Quel curieux mélange détonant que celui de la politique et ses implications électorales. Toutes les fois où elle désire tirer des dividendes des urnes, elle se révèle peu soucieuse de la vérité et même cynique quand il lui faut s'inventer des hauts faits relatifs à son rayonnement. C'est justement dans son rapport direct avec le public qu'apparaît l'insincérité des discours de ses tribuns et qu'il est loisible de mesurer la médiocrité de ses acteurs lorsqu'ils prétendent régenter le destin du pays et manipuler autant qu'il leur est permis le sens des vœux de la société en leur substituant leur propre démarche. Ainsi, au motif qu'elle aurait reçu du peuple un blanc-seing pour « aller vers les élections et à les organiser»,(1) l'institution militaire vient en effet de décider unilatéralement de les «programmer dans les temps impartis qu'on le veuille ou non et quels que soient les difficultés et les sacrifices».(1-bis) Au moment où une instance officielle multiplie les concertations et que d'autres organisations politiques rendent publics des manifestes, ce coup d'arrêt de l'état-major avait de quoi étonner les bonnes volontés qui s'étaient mobilisées pour entamer des démarches consensuelles destinées à sauver l'Algérie et pas le système. De plus, la martialité du ton de ce fameux discours laissa sans voix ceux et celles qui, depuis 6 mois, n'ont eu de cesse de battre le pavé. En faisant peu de cas des desiderata de la population, l'armée n'a-t-elle pas gâché sûrement toutes les possibilités d'un compromis ? Car, après avoir ignoré les travaux de l'Instance de médiation qu'elle encensa, pourtant, la semaine précédente, elle dérapa une fois de plus en ne prenant pas garde aux traditions protocolaires lorsqu'elle décida, de son… propre chef, de «convoquer le corps électoral pour le 15 septembre» alors que ce privilège revenait de droit au chef de l'Etat. Autant de maladresses qui, en s'ajoutant à une interpellation politique musclée, constituent le tournant décisif par lequel la caserne voudra marquer son ascendant. Celui d'être la seule institution à gérer et à superviser l'ultime opération en se proposant d'élire un successeur alors que, depuis vingt ans au moins, jamais la situation n'a été aussi favorable à l'enterrement du système et à la naissance d'une seconde république. Sauf que du point de vue de cette institution, celle-ci peut, en toutes circonstances, se prévaloir du devoir de neutralité qui lui permet de se soustraire de tout implication politicienne comme celle qui consiste à s'associer, voire à se «compromettre» dans le chantier des réformes de fond relatif à la nature de l'Etat. Ne revendiquant par conséquent que la stricte mission d'agir au profit de la stabilité institutionnelle du pays, il était compréhensible qu'elle ne dut contribuer qu'au rafistolage de l'institution présidentielle affectée par le vide laissé après la destitution d'avril. C'est ainsi que la solution des urnes devint la clé pour les Tagarins alors qu'une bonne majorité de manifestants y voit en elle l'impasse redoutée. Et puisqu'il semble que sa dernière suggestion risque bien de s'imposer, l'on se demande comment s'y prendra-t-on pour réussir cette élection majeure ? Autrement dit, le pouvoir intérimaire est-il en mesure de réunir toutes les conditions de sa réussite et qu'à la marge des amendements de la loi électorale et des commissions de surveillance, il sera en mesure de gagner la confiance de l'électorat ? Car, quelles que soient les promesses de l'armée, la probabilité d'un désastre consécutif à l'abstention n'est pas à exclure. En effet, l'on ne saurait faire l'impasse sur les revendications de la rue, surtout qu'il existera toujours un abîme séparant les partisans de la transition de ceux qui ont prôné le recours à la succession par la méthode des votes. D'ailleurs, l'on se demande également comment fera-t-on croire aux Algériens qu'il suffit de glisser dans l'urne une enveloppe pour contribuer à l'amélioration du sort collectif ? Ayant si peu à gagner au change en participant au remplacement du Président qu'ils ont destitué, n'ont-ils pas fini par ne plus croire en la capacité des votes à changer quoi que ce soit au vu de l'infortune générale qui affecte la société dans sa totalité. Perçues, certes, comme de respectables procédés sous d'autres cieux, alors que tous nos dirigeants, qui s'y sont succédé, les ont détournées de leurs objectifs, les élections sont, de nos jours, loin de mobiliser l'électorat. Justement, l'idée selon laquelle nos urnes ne seraient que des «boîtes à trafic» destinées à d'inavouables simulacres, ne s'est-elle pas vérifiée plus d'une fois à travers les mises en scène ayant permis la reconduction de Bouteflika ? C'est dire qu'à la suite de l'effondrement moral de la société, il est difficile de prescrire la thérapie politique des ancêtres en sollicitant sagement l'avis d'un électorat à qui l'on attribuait abusivement le sens de la pondération. Rien de tout cela n'est exact de nos jours, car, quel que soit le but que l'on souhaite atteindre par la voie des urnes, un scrutin n'est véritablement validé socialement que lorsque la puissance publique fournit les preuves de sa propre neutralité. Un préalable jamais respecté aussi bien par le pouvoir politique que par la haute administration. Pour cette raison et même pour bien d'autres, comme celle de la cooptation de personnalités douteuses, les Algériens ont intelligemment substitué l'abstention pure et simple au traditionnel vote protestataire. En somme l'électorat est passé de la posture d'un « cartel du Non » à la réfutation radicale des votes proposés sans faire la part du bon grain et de l'ivraie comme il se disait par le passé. Cette riposte qualifiée également de boycott ne s'est-elle imposée à partir du moment où l'électorat constata que la seule valeur ajoutée qui intéressait les pouvoirs résidait essentiellement dans les taux globaux de participation et non dans les tendances qui s'en dégageaient. Le fait de se tenir en dehors des consultations électorales s'imposa peu à peu comme une contre-morale civique à opposer aux traîtrises politiques. Ce sera justement cet aspect déroutant de la grève des urnes qui prit de cours pour la première fois Bouteflika en 2007 et contraignit l'administration à envoyer un courrier à chaque «électeur-coupable» le sommant de justifier sa défection. Une opération ridicule qui allait concerner pas moins de 4 millions d'inscrits vis-à-vis desquels l'on abandonnera toute poursuite. En se démocratisant (!) au fil des scrutins, le paisible boycott disqualifiera pour longtemps le formalisme de nos « votations » dont les légitimités relevèrent du folklore depuis l'énorme reconduction de 2014 d'un Président inapte médicalement mais, néanmoins, plébiscité par les urnes. L'imposture de trop qui allait installer la contestation dans la rue à partir du 22 février. Morale de l'histoire : ce sont bel et bien les pouvoirs qui alimentent le non-vote et jamais le contraire !!! B. H. (1) et (1-bis) : C'est littéralement en ces termes que Gaïd-Salah a conclu son discours prononcé le 2 septembre.