Les Emirats arabes unis ont décidé de jouer leur carte au Sahara occidental. Un jeu dangereux qui passe par l'ouverture prochaine d'une représentation officielle dans ces territoires occupés, dans une conjoncture qui en dit long sur leurs intentions véritables. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Mercredi 28 octobre 2020. Une information urgente fait le tour des médias internationaux et emballe le Maroc. Elle n'est pas des moindres. Les Emirats arabes unis annoncent leur intention d'ouvrir une représentation officielle sur les territoires occupés du Sahara occidental. Bizarrement, l'annonce n'émane pas du ministère des Affaires étrangères, mais du palais du prince héritier d'Abou Dhabi, le cheikh Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane. Les premières données indiquent que ce dernier a informé mardi soir le roi du Maroc de la décision de son pays d'ouvrir un consulat général à Laâyoune, mais sans en préciser la date. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et est analysée à différents niveaux en fonction des intérêts des uns et des autres. La raison ? Cheikh Mohammed Ben Zayed est le premier dirigeant arabe à franchir ce pas, à s'engager officiellement et publiquement à l'ouverture d'une représentation diplomatique sur les territoires occupés du Sahara occidental. Jusqu'ici, seuls certains pays africains alignés — qui par intérêt qui par projets futurs — sur les thèses marocaines se sont hasardés à cette mission. Dans la majorité des cas, les consulats promis se sont avérés n'être rien de plus que des bureaux fantômes plantés en plein Sahara. Le plus gros de l'opération résidait en fait dans l'effet d'annonce, dans le but évident de faire boule de neige et d'entraîner un maximum d'Etats africains. Pari perdu, la majorité de ces Etats restant pour cause attachés aux principes de l'Union africaine qui défend mordicus le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Dans les faits, le projet d'Abou Dhabi a de fortes chances de se limiter à l'ouverture symbolique de locaux, car là aussi, tout réside dans l'effet d'annonce. Et tout comme les Etats africains, elle se veut un signal aux autres pays arabes au moment où le Maroc, confronté à de réelles turbulences internes et en perte de vitesse dans le dossier sahraoui, en a le plus besoin. Les Emirats arabes unis ont eux-mêmes choisi leur timing. Des sources bien au fait du dossier indiquent que le projet en question date déjà de six mois, et qu'à cette date, les monarques d'Abou Dhabi et de Rabat avaient déjà tout ficelé. L'une des raisons pour lesquelles l'annonce se fait aujourd'hui est qu'elle a coïncidé avec la réunion du Conseil de sécurité et de la résolution portant sur la prorogation du mandat de la Minurso (Mission des Nations-Unies pour le référendum au Sahara occidental). Initialement prévue mercredi dernier, elle a été reportée à hier, vendredi en raison de l'apparition de nouveaux cas de Covid-19 parmi des diplomates, a annoncé cette instance. Le projet de résolution rédigé par les Etats-Unis contourne une nouvelle fois les desseins marocains hostiles au renouvellement du mandat des casques bleus sur les territoires occupés et au retour aux négociations. Or, cette résolution met l'accent sur ces négociations et les présente comme étant un «facteur de progrès crucial pour l'amélioration des conditions de vie du peuple sahraoui». Un nouvel appel aux parties en conflit est à nouveau lancé par le secrétaire général de l'ONU, et ce dernier stipule que les pourparlers doivent avoir lieu sans conditions préalables, «en tenant compte des efforts consentis visant à parvenir à une solution juste, durable et mutuellement acceptable, qui prévoit l'autodétermination du peuple du Sahara occidental». Le Maroc qui n'ignore pas la teneur du texte américain, n'ignore pas aussi que le passage de ce texte allait réduire à nouveau à néant tous ses efforts et prolonger l'attente de son opinion publique, nourrie aux promesses depuis de très longues années. Abou Dhabi intervient ici en sauveur. Il place officiellement sa carte dans le dossier au moment où il estime être au plus fort de sa diplomatie qui a établi des liens officiels avec Israël. Sa nouvelle position lui confère davantage de poids dans les coulisses des Nations-Unies et du Conseil de sécurité. Le message s'adresse aussi aux autres monarchies arabes appelées indirectement à appliquer la règle bien connue de solidarité avec ses pairs. Les Emirats arabes unis font ainsi d'une pierre deux coups, affirment d'anciens diplomates bien au fait de la situation. Le pays offre d'abord à Trump une carte maîtresse en pleine campagne électorale, puisque ce dernier peut désormais se prévaloir, auprès de son opinion, d'avoir réussi à entamer un processus de normalisation entre les pays arabes et Israël. Il se place en second lieu en position importante dans une région stratégique, extrêmement sensible et déjà en proie à de nombreuses tentatives de déstabilisation. «Ne soyons pas naïfs, soutiennent des connaisseurs de la question, l'ouverture d'une représentation émiratie au Sahara occidental veut aussi dire qu'Israël s'installe officiellement dans la région, et l'on sait d'autre part le rôle qu'a joué cette monarchie dans le dossier libyen. Ce qui se passe actuellement n'est pas bon du tout», soutiennent des observateurs bien au fait de la situation. Les mêmes sources estiment par ailleurs que l'ouverture d'une représentation dans cette région profite plus à Abou Dhabi qu'au Maroc. Les premières déclarations en provenance de Rabat ont d'ailleurs été davantage perçues comme étant une manière de rassurer l'opinion marocaine, puisqu'elles écartent toute possibilité d'une reconnaissance d'Israël et l'établissement de liens officiels avec Tel-Aviv. La presse marocaine a même fait intervenir à grande échelle des «sources» et des spécialistes qui ont affirmé que toute normalisation avec Israël était impossible, et que les dirigeants marocains savent à quel point l'opinion marocaine est attachée à la cause palestinienne. À travers le monde, les Etats traditionnellement attachés au principe d'autodétermination du peuple sahraoui n'ont pas encore livré leur point de vue sur la question. La réaction la plus attendue est naturellement celle de l'Union africaine. L'organisation s'est jusqu'à présent distinguée par une hostilité féroce à toutes les démarches pouvant entraver le processus devant mener à l'organisation d'un référendum d'autodétermination du peuple sahraoui. Les pays africains qui ont décidé d'ouvrir des représentations diplomatiques sur les territoires occupés, ont été durement recadrés et mis en garde. Alger s'est aussi toujours opposé à chaque ouverture diplomatique africaine au Sahara occidental. L'ouverture par la Guinée et le Gabon de représentations consulaires ont été par exemple particulièrement fustigées. Dans un communiqué rendu public, le ministère des Affaires étrangères a qualifié le fait de «décisions graves, qui constituent une violation flagrante des normes du droit international, des décisions et des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations-Unies relatives à la question du Sahara occidental ,et qui ne peuvent en aucun cas légitimer la colonisation de ces territoires ni remettre en cause le droit inaliénable et imprescriptible du peuple sahraoui à l'autodétermination». Pour l'heure, les Sahraouis ont réagi jeudi par la voix de leur ministre de la Communication qui a appelé la communauté internationale à ne pas se taire face à ces graves développements. Il faudra sans doute attendre les prochains jours pour voir apparaître les premières réactions dans la région. Les Emirats arabes unis ont mis le pied là où il ne fallait pas, au moment où il ne fallait pas. Un jeu dangereux est en cours... A. C.