Par Dr Boudjemaâ Haichour(*) Après avoir publié des études sur le haïk en étoffe blanche et la mlaya en tissu noir en tant qu'habit féminin, nous présentons ce qui va être un vêtement «culte de l'homme libre des Imazighen» qui singularise un prêt-à-porter citadin ou rural, notamment durant les fêtes et les cérémonies. Selon Ibn Mendour dans le dictionnaire Lissan al Arab, le mot «burnous» n'est pas d'origine arabe. Il serait appelé «bars». Aujourd'hui, le burnous est devenu un costume d'apparat aussi bien chez l'homme que chez la femme. Cet habit ancestral est tissé en laine, en poils de chameau ou en melf. Chez la femme, il est brodé et se met sur les robes du soir pour les noces ou cérémonies de circoncision ou mondaines. Depuis les siècles passés, Ibn Khaldoun appelait les Berbères «Ashab Al Baranis». Lors des fantasias, il devient la tenue officielle que met le cavalier pour donner une prestance et une stature sur la monture du cheval barbe ou pur-sang. Lorsque j'ai présenté la généalogie du couscous en tant que mets cérémonial aussi bien dans les Hauts-Plateaux que dans le Tell. Il représente le plat culinaire millénaire dans notre région maghrébine. Ibn Khaldoun délimite son espace en disant : «La contrée des Berbères commence là où les hommes portent des burnous et s'arrête là où les gens ne mangent pas le couscous.» En langue latine, le mot birnous s'épelle «pirnus» désignant une sorte de cape antique. Il revêt toute une symbolique de sagesse, de fierté et d'autorité. Pour la mariée et le mari, le burnous est l'habit de la pudeur. Il est à la fois un habit sobre et noble. Abordons donc les plans anthropologique, anthroponymique et généalogique. Le rocher de Cirta comparé au déploiement du burnous Je me rappelle de l'ouvrage écrit par Ernest Mercier, conservateur du musée de Constantine, lorsqu'il décrivait la situation topographique de la ville de l'Antique Rocher. Il disait : «Les indigènes comparent Constantine, vue des hauteurs du Mansourah, à un burnous déployé sur un rocher au soleil, au capuchon correspondrait La Casbah, aux extrémités des pans l'ancien emplacement du Bordj Asous et la porte d'El Kantara. Le profond canyon creusé par le Rhumel en escarpements pareil à un bracelet qui entoure le bras, ce fleuve grondant au fond d'un ravin inaccessible enserre le rocher qui supporte Constantine. Il défend cette ville comme les monts escarpés défendent le nid du corbeau. Constantine est bâtie sur un rocher aussi comparée à une bague qui entoure le doigt.» Abou Hafs Sidi Amor El Ouzzan, dans une lettre écrite à l'Agha où Constantine est surnommée «‘'Bled el Haoua'', elle croît et grandit comme une ville des passions». J'ai pris l'exemple de ma ville qui a été décrite comme une «cité aérienne», «cité du ravin» ou même «cité des passions». Nous sommes en plein ressourcement à travers notre patrimoine plusieurs fois millénaire et de notre culture vestimentaire. De son côté, Gabriel Camps relève dans l'Encyclopédie berbère, que dans la chaîne algérienne du Djurdjura, il existe des monts Baranès. Ces monts seraient ainsi nommés car leurs habitants portaient des capes similaires au burnous. Sont-ce les burnous originels ? Postérité historiographique et généalogique La recherche toponymique va nous expliquer clairement le succès de la conquête arabe de la fin du VIIe au IXe siècle qui aurait été préparée et facilitée par une renaissance surtout un profond renouvellement des populations berbères dans l'Andalousie en deux groupes, les «Botr» et les «Branis». Baranis est d'origine vestimentaire qui apparaît vers les années 697-720 chez Ibn Abdel Hakam traduisant une appellation de tribu. Albrenousse dans Léon l'Africain ou les manteaux à la Moresque appelés «albornoz» repris par Rich en 1706/59 et alburnos chez Chataubriand dans Les aventures du dernier Abencérage. Tribu des Baranis et l'étymologie du burnous Dès la première expédition en 711, l'armée musulmane était composée en majorité de Berbères aux composantes tribales très diverses telles les Zénatas, les Houaras, les Senhadjas, les Koutamas, etc., qui passèrent le détroit de Gibraltar (djebel Tarek). Or, à cette époque les chroniqueurs locaux Ibn al Kûtiyya, mort en 977, et Ibn Hayyan, mort en 1076, étaient les Berbères Botr et les Berbères Baranis. En 850 dans la région d'Algésiras, les chroniqueurs évoquent une autre révolte animée par un Berbère nommé Habib al Burnussi. Botr et Branis étaient donc les noms des deux tribus berbères qui prennent le contrôle de la péninsule confrontées à un environnement espagnol et arabe doublement hostile. Ainsi les berbères Botr qui habitaient l'Andalousie sont les Nafza, les Miknassa, les Houwaras, les Madyuna. En ce qui concerne les Baranis composés des Koutamas, des Zénatas, des Masmudas, des Sanhadjas, Ibn Hawkal, auteur vers 988, donnait une configuration de la terre au Maghreb où il a rencontré un généalogiste du nom de Abu Ishaq Farissi (Al Istakhri) où il a approfondi des connaissances considérées comme originales. Le mythe d'origine et la toponymie arabe en Espagne Les orientalistes ne verront qu'une allusion à une particularité vestimentaire, à savoir le «port du burnous». Ibn Hawkal met ces «gens à burnous» en les désignant par un ethnonyme. Il revient à Ibn Khaldoun l'origine de ce processus dont il est le témoin le plus éloquent. De là commence l'explosion spectaculaire de la littérature généalogique en Espagne. Nous sommes dans la construction du mythe d'origine sur lequel vont se greffer progressivement les diverses généalogies construites sur une riche postérité historiographique. Ce mythe d'origine du burnous va servir de fondement à l'ossature identitaire de Branès, père des tribus berbères qui, selon Ibn Khaldoun, évoquera la mention de ces personnages qui figurent dans l'œuvre d'Ibn Kutayba, mort en 889, où plus ou moins vont se confondre les familles Madghis al Abtar et les Bernès, confusion que rejettera Ibn Hazm en tant que généalogiste arabe d'Espagne. Il faut dire que c'est à partir du Xe siècle que se forgèrent les grandes constructions généalogiques autour de Madghis et de Bernès, issues des Berbères installés en Andalousie. Ce sont Hani Ibn Bakr al Darissi, Sadek ibn Suleimane al-Matmati,, Hani Ibn Masdour al Koumi. Ayoub, fils du célèbre Abou Yazid de la tribu des Zénatas, connu comme «l'homme à l'âne», celui qui passa de nombreuses années à Cordoue au milieu du Xe siècle, et Kalan Ibn Abi Luwa, hôte du souverain hammoudite de Malaga au début du XIe siècle. D'où l'arbre généalogique selon le schéma suivant : L'arbre généalogique des Banu Mazigh Cham-Canaan-Mazigh-Berr-Bernès (toutes les tribus Branès). Moder-Ghailan-Kays-Berr-Madghis Al Abtar (les tribus Botr). Mazigh ou l'ancètre éponyme des Berbères. C'est cet éponyme de Mazigh, connu en plusieurs points du Maghreb à l'époque romaine, qui donnera le peuple des Imazighen. Ces Berbères se retrouvent également entre Tripolitaine et Cyranaïque au IVe siècle dans le désert libo-égyptien considérés comme des néo-Berbères et Botr. Donc on peut remarquer que Bernès et Madghis al Abtar ont le même père, Berr, éponyme de ce peuple berbère. Mais selon Al Bakri, la grand-mère de Madghis al Abtar s'appelait Tamazigh. Ibn Hazm va dans ce sens en disant que Mazigh sera à la fois l'ancêtre de Branès et de Madghis al-Abtar. En réalité les enjeux réels autour des controverses généalogiques pour donner un fondement historique à l'opposition des deux branches berbères en Espagne sont un élément dans l'établissement d'une parenté berbéro-arabe. Les tribus Botr pouvaient revendiquer une origine arabe par leur descendance de Moder (ancêtre proclamé des Arabes Mudariste). Aux Branès d'établir leur parenté avec les Mudaristes qui en fait justifie l'alliance établie. Ainsi l'on constate la polémique qui s'est longtemps prolongée en Espagne entre généalogistes berbères et généalogistes arabes, qui ont donné un grand nombre d'ouvrages. La généalogie berbère est devenue un enjeu anthropologique et politique dans les pays du Maghreb, notamment avec l'avènement des Zirides en Tunisie à la fin du Xe siècle, accentuant la rivalité entre Senhadjas et Zénatas. Ce phénomène des apparentements onomastiques ont façonné la généalogie de l'Espagne et les Berbères ont imprimé durant plus de huit siècles le mode de vie espagnol et sculpter leur toponymie aux lieux et aux traditions. La légitimation par la toponymie arabe Ainsi en quête de légitimation, les héritiers de Ziri mobilisèrent un groupe de savants qui vont donner naissance à «l'historiographie dynastique ziride» au premier rang desquels figure le célèbre Al-Rakik, mort en 1024, qui, en historien, comprit l'intérêt des généalogies puisées dans des traités des généalogistes ibériques. Al Idrissi le géographe, mort en 1166, donne des descriptions très précises du peuplement berbère. Après lui vient Al Zuhri au début du XIIe siècle qui en fait de même dans son livre Kitab al Istibsar en 1191. Ensuite les compilations telles celles d'Ibn Saïd al Gharnati(XIIIe siècle), Abou al Fida(1273-1331) et Ibn Fadl al Umari(1301-1349), l'encyclopédiste Al Watwat, mort en 1318, et le voyageur Al Tidjani dans son récit couvrant la période (1307-1309). Anthroponomie et racines berbères Le reflet de la réalité sociale de ces époques vécues par les populations donne une idée toute relative. Ceci est compilé dans le Corpus des inscriptions arabes de Kérouan. Ce recueil a réuni une masse très importante d'épitaphes de Berbères arabisés antérieurement à l'arrivée des Hilaliens de 850 à 1049. Or, beaucoup de personnages possèdent un surnom qui peut être géographique, professionnel ou ethnique, sauf pour ce qui est d'Al Baranissi, c'est-à-dire fabriquant de burnous. Kusseïla a été tardivement surnommé Al Baranissi dans les textes du IXe siècle et Ibn Khaldoun dans ses chapitres historiques et sociologiques écrivit que la résistance dirigée par Kusseïla dans les années 670 fut un phénomène branès. Tandis que la lutte de la Kahina qui lui succéda s'organisa sous l'égide des Botr. Le récit national et les faits historiques Assez souvent comme le souligne R. Brunschwig, «la période de la conquête étant achevée, le récit change de caractère. Il perd beaucoup de sa forme de hadith et les faits les plus récents paraissent aussi bien plus sûrs». En conclusion voyez comment le burnous a une dimension culturelle pouvant nous mener à remonter notre histoire à partir de notre patrimoine vestimentaire. C'est un exercice de ressourcement et d'attachement à notre culture nationale et notre identité. B. H. (*) Chercheur-universitaire. Ancien ministre. Bibliographie : 1- L. Jouleaud : Les grandes lignes directrices de l'orographie en Numidie, Bulletin .soc-géog.Alger XVIII 1913 P.502-509. 2- E. Ficheuh et Agustin Bernard : Les régions naturelles de l'Algérie, Annales de Géographie, XI, Alger 1902 page353. 3- El Hadj Ahmed El Mori : Kitab Tarikh Qocentina trad A. Dournon Revue africaine lvii 1913 OPU Algerpage 269. 4- Jean Abélanet : Lieux et légendes du Roussillon et des Pyrénées catalane, Perpignan, 1999 pages 65/81. 5- A. Gateau : Ibn Abdelhakem et la conquête de l'Afrique du Nord par les Arabes, Annales de l'Institut d'études orientales d'Alger VI- 1942/1947 Page 135. 6- A. Gateau : Ibn Abdelhakam et les sources arabes relatives à la conquête de l'Afrique du Nord et de l'Espagne, RT-1936 pages 57/83. 7- Ernest Mercier : Histoire de l'Afrique septentrionale, Leroux éditeur-Paris 1888. 8- Rachel Arié : Etudes sur la civilisation de l'Espagne musulmane.