Comment les musées fermés peuvent-ils encore être visités ? Au milieu d'une offre digitale pléthorique, chacun d'eux rivalise de visites virtuelles inédites et de récits haletants éclairant l'histoire des œuvres, afin d'attirer l'amateur d'art confiné sur son sofa. Promenades dans les salles, zoomings perfectionnés sur les tableaux, tutos pour enfants et adultes, lectures, ateliers, conférences, podcasts : tout est proposé pour mettre en valeur les collections et éduquer à l'art grâce à des logiciels ultra-modernes. Pour capter l'attention, les musées doivent donner l'impression au visiteur internaute qu'il enquête lui-même sur une énigme, qu'il plonge le premier dans le mystère d'une œuvre, qu'il marche aux côtés de l'historien d'art et participe à ses questionnements. Samedi soir, pour la traditionnelle Nuit des musées, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot devait ouvrir le bal des festivités virtuelles — pas de visite «en vrai» cette année, confinement oblige —, en invitant le public à la suivre à Paris dans deux maisons-ateliers appréciées pour leur atmosphère intimiste, le musée Gustave-Moreau et le musée de la Vie Romantique. Au Louvre-Lens, les internautes accompagneront l'équipe du musée dans des visites à la lampe torche. Et le musée des Beaux-Arts de Lyon sélectionne les plus beaux hiboux et chouettes de ses collections pour qu'ils envahissent ses réseaux sociaux. Le public est invité à tweeter ces oiseaux nocturnes avec le hashtag #NuitDesMuséesChezNous. «L'usage des nouveaux médias est l'occasion de stimuler l'esprit de créativité, de curiosité, de divertissement et de partage», analyse Catherine Pegard, présidente du château de Versailles. Le confinement a obligé à une «réinvention», notamment «avec les plus jeunes», souligne Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou. Enigmes policières Parmi les «enquêtes du Louvre», un podcast mêle art et crime autour du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault. Romane Bohringer et la navigatrice Isabelle Autissier y racontent ce naufrage à la manière d'une enquête policière. Une série de podcasts invite à plonger dans des affaires comme le vol de la Joconde en 1911. L'appli en VR (réalité virtuelle) «En tête à tête avec la Joconde» continue d'être un grand succès : 16 000 téléchargements. Sur les réseaux sociaux, le Musée du Quai Branly révèle, en trois épisodes vidéo, les mystères de la civilisation olmèque, exposée dans ses salles désormais closes. Il a aussi lancé l'opération #BestOfBranly mettant en valeur ses œuvres iconiques, en invitant les internautes à partager, en réponse, leur œuvre préférée dans le musée. Au Centre Pompidou, le jeu video Prisme7 (bientôt disponible en chinois) propose d'interagir avec 40 œuvres. Et la websérie Quèsaco fait découvrir quelques œuvres, sur un ton décalé, tentant de répondre en deux minutes aux visiteurs qui demandent : «Mais qu'est-ce que c'est ?» Parmi ses multiples offres, le château de Versailles a choisi de partager les coulisses de ses chantiers, notamment celui de la chapelle royale et les métiers d'art qui y œuvrent : un site internet, des live sur facebook, une websérie, des vidéos... À l'occasion d'une exposition Enki Bilal, le Fonds Hélène & Edouard Leclerc à Landerneau (Finistère) propose, lui, des échanges via Zoom avec des historiens, artistes, en présence du célèbre auteur de BD. VanGoghWorldwide Ailleurs en Europe règne la même frénésie d'initiatives : dans sa série de vidéos Uffizi on Air sur Facebook, des conservateurs des Offices de Florence montrent les secrets des chefs-d'œuvre, et le public peut interagir. Les musées néerlandais ont lancé VanGoghWorldwide, plateforme numérique qui regroupe 1 000 œuvres de Van Gogh. Et le Prado a sorti une application pour voir 400 œuvres du musée sur smartphone ou tablette. Les visites virtuelles, notamment d'étrangers, se sont accrues partout de manière exponentielle du fait du confinement. Ainsi, durant les 71 jours du 1er confinement, le site louvre.fr a reçu 10,5 millions de visites, contre 14,1 millions pour l'année 2019. Et les visiteurs depuis les Etats-Unis représentaient alors 17% (contre 16% depuis la France). Les visites virtuelles en anglais totalisent 10 millions de vues, et les différents comptes du plus grand musée du monde ont explosé : 9,2 millions d'abonnés aujourd'hui.