Le tribunal de Sidi-M'hamed a vécu, hier, une journée particulière avec la programmation de deux procès impliquant des responsables et des hommes d'affaires ayant prospéré à l'ombre du Président déchu Abdelaziz Bouteflika, en profitant de sa proximité, des pouvoirs de son frère Saïd et des largesses du régime démantelé par le mouvement populaire du 22 février. Il s'agit du procès des frères Kouninef et de celui des anciens ministres de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - C'est un autre chapitre du procès du régime Bouteflika qui s'est donc ouvert dans la salle d'audience du rez-de-chaussée du tribunal Abane-Ramdane, à l'occasion de l'ouverture du procès tant attendu des frères Kouninef, connus pour leur proximité avec Saïd Bouteflika et poursuivis pour plusieurs chefs d'inculpation liés à la corruption. Contrairement à la semaine passée, la juge a refusé de reporter le procès comme demandé par la défense. Les frères Réda, Abdelkader-Karim et Tarek Kouninef, qui avaient été placés le 24 avril 2019 sous mandat de dépôt, sont poursuivis pour «trafic d'influence», «blanchiment d'argent», «obtention d'indus avantages», «détournement de fonciers et de concessions», et «non-respect des engagements contractuels dans la réalisation de projets publics», en plus du «financement occulte de parti politique». Leur sœur, Souad-Nour, en fuite à l'étranger, ainsi que le gérant du groupe KouGC dont ils sont propriétaires, Keddour Ben Tahar, sont impliqués aussi dans l'affaire. Les principaux accusés, entourés de gendarmes, ont comparu avec dix autres prévenus en liberté, essentiellement des cadres des ministères de l'Industrie, de l'Agriculture, des Ressources en eau, de l'Energie et des Télécommunications, ainsi que d'autres secteurs, où le groupe KouGC a obtenu des marchés. Après l'appel des accusés et des témoins, la juge a commencé par interroger Réda Kouninef qui a révélé des chiffres astronomiques sur ses affaires et les concessions étatiques, en commençant par la privatisation des deux unités de l'Entreprise nationale des corps gras (ENCG), en l'occurrence Cogral (Corps gras d'Alger) et Cogo (Corps gras d'Oran) et les facilités et largesses accordées au repreneur KouGC, appartenant aux accusés. «Comment vous avez acquis ces deux unités ?», interroge la juge. «Par la voie des appels d'offres», répond Réda Kouninef, précisant qu'il a acquis 80% des unités en question, respectivement, à 42 et 53 milliards de centimes. Un litige autour de Cogral Alger a éclaté par la suite avec le conseil des participations de l'Etat, et la société des Kouninef a été indemnisée à hauteur de 120 milliards de centimes après avoir remporté l'affaire ! Interrogé sur les assiettes foncières et les avantages octroyés à sa société au niveau des ports d'Alger et d'Oran, l'accusé a répondu que ces terrains étaient la propriété de sa société. «Vous avez bénéficié de 64 000 mètres carrés au port d'Alger et vous n'avez pas payé les créances depuis 2008...», fait observer la juge. Et à l'accusé d'affirmer qu'il payait régulièrement les redevances. Et les 8 800 m2 au port d'Oran ? «Je ne me rappelle plus des chiffres», répond-il, ajoutant qu'il ne savait pas comment une extension de 2 000 m2 a été faite en 6 jours. Réda Kouninef ne sait pas également de combien de terrains a-t-il bénéficié au port de Jijel. L'accusé a fui plusieurs autres questions relatives aux avantages accordés aux filiales de son groupe, renvoyant la balle à leurs gérants. Il a justifié l'octroi d'autres projets par les qualifications de ses entreprises suite à des appels d'offres publics. Réda Kouninef a confirmé que le montant des marchés dont il a bénéficié dans le secteur des Ressources en eau s'élève à 14 556 milliards de centimes. La juge aborde ensuite le dossier d'Algérie Télécom qui avait tourné au scandale et que l'accusé a qualifié de «compliqué». Après un litige avec Algérie Télécom, l'entreprise des Kouninef, à travers sa filiale Mobilink, a gagné l'affaire en justice et a été indemnisée à hauteur de 281 milliards de centimes. L'affaire a commencé en 2004 lorsque les deux parties ont conclu une convention pour le raccordement des cabines téléphoniques Horia au réseau d'Algérie Télécom. Le réseau avait été déployé à Alger et devait être étendu à l'ensemble du territoire national avec l'installation de 20 000 cabines, mais le projet n'aboutira jamais. À l'éclatement du scandale, en mars 2019, Algérie Télécom avait réagi, expliquant que «ce projet dont l'accord a été signé entre l'entreprise Algérie Télécom et la société Mobilink à la date du 19 octobre 2004 a connu des anomalies dans l'application de ses clauses, ce qui a conduit à un différend entre les deux contractants au terme duquel le projet a été arrêté en 2010». Une expertise demandée par la justice avait relevé, en 2013, un manque de cartes de taxation et un retard dans l'attribution du signal d'inversion, un retard dans l'attribution du code du service et des numéros de comptes clients, une insuffisance des capacités d'intervention dans l'installation des lignes, une insuffisance dans l'approvisionnement des équipes en câbles... Malgré tout cela, Mobilink a gagné dans l'affaire «Vous remportez toujours les procès», s'étonne la juge avant de lancer une autre série de questions sur les avantages et les marchés obtenus par les Kouninef dans plusieurs secteurs d'activités. Réda Kouninef sera interrogé en outre sur sa relation avec Saïd Bouteflika, le frère conseiller du Président déchu. «C'est une relation d'amitié, sans plus. Ce n'est pas une relation d'intérêt et je n'avais pas profité de son amitié pour avoir des marchés», a-t-il répondu.«Vos relations avec les autres hauts responsables de l'Etat étaient-elles également des relations d'amitié ?», interroge la juge.«Oui», dit l'accusé. Pour le financement des campagnes électorales de Bouteflika, le prévenu a nié l'utilisation de l'argent du Fonds national de l'investissement dans cette opération, soutenant qu'il finançait ces campagnes électorales par son propre argent. Le procès s'est poursuivi avec l'interrogation des autres accusés. K. A.