et des finances, de l'environnement et du commerce, de la formation professionnelle et de la jeunesse, conformément aux exigences des nouvelles priorités de la politique de renouveau.
Même s'il semble quelque peu banal de rappeler l'importance de cette nouvelle identification des activités stratégiques pour l'Etat, il est incontestable que cela induit, dans les domaines concernés, des changements dans la façon de faire du gouvernement pour encourager les savoirs et adapter les pratiques à l'impératif industriel et au défi technologique.
La mutation systémique que connaît l'environnement international doit susciter chez nous une véritable prise de conscience. Celle-ci doit être à la mesure des défis à relever, des enjeux qui détermineront les fondements des partenariats à promouvoir et des initiatives concertées qui conditionneront les entreprises coopératives de l'Algérie avec le reste du monde.
Dans la relance de la croissance, la politique concurrentielle et l'attractivité du territoire sont appelées à jouer un rôle déterminant. Face aux problèmes économiques et sociaux qu'elle affronte aujourd'hui, l'Algérie doit réactiver sa politique d'aménagement du territoire en misant sur la création de pôles d'excellence et de compétitivité comme matrice des politiques territorialisées afin d'améliorer le niveau de la recherche-développement et mieux maîtriser les processus d'intégration dans les différentes régions du pays.
Pour assurer une gouvernance optimale et permettre un bon fonctionnement de ces pôles, l'Etat, les collectivités locales, les entreprises, les centres de recherche et de formation doivent avoir des rôles bien définis et œuvrer de concert dans le cadre des partenariats choisis pour réaliser les objectifs des projets retenus. L'attractivité et la compétitivité de notre pays seront ainsi mieux assurées.
Il est clair qu'une politique plus efficace en matière de répartition des activités productives et de protection de l'environnement suppose une économie de l'écologie fondée sur les énergies renouvelables, l'agriculture intelligente favorisant la sécurité alimentaire et une coopération internationale approfondie sur les techniques et méthodes de gestion écologiquement rationnelles. Cela appelle une politique de prévention, la mise en place d'un cadre propice à l'initiative, un ajustement permanent de la gouvernance d'entreprise grâce à l'amélioration du management, de l'accès au financement et du soutien à la coopération entre entreprises privilégiant l'emploi.
De ce changement de référentiel découle une évolution importante de la notion d'entreprises ou de secteurs stratégiques dans la mise en œuvre d'une nouvelle politique de développement et les formes d'implication de l'Etat dans l'aménagement du territoire, la protection de l'environnement et l'amélioration des conditions de vie dans les zones d'ombre et en milieu rural.
C'est la voie par laquelle passe l'internalisation des transformations du contexte global et leurs retombées positives sur la culture entrepreneuriale et technologique qui doit imprégner notre modèle de développement et favoriser une meilleure insertion de notre pays dans l'économie mondiale.
Agir sur tous les registres du développement
À une époque où les ressources-clés sont l'intelligence, la créativité et l'adaptabilité pour assurer l'accès du plus grand nombre à la formation et aux nouvelles technologies tout en endiguant l'exode des compétences, il est important d'agir tôt sur tous les registres du développement.
La gestion des biens communs doit, dès lors, inspirer les politiques publiques et l'action des citoyens dans le cadre du dialogue, de la concertation et de la délibération démocratique tant au niveau national qu'à l'intérieur des régions. La consultation, l'adhésion et la coopération de tous sont indispensables pour préparer l'avenir de la société algérienne. C'est un impératif démocratique de transparence, un gage de confiance et un atout pour la cohésion et la stabilité de notre pays.
Un changement de cap s'impose donc pour que la société accède à une meilleure qualité de vie grâce au renforcement de la lutte contre la corruption, à une gestion plus transparente des biens publics, au parachèvement de la réforme de l'administration locale, à la valorisation des ressources humaines dans le cadre de réseaux locaux d'apprentissage, de formation et d'encadrement, à la responsabilisation de l'individu et à la promotion de la participation sociale afin de réduire l'écart culturel qui sépare les élites du simple citoyen.
La grande mutation dont nous sommes les témoins a contribué à remettre en cause l'ensemble des repères auxquels nous étions habitués. Selon toute vraisemblance, elle conduira aussi à une modification des codes de l'action politique. Les acteurs politiques doivent en effet s'adapter à la nouvelle situation avec son exigence accrue. Dans la mesure où leur crédibilité dépend désormais de leur devoir envers la société, de leur savoir-faire et de leur engagement dans le développement des politiques publiques, leur rôle devient essentiel dans les choix stratégiques en cette période de crise qui appelle une transformation des cadres de pensée de l'action publique.
L'un des principaux défis que nous aurons à relever au cours des prochaines années sera de résoudre simultanément les problèmes de la santé, de l'éducation, de la formation professionnelle, de l'eau, des écotechnologies, du traitement des déchets, du management stratégique de l'information et du rôle des institutions dans la gestion des crises. Seuls les actes peuvent avoir un poids et un sens.
Il nous faut développer un esprit nouveau pour favoriser une politique des réformes dynamique et vertueuse, trouver des solutions efficaces et durables qui ont des répercussions sur les conditions de vie, les rapports sociaux, l'organisation de l'Etat et les activités de l'économie nationale. C'est ainsi que nous pourrons répondre aux exigences du changement systémique, donner un nouvel élan au processus de renouveau, actionner les leviers d'une nouvelle croissance et valoriser notre capacité d'innovation et d'adaptation pour préparer un avenir meilleur.
À l'heure où le facteur risque prend une dimension très importante, contribue à des retournements de situation et conditionne les choix stratégiques, seule une Algérie ouverte, dynamique, résolue, confiante et forte, disposant d'un système politique, économique et social adapté aux enjeux du XXIe siècle, sera en mesure de relever les défis dans les différents domaines qui concernent sa sécurité et son développement.
A. K.
(*) Diplomate de carrière, ancien ministre délégué aux Affaires étrangères et ambassadeur dans plusieurs pays. Il a été en 1993 membre du conseil scientifique du groupe Algérie 2005 chargé d'élaborer une stratégie de développement pour le pays et en 1994. Président du groupe d'experts du comité pour la protection de l'économie nationale.
1- Cf : «Les défis et les atouts de l'Algérie dans un monde en mutation», conférence donnée par l'auteur à l'Institut diplomatique et des relations internationales du ministère des Affaires étrangères, Alger, 27 février 2018.
2- Voir, Amine Kherbi : Eléments pour une politique de sortie de crise : la gestion stratégique du développement industriel et commercial, mimeo, Alger, décembre 1995.


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