Au nom d'un engagement solennel à moitié tenu, nous voilà donc invités à nous prononcer par le vote et seulement par un « oui » ou par un « non » au sujet d'un amendement en sept points de la Constitution. Après des consultations tout à fait formelles d'un Parlement à l'illégitimité notoire, l'électorat est appelé à tenir le rôle de « juge » afin de valider seulement quelques lois contenues dans le texte fondamental. De plus, en faisant le choix commode de recourir à l'artifice de l'urne référendaire, le nouveau régime a préféré se prémunir surtout des interprétations sujettes à des polémiques tout en optant pour une posture avenante. Seulement, l'enjeu de ce vote se déroulera à travers un binôme des plus lapidaires que propose la supposée démocratie participative. Trancher dans les choix par un « oui » ou un « non » n'est-il pas le plus détestable procédé pour se prévaloir d'une réponse ? C'est dire qu'il est tout de même dérisoire de décider du devenir d'un Etat en ne se contentant que de choisir le bulletin qu'il faut pour faire partie des victorieux. Ainsi, le « grand soir », qui sera sans surprise fêté par le régime, illustrera non pas les victoires réelles de la société mais bel et bien la volonté unilatérale d'un pouvoir soucieux d'imposer son omniscience avec tout ce que celle-ci suppose comme arrangements pour le futur et de garde-fous légaux en prévision des chocs qui ne manqueraient pas de surgir par la suite. Certes, la préoccupation immédiate des gouvernants concerne la réussite d'abord de ce scrutin. Or, par quelle magie pédagogique sauront-ils gagner, en trois semaines de campagne, la difficile confiance de l'opinion alors que le contexte lui-même est profondément marqué par un retour aux doutes eu égard à la multiplication des dérapages affectant essentiellement un courant de pensées réfractaire en partie à la démarche officielle ? Alors qu'il était possible de récupérer les doléances du mouvement du 22 Février pour en faire la base de lancement d'une nouvelle politique économique (NEP), l'on préféra plutôt traquer ces réseaux courageusement actifs et les inscrire dans les listes noires de « l'antipatriotisme ». Une bévue sans pareille due probablement aux pressions et tâtonnements de la première période du mandat mais qui suscita la réprobation publique de certaines couches sociales, lesquelles étaient pourtant disposées à accompagner la nouvelle autorité de l'Etat dans son désir de mettre de l'ordre et de la justesse dans ses décisions. En révisant à la baisse leur indulgence initiale, les petites gens, qui préconisèrent la « sagesse » au soir du 12 décembre 2019, allaient changer insensiblement de camp au fil des mois. Avec eux, le retour au vieux scepticisme typiquement algérien allait enrichir de nouveau les propos circulant de banc public en banc public, là où réside toute cette humanité de retraités. Au nom du « quant-à-soi », cette réserve personnelle, qui ne fait plus confiance même aux nouveaux dirigeants, devint alors le baromètre de la nouvelle désillusion. De celle qui, dans trois semaines, prendra la décision de ne pas se rendre aux bureaux de vote. En effet, face à la persistance de la suspicion, il sera effectivement difficile de mobiliser une bonne partie de l'électorat. Convaincus que le changement opéré en décembre dernier n'était qu'une reconduction des mécanismes du système, de nombreux électeurs pourraient être justement tentés de retourner à la vieille recette du boycott. Un recours qui, dans les circonstances présentes, n'aura d'autres significations que celle de la résignation après tant de promesses oubliées. En effet, l'idée répandue selon laquelle les votes demeurent encore de simples simulacres profitables aux seuls enjeux au sommet de l'Etat risque de démonétiser tout l'arsenal de la pédagogie électorale que diffusera incessamment l'autorité attitrée. Sous cet angle, les multiples maladresses commises par les animateurs de l'organisme idoine (Anie) confortent un peu plus les méfiances populaires. À force de se faire les gérants de la « transparence des urnes », ils ne pouvaient qu'achever les derniers scrupules des électeurs dociles. À juste raison d'ailleurs, car l'on ne gomme pas les doutes, voire la malfaisance des prédécesseurs en se réfugiant derrière les incantations. Au moment où l'on est contraint d'affronter la considérable difficulté qu'il y a à changer de « disque dur » de la politique d'antan, l'on organise le référendum du destin avec des outils et des discours de cette même époque. Alors que le contexte postrévolutionnaire prédisposait le nouveau chef de l'Etat à faire table rase des tabous hérités du régime précédent, l'on s'est aperçu qu'il éprouvait de sincères difficultés à y parvenir rapidement et dans le même temps à transcender les difficultés de l'intendance. Face à l'immensité des chantiers que son magistère doit traiter, de nombreuses voix politiques lui reprochèrent sa pusillanimité. Dans le même registre, les partis politiques, les plus en vue par le passé, n'apprécièrent en lui que son talent de « tireur de ficelles » sachant tenir simultanément les rôles de doctrinaire préparant la refondation de l'Etat et, dans le même temps, celui de réformateur de l'économie nationale. Cependant, il est nécessaire de se méfier de ce portait à double fonction que lui dressèrent les politiques. Tebboune n'est sincèrement pas « Docteur Jekyll et Mister Hyde » mais une personnalité nourrie d'une certaine rationalité que ne partagent pas ceux parmi les partis qui ont vite conclu que la « priorité » de l'amendement constitutionnel et la dissolution du Parlement relèveraient de facto du procès politique qui leur serait intenté. Or, ce soupçon visant le Palais est injustifié à moins de l'imputer à la vox populi laquelle y verrait dans la disparition de certaines « maisons du devoir », comme avait qualifié Boualem Benhamouda le parti unique, une initiative de « salut politique ». C'est pourquoi, les interrogations relatives au fameux ordre préférentiel ne relèvent pas de la volonté du Palais mais des exigences d'une partie des doléances affichées tout au long de l'an 2019. En privilégiant le sensible recadrage institutionnel de l'Etat, l'on peut deviner qu'il sera alors plus aisé au Président de maîtriser son futur agenda. Vainqueur par anticipation avant même d'avoir vaincu, le chef de l'Etat sera investi d'une autre légitimité qui sera tout de même mesurée à l'aune numérique des « oui » parmi les 23 559 829 inscrits sur le fichier national et validée pompeusement par l'Autorité indépendante qui parrainera les urnes. Un chiffre à retenir de mémoire pour avoir un ordre de grandeur au moment des résultats ! B. H.