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Si le 1er Novembre m'était conté...(*) (1re partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 11 - 2020


Par Abdelalim Medjaoui
En hommage au regretté âami Madjid Merdaci, Allah yarhmou !
Il faut que notre résistance devienne plus forte que leur répression !
Mohammed Belouizdad
(Dans son enseignement lors de ses efforts pour la reconstitution des rangs du PPA saignés par la tuerie de mai 1945).
On peut dire que ceux des «élèves» d'un Belouizdad pourvoyeur d'espoir qui ont déclenché Novembre ont parfaitement assimilé la leçon et réussi en la matière. Ils ont su susciter et organiser la résistance populaire à l'échelle nationale et la rendre si ferme qu'elle fera échouer la formidable guerre de reconquête lancée contre elle et, par là, l'objectif du pouvoir colonialiste de maintenir et protéger «l'Algérie française».
Comment cette résistance s'est-elle manifestée et organisée ? Comment l'ALN est-elle née ? On ne dira jamais assez l'audace raisonnée de ce petit collectif des «22» qui s'érige ainsi en démiurge d'un mouvement qui bouleverse le monde colonial et au-delà, et participe de la libération de l'Homme.
Comme tout ce qui est nouveau, cela n'a pas été facile ; mais engager la lutte armée, cette nouvelle façon de faire de la politique, en défendant notre propre champ politique national, c'est-à-dire en se situant hors du système colonial, et en le remettant en cause, c'était – répétons-le – vraiment une innovation.
Le sens des premières actions
Ce qui a préparé à l'implantation de l'ALN, ce sont les premières actions des «22» hommes de Novembre, et de la maigre cohorte de leurs compagnons de l'OS qui étaient décidés à les suivre, augmentés de ceux, sans doute un peu plus nombreux, de Kabylie.
Ces actions n'ont pas toutes rencontré le succès attendu. Il n'était pas facile, même pour les plus intrépides, de partir à l'assaut d'une forteresse réputée invincible pour marquer le nouveau champ politique national..., ... et pour récupérer des armes afin d'abattre cette citadelle.
Mais ces actions ont retenti à travers tout le pays sur l'étendue duquel elles ont enclenché la lutte armée des paysans, marquant la volonté de négation de «l'Algérie française», et c'est ce qui fait leur importance.
Les médias de la France coloniale, en Algérie et en ladite «métropole», la presse internationale témoignent, en ce 1er novembre 1954 de l'écho assourdissant de ces actions. Des actions armées étonnamment osées contre une puissance qui vient, certes, de subir le cuisant Diên Biên Phu, mais qui, de ce fait, se promet de prendre sa revanche en ne se laissant plus faire dans la défense de la Grande France dont la République impériale l'a chargée...
Les journaux colonialistes, cartes à l'appui, font le bilan de leur «nuit de la Toussaint» : des actions limitées et «sporadiques», pas de quoi fouetter un chat, mais quand même un «crime odieux» dans les Aurès, commis par des bandits contre la culture, contre un instituteur qui rejoignait, avec sa femme, son poste d'instituteur à Arris.
Cependant, une appréciation plus proche de la réalité du bilan de l'ennemi est portée par un des acteurs les plus symboliques de ladite guerre d'Algérie, je veux parler de l'«assassin» de Ben M'hidi, le général Aussaresses. Je mets les guillemets à ce terme, puisque, selon l'auteur de cet acte, son engagement dans les services spéciaux a décriminalisé(1) ce qu'il a accompli comme «actions réprouvées par la morale ordinaire, tombant [...] sous le coup de la loi [...] : voler, assassiner, vandaliser, terroriser...». Il précise : «Tout cela pour la France...» (C'est moi qui souligne).
Rappelons que le 12 novembre, le conflit fut officialisé sans ambiguïté par la République : la seule négociation, c'est la guerre ! Ce général précise : «Mais cette guerre, nous les hommes de l'ombre savions bien qu'elle était commencée depuis longtemps. Le gouvernement dont nous dépendions le savait aussi. Depuis près d'un an, le Service Action du SDECE [...] commençait à préparer des actions(2) visant à empêcher la rébellion de s'approvisionner en armes.» Diên Biên Phu n'était pas encore digéré que «la lutte armée algérienne s'était ajoutée à ces préoccupations. Mais, à cette époque, selon la formule que [nos] autorités [...] ne cessaient de rappeler, l'Algérie c'était la France et le SDECE n'avait pas le droit d'intervenir sur le territoire national. Du moins en théorie. Il devenait nécessaire d'«intervenir directement contre la rébellion, et pour cela il fallait avoir un pied en Algérie [...] Affecté depuis le 1er novembre 1954 à la 41e demi-brigade, je dus attendre la fin du mois de janvier 1955 pour embarquer de Marseille [pour] Philippeville [auj. Skikda]».
Un tel état d'esprit ne peut s'accommoder du bilan d'actions «sporadiques».
Et du côté du FLN-ALN, quel bilan ?
Un bilan politique incontestable : c'est un marquage du champ politique national, un ébranlement décisif de la citadelle coloniale, qui établit, dans la Proclamation (et ces actions armées qui la mettent en exergue), «l'institution [qui] est là pour écarter l'interrogation et l'angoisse liée à l'arbitraire qui se rappelle dans les commencements...»(3), et fonde le droit du FLN de mobiliser le peuple à la résistance et de le conduire vers l'issue libératrice...
Ce qui est intéressant dans ce propos (de Bourdieu), c'est justement ce pouvoir de l'institution; pouvoir qui, hier, par exemple, a permis, chez nous, le retour de Boudiaf pour régler la crise de la vacance du poste présidentiel, sans qu'on pût dire : «De quel droit ?»
Pourtant, l'institution qui, chez nous, a ce pouvoir immense, n'a que soixante-six ans d'âge ! La réunion des «22» a été l'instance qui a résolu «l'angoisse liée à l'arbitraire qui se rappelle dans les commencements» pour renouer avec l'Algérie historique.
Cette angoisse était là, assurément, chez ces «22 Prométhée» qui ont donné le signal de l'assaut du ciel de la libération de la patrie enchaînée. Elle s'est exprimée par l'interrogation inquiète de Boudjemâa Souidani quant à ce qui lui est apparu hésitation chez ses camarades devant l'impératif de l'heure, pour lequel ils ont été choisis. Elle s'est alors résolue dans l'accord sur le lancement de la lutte armée et l'élection d'une direction pour le mettre en œuvre, ouvrant la voie à la Proclamation du 1er Novembre 1954 – acte fondateur et institution de l'Etat algérien – et à la mise en œuvre de ce programme.
Et le bilan en matière de récupération d'armes ?
Précisons d'abord que cette entrée dans l'histoire de l'homme – nié dans le colonisé – est vouée à la rendre universelle pour la première fois ; et cela mérite de se battre : «À défaut d'autres armes, la patience du couteau suffira»,(4) écrit Frantz Fanon. Qui répond ainsi pour ce qui est de la récupération d'armes pendant ces actions, où tous les espoirs ne sont pas exaucés : difficultés imprévues à atteindre les cibles, hésitations ou même abandon, devant la tâche, des militants prévus pour la mener, du fait de sa terrible nouveauté.
Le bilan sur le terrain se mesure aussi aux arrestations et à la mort au champ d'honneur parmi les initiateurs des actions, lors d'accrochages avec les forces d'occupation, tout de suite mobilisées. Ces pertes de la petite équipe qui a pris sur elle de conduire la lutte de libération sont importantes à prendre en considération au plan historique.
Il est vrai que les paysans, qui étaient en attente d'apprendre que la situation soit mûre pour une insurrection nationale, se sont mis en action ; et sur ce plan, la réussite est pleine. Si l'ALN manque d'armes, elle ne risque pas de souffrir faute d'hommes décidés à en prendre, y compris en allant, à mains nues, en délester l'ennemi.
«Que valent tous les chiffres, dira F. Fanon,(5) en face de la sainte et colossale énergie qui maintient en ébullition tout un peuple ? Même s'il est prouvé que nos forces ne dépassent pas 5 000 hommes, mal armés, quelle valeur une telle connaissance peut-elle avoir puisque avec un million d'armes nous ferions encore des mécontents et des aigris...»
Mais sur le plan de la direction des actions armées prévues sur le terrain, pour lancer le mouvement, la petite équipe n'était pas en surnombre, loin s'en faut !
Déjà, le groupe chargé du secteur de la capitale du Constantinois et de ses alentours n'est pas à son poste. Pour éviter toute surprise liée aux hésitations dont ils ont fait montre après la rencontre des «22», le grand événement aura lieu à leur insu. Ils rejoignent, ailleurs, et dans la précipitation, le combat dont ils devaient être dirigeants dans la région mise sous leur autorité : deux d'entre eux tomberont au champ d'honneur, incognito, dans le maquis – gloire à eux ! –, et deux autres, arrêtés, ne seront libérés qu'à l'indépendance.(6)
Le manque à gagner de ce petit «couac» – si l'on peut dire – sera comblé plus tard (le 20 août 1955).
L'aube – et non «la nuit» –, où les actions ont été engagées
Bien évidemment, ces premières actions ont été engagées là où elles avaient les meilleures chances de succès dans «ces môles sociologiques de la Kabylie, des Aurès, de l'Ouarsenis», dont J. Berque a signalé le «rôle considérable dès les premiers temps de l'insurrection», car «ils sauvegardent, sur le plan géographique, comme la femme sur le plan social et moral, des réduits de signifiance».(7)
Et, parmi ces môles, les Aurès, entre autres, font parler d'eux en cette aube du 1er Novembre 1954. Nous précisons ici l'aube – et non « la nuit», définitivement «coloniale» depuis que Ferhat Abbas l'a pertinemment ainsi qualifiée – ; ceci pour affirmer l'exacte symbolique de l'évènement et nous démarquer autant de celle, macabrement idéologique, de la «Nuit de la Toussaint», que de celle de la «Nuit rebelle» adoptée par certains historiens et qui pèche en plus par le qualificatif qui induit la légitimité de l'autorité remise en cause.
En la matière, ce n'est pas seulement une nuance.
«À Betrouna, précise Ali Zamoum, le PC de la Wilaya (sic) III tint sa dernière réunion quelques jours avant le 1er Novembre. [...] Krim nous donna les dernières recommandations [...] Puis, lentement, d'une voix grave, il nous dit : ‘'Le déclenchement aura lieu le 1er novembre prochain à 0 heure''.»(8)
On ne peut être plus clair ! Affirmant l'autorité nationale et annonçant une ère nouvelle pour l'Algérie, celle de la libération, ces actions n'avaient pas besoin d'être trop nombreuses ni même trop destructrices pour faire l'effet voulu. Leur seule survenue était significative.
Des tableaux ont été dressés de ces actions, de leur nombre, de leurs localisations, de leurs résultats sur la base des informations diffusées par les autorités coloniales et leurs médias mobilisés pour les dénoncer et les noircir idéologiquement.(9)
Tel est l'état de cet important domaine de la guerre, l'information sur cette question que, pour tenter de comprendre ce qui s'est passé en cette aube naissante, les historiens épluchent ces données à partir des dossiers établis par les services de police et des tribunaux de la «drôle» de justice de ceux, parmi les «22» et leurs soutiens, qui ont été arrêtés ou qui sont tombés précocement au champ d'honneur. Ils peuvent s'en remettre aussi à ce qu'ils arrivent à tirer de l'étude des souvenirs recueillis de ceux des acteurs de cette épopée restés en vie.
Sur le plan méthodologique, on ne peut ignorer «que tout cela est faux ou vague comme tout ce qui a été réinterprété par la mémoire de trop d'individus différents [...] Ces bribes de faits crus connus sont cependant entre cette aube du 1er Novembre 1954 et nous «la seule passerelle viable ; ils sont la seule bouée qui nous soutient [...] sur la mer du temps. C'est avec curiosité que [nous nous mettons] à les rejointoyer pour voir ce que va donner leur assemblage.»(10)
Que disent précisément ces tableaux ?
On y note que les cinq zones délimitées par les «Six» ont été le théâtre d'attaques armées, mais que, paradoxalement, dans l'Algérois (Zone 4), aucune action n'a été engagée dans l'Ouarsenis, et que la même «abstention» a été observée pour la ville de Constantine, contrairement à Alger et Oran.
Si pour la capitale de l'Est, cela s'explique (comme nous l'avons fait plus haut), il n'en est pas de même pour le troisième «môle sociologique» dont la «réserve de signifiance» n'a pas été mobilisée, malgré la présence sur place et les efforts des membres des «22» chargés de la Zone 4 (l'Algérois), Bitat, Souidani et Bouch'aïb.
On a pu penser que le point faible était Bitat qui n'a été versé à la direction de la zone qu'au dernier moment en permutant avec Didouche.(11)
Mais ses deux adjoints étaient depuis un bon moment chez eux, installés pour y protéger leur clandestinité militante. Boudjemâa y avait même tissé des liens solides en y fondant un foyer. C'est dire qu'ils connaissaient bien la région et ses militants, mais les informations manquent pour que l'on puisse savoir le rôle qu'a tenu Souidani dans la zone, dont la responsabilité lui a été assignée comme un des adjoints de Bitat : on le signale, dans une des actions du 1er Novembre, à Boufarik, où «grâce à la complicité (sic) du caporal-chef Saïd Bentobbal», le commando qu'il dirige avec Ouamrane peut «se saisir des armes du poste de garde»(12) et incendier le dépôt de la coopérative des agrumes. Puis on n'entendra plus parler de lui jusqu'à la date fatidique du 16 avril 1956 où il tombe au champ d'honneur en voulant forcer un barrage de gendarmes près de Koléa. Quant à l'autre adjoint, Bouch'aïb, il a été arrêté dès les débuts de la révolution (où ? Comment ?). Un troisième novembriste, natif, lui, de la région de l'Ouarsenis, Omar Benmahdjoub, n'a fait parler de lui que lorsque la direction de la Wilaya 4, après le congrès de la Soummam, l'a envoyé à l'étranger.
Que pouvaient-ils devant le puissant blocage politique de l'appareil «centraliste» qui a intelligemment tourné la neutralité de la base militante vis-à-vis de la crise de la direction du MTLD en abstention envers la lutte armée ?
On sait que Abdesslam et Mehri ont fait état d'un changement centraliste vis-à-vis de la lutte armée.(13) Mais il ne se confirme pas dans cette abstention.
Sans doute, l'appareil centraliste attendait-il un retour d'écho de la mission de ses chefs émissaires, Lahouel-Yazid, partis au Caire. Ce que semble indiquer le fait que les divers responsables de l'appareil du MTLD (chefs de wilaya, de daïra, etc.) gèlent soudain leurs activités et donc celles des militants qu'ils ont en charge, et s'effacent du champ politique.(14)
Là se situerait l'explication du vide militant rencontré par les hommes de Novembre, la non-réponse de la base du parti nationaliste dont les coupait l'appareil centraliste.
C'est sans doute cette abstention annoncée qui aurait suscité de la part de Boudiaf sa fameuse boutade, à une rencontre à Ouled Yaïch, dans la proche banlieue de Blida ; s'adressant à Lahouel et ses affidés centralistes, dans leur fief, il leur aurait crié que la lutte armée sera lancée même si l'on doit, faute de mieux, s'appuyer sur «les singes de la Chiffa» !
Cette situation de blocage explique la précaution que les «6» ont prise en chargeant Krim de prévoir une aide à la zone. Ali Zamoum signale qu'à la réunion de Betrouna, «nous avons désigné une quinzaine d'éléments pour une mission spéciale : aller en renfort en Mitidja pour mener là-bas des attaques contre une caserne et d'autres objectifs. C'est Ouamrane qui dirigea ce groupe».(15) Ainsi, en dehors d'Alger, où les actions ont été menées sous la houlette de ceux des «22» chargés de la capitale, Bouadjadj et Merzougui, pour celles qui l'ont été dans le reste de la zone, il a fallu cette indispensable rescousse de la Zone 3 (Kabylie) avec la petite troupe dirigée par Ouamrane.
Cette intervention des «Kabyles» – aussi nécessaire fut-elle pour que la Zone 4 ne fût pas absente à l'appel révolutionnaire – a sans doute eu l'inconvénient d'accréditer auprès de la base centraliste la fausse idée de l'accointance du mouvement avec des éléments au «messalisme» patent.
C'est dire la gravité du blocage centraliste en Zone 4, blocage qui n'a pas été ébranlé par les actions du 1er Novembre, comme l'a été la citadelle coloniale. Le verrou est si efficient que la décision est prise – notamment après l'arrestation de Bitat — qu'une partie de la direction novembriste de Kabylie, placée sous l'autorité de Ouamrane, a pris en charge la direction et l'organisation de la lutte de résistance de la zone.
Une solution de force pour briser le verrou ?
Entre-temps, heureusement, le FLN s'enrichit d'une recrue de qualité, quasiment miraculeuse. Abane, qui vient de sortir de prison (10 janvier 1955)(16) n'hésite pas à répondre aux sollicitations de Krim pour qu'il seconde Bitat dans sa tâche jusque-là insurmontable. Il trouvera la solution radicale au problème dont malheureusement ce dernier, bientôt arrêté (15 mars 1955), ne pourra pas profiter, mais qui sera bénéfique à ses successeurs et leur évitera d'utiliser la manière forte.
Ajoutons, concernant cette zone centrale, qu'elle l'est à tous les points de vue, notamment du fait qu'elle est le centre du pouvoir colonial – de son commandement politique et armé – et où, face à l'Ouarsenis, se tient – protégé par le réseau des plus grandes casernes du pays – le puissant colonat de la Mitidja que dirige la non moins puissante organisation des maires d'Algérie. Et pour compléter ce tableau, du côté «indigène», installé comme une grosse verrue au pied de l'Ouarsenis, le grand centre harki du bachagha Boualem dans les Beni Boudouane.
Décidément, la zone Centre fait un mauvais départ.
Et le 1er Novembre en Zone 3 ?
Heureusement, la Zone 4 trouve à ses côtés la Zone 3 qui, elle, réussit son «1er Novembre», si l'on se réfère à ce qu'en a dit un de ses animateurs, Ali Zamoum. Il a eu le temps de participer à l'événement et de décrire comment et avec quels hommes il a été déployé, jusqu'à cette «fin février 1955» où il tombe entre les mains de l'ennemi. Là aussi, les premières actions n'ont pas toutes abouti et certains militants se sont même rétractés. L'engagement étant volontaire, ils sont retournés dans leurs foyers, en laissant cependant leurs armes. Mais ces actions ont fait leur effet, obligeant l'armée coloniale à se déployer dans la région.
S'ensuit alors le développement d'une véritable guerre contre un mouvement qui tend à assurer la juste mesure entre affirmer sa présence : embuscades, exécution de traîtres, sciage de poteaux...», et consolider et protéger son implantation et son organisation : «des jeunes commençaient à demander à s'enrôler. Certains revenaient spécialement de France» – en évitant l'affrontement avec l'ennemi. «On apprenait les premières morts et les arrestations massives. Bref, nous avons perdu beaucoup d'hommes en ces débuts de l'insurrection.»(17)
Si malgré ces pertes, la zone trouve encore à aider les autres, cela tient à la façon dont se sont engagés ses chefs, et à leur tête le grand Krim qui a su adroitement maintenir la cohésion des hommes de l'OS de la région et la pérennité de leur structure en vue de l'objectif pour lequel elle a été créée, en appui intelligent sur Messali pour pouvoir ignorer l'ordre « centraliste » de sa dissolution et en ne prenant la décision de rejoindre les « 22 » qu'après leur claire rupture avec le CC dans le CRUA ; mais également seulement après avoir dûment participé au congrès d'Hornu et constaté qu'on n'y mettait pas la lutte armée à l'ordre du jour.
Belle gestion politique du collectif des militants destinés à la lutte armée, où ils n'ont pas été perturbés par des enjeux idéologiques liés à la crise à la tête du MTLD. Elle montre un Krim qui, tout en étant convaincu de l'inanité des luttes légalistes au sein du système colonial pour les droits de «l'indigène», penche sentimentalement vers celle, plébéienne, des deux tendances qui se disputent la direction du parti. Il est intéressant de retrouver la même inclination chez Abane. «Moi, d'instinct, je suis messaliste», a-t-il dit à Mazouzi dans la discussion où ils supputaient sur l'identité de Novembre. Et n'oublions pas le verdict critique de Ben Boulaïd rapporté par Belaïd Abdesslam devant le CC : «Politiquement, c'est Messali qui a raison.» !
Décidément, chez les révolutionnaires, la plèbe, même réformiste, a toujours meilleure presse que l'aristocratie, ouvrière ou nationaliste.
A. M.
(A suivre)
(*) Extrait d'une étude à paraître sous forme d'Essai...
1) Cf. Services spéciaux Algérie 1955-1957, Perrin, 2001, p. 15.
2) Menées hors des frontières, ces actions ont visé des marchands d'armes – dont certains ont «eu des malaises bizarres ou de soudaines pulsions suicidaires –, et des bateaux de transport d'armes, dont beaucoup ont sombré inexplicablement [en] mer du Nord ou en Méditerranée», Ibid., p. 16.
3) Cf. P. Bourdieu, Leçon sur la leçon, éd. de Minuit, Paris, 1982, p. 7.
4) Les Damnés de la terre, Maspero (Cahiers libres), 1961, p. 13.
5) Dans l'Introduction de sociologie d'une révolution (L'An V de la révolution algérienne), PC Maspero, 1959, p. 15.
6) Ils laisseront, par bonheur, deux rares et riches témoignages sur les vicissitudes et la grandeur de l'expérience des hommes de l'OS. Abdesselam Habachi, Du mouvement national à l'indépendance. Itinéraire d'un militant, Casbah, 2008, et Mohamed Mechati, Parcours d'un militant, Chihab, 2009.
7) Dans Dépossession du monde, Seuil, 1964, p. 168.
8) Ali Zamoum, Le Pays des hommes libres, Casbah, 2006, p. 170.
9) En criminalisant les actions et acteurs de cette aube libératrice (par les termes tels qu'assassinats, tueurs, complicité, complice). (cf. Littré : complice = qui participe à un délit, à un crime.)
10) Pour paraphraser Marguerite Yourcenar, cherchant à faire revivre l'enfant qu'elle était, dans ses Souvenirs pieux, Gallimard, 1974, p. 12.
11) Précisons que les hommes de l'OS – dont on dit souvent qu'ils sont de l'est du pays – ont, de par leur vécu militant et de par les responsabilités qu'ils ont assumées, une connaissance intime du pays et de ses habitants sur toute son étendue, où ils étaient partout chez eux, connus – sous des noms d'emprunt –, respectés et protégés contre les coups de la police coloniale toujours à leurs trousses.
12) Cf. M. Harbi, Le FLN, Institutions et pratiques politiques, In La Nuit rebelle, Ed. La Tribune, Alger, 2004. Tableau repris par Abdelmadjid Merdaci, In 1er novembre 1954. La Nuit des insurgés (Enag Ed., 2019, pp. 24-25). Ni notre ami Madjid –Allah yarhmou – ni M. Harbi n'ont été assez vigilants envers le terme complicité criminalisant le militant S. Bentobal.
13) Cf. à ce sujet la Préface de Mehri au livre de A. Kechida, Les Architectes de la révolution (Chihab éd., 2001) et La Crise avec Messali et la naissance du FLN de B. Abdesslam, Le Hasard et l'histoire, EAG éd., 1990, pp. 47 sq.
14) Parmi eux, Brahim Chergui s'installe, sous un faux nom, marchand de chaussures en gros à Alger, «début 1955, après un court séjour à Sétif puis à Blida», Cf. Au Cœur de la bataille d'Alger, Dahleb, p. 60. Il explique son geste par des poursuites policières renouvelées depuis novembre 1954. Pour les autres, nous n'avons pas de traces écrites à propos du gel de leurs activités.
15) Ali Zamoum, Le Pays des hommes libres, Op. cit., p. 170, et p. 185 : «Parmi les gars partis du village le 1er novembre [...] en Mitidja, certains ont été arrêtés, d'autres ont rejoint le maquis.»
16) Mohand-Saïd Mazouzi, qui l'a croisé à la centrale d'El Harrach, l'a trouvé fébrilement intéressé par l'insurrection. Il rapporte (dans J'ai Vécu le pire et le meilleur, Casbah, 2015, p. 178), que «sa principale sinon son exclusive préoccupation était de savoir comment avait été déclenché le 1er Novembre»
17) Cf. Le Pays des hommes libres, Op. cit., pp. 176 et 185.


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