Lors d'un rassemblement Place de la République à Paris, ce 28 juin, Meziane Abane, un ancien d'El Watan réfugié en France, selon lui, suite à des menaces d'arrestation en Algérie, jette un pavé dans la mare. Il prend la parole et dénonce publiquement les tentatives relativement réussies de Rachad de faire main basse sur le Hirak. Dirigé par des anciens du FIS, soutenu par le Qatar et la Turquie d'Erdogan, disposant de son rond de serviette à El Maghribiya, la télé prédicatrice financée par le Qatar et dirigée par l'un des enfants d'Abassi Madani pour faire de la propagande, Rachad investit en conquérant le Hirak. Au mot d'ordre du mouvement, Etat civil et non militaire, Meziane Abane ajoutait une troisième exigence : non islamiste. Cette sortie qui actualisait la « double rupture » chère à El Hachemi Cherif a été très mal vécue par les activistes de Rachad qui disposent, entre autres moyens, de la capacité financière d'instrumentaliser le dénuement des jeunes harragas sans papiers égarés dans Paris. Les vidéos montrent que c'est in extremis que le journaliste a pu être exfiltré par ses amis. Quand on interroge les hirakistes de la diaspora sur la réalité de l'infiltration de Rachad dans le mouvement, on distingue trois sortes de réponses. La première nie la présence des islamistes dans le mouvement. La seconde considère que les islamistes de Rachad ne peuvent infiltrer et instrumentaliser le Hirak pour la simple raison qu'ils sont partie intégrante de la réalité algérienne. Enfin, il y a ceux qui perçoivent la marque de la Taqiyya au sein de Rachad. Ils sont à l'intérieur du Hirak et utilisent le khawa-khawa pour endormir la vigilance républicaine des partisans d'un changement en faveur d'une Algérie libre et démocratique. Mais le fait est là. La prégnance de Rachad est de plus en plus grande dans le Hirak. Il semble que cette prédominance est plus importante en diaspora qu'en Algérie où l'islamisme a un autre nom et d'autres figures. La marche de Chambéry (France) vers le siège suisse de l'ONU à Genève initiée par des militants du Hirak en faveur des prisonniers d'opinion a du sens. Dans le huis clos morbide où se joue le destin de l'Algérie entre, d'un côté, un pouvoir très peu regardant sur les droits des personnes et, de l'autre, des citoyens qui exigent un changement, on ne peut pas indéfiniment continuer à crier à l'ingérence chaque fois que, rencontrant la surdité des dirigeants, les partisans du Hirak en appellent aux instances internationales reconnues par l'Algérie. C'est parce que cette démarche a du sens qu'à l'arrivée à Genève ont commencé à apparaître des mots d'ordre proches de Rachad qui ne rechigne pas à revendiquer un Etat civil et non militaire mais sans jamais adjoindre à cette exigence celle de rejeter un Etat islamique. Dans la fraternisation spontanée du Hirak dans lequel les islamistes se sont insérés en catimini, discrets et tête basse au début, beaucoup de démocrates et de républicains sur le terrain avaient cru à raison que les ex-sectateurs de la Charia avaient bien digéré l'expérience des années 1990 et compris que l'ère était révolue des diktats sur la société et l'Etat à coups d'assassinats et de « Aaliha nahya, aliha namout », « démocratie kofr ». Après le traumatisme de la guerre intérieure, nul ne peut plus imposer par la force quoi que ce soit aux Algériens. Ils peuvent subir, mais jamais accepter. Comme ils peuvent admettre de fait un élu d'une élection loin d'être fiable sans jamais le reconnaître totalement en leur for intérieur. C'est l'une des raisons de la « sagesse » de Gaïd Salah qui aurait bien daigné, selon ses thuriféraires, ne pas faire tirer sur les manifestants du Hirak. Mais l'époque est à d'autres formes d'hégémonie. Un discours comminatoire comme celui du FIS n'a aucune chance de passer aujourd'hui. Les islamistes l'ont bien compris, qui tirent aussi profit de la longue instillation du salafisme qui a ramolli dans le sens de la résignation la société algérienne. Ils ont vu aussi comment leur soutien, Erdogan, en Turquie, a pris le pouvoir en jouant le jeu démocratique des élections avant de l'utiliser pour couper les têtes qui dépassent, une fois en main le sceptre du pouvoir. Nous sommes en présence d'un changement de tactique et non de nature. Même si, au départ, toutes les couches de la société algérienne se sont retrouvées dans la kermesse du dégagisme, on savait que les choses allaient perdre de leur idéalisme une fois que s'imposerait la nécessité de passer à la vitesse supérieure, c'est-à-dire à parler de projets de société. Le risque de contamination qui a inspiré, dès le début du confinement sanitaire, la sagesse des hirakistes à interrompre les marches, et l'opportunisme du pouvoir qui a saisi cette occasion pour réduire le mouvement à coups d'interpellations et de condamnations, ont suspendu plus que réglé le problème. La reprise de celui-ci, partiellement, à l'étranger, notamment à Paris, a débridé l'appétit de prise en main du mouvement citoyen par Rachad, qui s'avère plus présent à l'étranger qu'en Algérie. Des militants démocrates commencent, en diaspora, à percevoir l'orientation vers laquelle on veut diriger le Hirak. Ils résistent, là où d'autres, en diaspora comme en Algérie, trouvent l'occasion en or pour dénigrer et le Hirak et la diaspora, ouvrant de ce fait l'un de ces fronts de la diversion, pain bénit pour les partisans du statu quo. Il s'agit juste de rester vigilant et de ne pas se laisser déposséder d'un mouvement, qui appartient à tous et à personne. L'islamisme d'aujourd'hui traîne ceci de congénital, le fait que, dès les origines de l'Islam, « il y a une fusion du politique et du religieux en un seul appareil », disait Maxime Rodinson, l'un des rares, sinon le seul, a avoir opéré une analyse marxienne de l'islamisme. Analyse qui permet d'en arriver à cette conclusion, que les démocrates d'aujourd'hui tentés par le compromis factice devraient méditer : « Les mouvements intégristes musulmans ne cherchent pas du tout à bouleverser la structure sociale ou ne le cherchent que tout à fait secondairement», « ils n'ont modifié les bases de la société ni en Arabie Saoudite ni en Iran.» Les nouvelles sociétés qu'elles ont établies ressemblent à celles qu'elles ont renversées. A. M.