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L'Opep dans la tourmente
LA RECESSION ECONOMIQUE
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 12 - 2020


Par Saïd Kloul(*)
La crise actuelle a pour source l'irruption d'une grave pandémie qui a paralysé l'économie mondiale. Elle est particulièrement grave de par son intensité, son caractère mondial et sa durée. Elle a de ce fait réduit drastiquement la consommation de pétrole qui a entraîné une chute vertigineuse des prix WTI et Brent depuis février 2020 et pour encore des mois à venir.
Cette pandémie a agi sur le marché exactement de la même manière qu'une surproduction classique, sauf que, cette fois-ci, la surproduction venait de deux sources concomitantes : la pandémie et la production américaine dont l'ascension constante a commencé depuis le début de la décennie en cours. La première en réduisant la consommation, la deuxième en en créant des excédents de pétrole et de gaz.
L'industrie pétrolière américaine, grâce aux schistes, représentait et représente encore, malgré sa faiblesse circonstancielle actuelle, une grande menace pour les pays producteurs de l'Opep.
Pour s'en convaincre, il suffit de regarder comment ont évolué les productions, exportations et importations de pétrole des USA ces dernières années.
Nous verrons en même temps comment l'Opep/Opep+ réagit à cette montée extraordinaire pour en limiter les conséquences sur le marché. Nous soulignerons les difficultés particulières que pose la pandémie à l'Alliance pour adapter sa réaction au fur et à mesure de la sortie de crise.
Ascension d'un leader pétrolier
Bien que les USA aient fait aussi une brillante ascension dans la production de gaz, nous allons dans ce qui suit nous intéresser essentiellement au pétrole en insistant sur les menaces de la production de pétrole brut hors-Opep, particulièrement américaine.
Cette dernière est passée de 9,351Mbl/j en 2017 à 10,99 Mbl/j en 2018 et à 12,45Mbl/j en 2019 (EIA, US Field Production of Crude Oil, 31/8/2020). En novembre 2019, les USA ont produit 13,195 Mbl/j (EIA, US Field Production of Crude Oil).
Ils sont devenus ainsi le premier pays producteur de pétrole.
Partant de la production de 2019, l'EIA prédisait que les USA allaient produire en moyenne 13,3MBl/j en 2020 et 13,72 Mbl/j en 2021 (USA, EIA-STEO, january 2020).
Pour bien saisir l'ampleur de la croissance de la production pétrolière américaine, notons qu'en 2012, les USA avaient importé 10,587 Mbl/j de pétrole et en exportèrent 2,682Mb/j, soit une importation nette de 7,905 Mbl/j (BP Statistical Review of World Energy 2020) ; par contre, en 2019, leurs importations étaient de 9,94 Mbl/j et les exportations de 8,16 Mbl/j, c'est- à-dire qu'ils n'ont importé que 1,78 Mbl/j de plus qu'ils n'en ont exporté. En mars 2019, avant la crise, Rystad Energy, le consultant et analyste norvégien, avait même prédit une augmentation des exportations de 1Mb/j en 2020. Il faut souligner que, comme les schistes produisent un pétrole léger, les Américains sont obligés d'importer un pétrole lourd, indispensable à leurs raffineries.
Cette performance a son origine essentiellement dans les schistes. A l'évidence, elle était bien redoutable pour les pays membres de l'Opep. Forts de leur vigoureuse industrie pétrolière, les USA commencèrent dès 2016, après la levée de l'interdiction des exportations de pétrole et produits pétroliers en décembre 2015, par investir les parts de marché que les pays de l'Opep n'approvisionnaient pas du fait des réductions que l'Organisation s'imposait pour soutenir les prix. Par voie de conséquence, les compagnies américaines remplirent les vides ainsi laissés par l'Opep et, ajoutant des primes aux clients, ébranlèrent les assises de son marché et mirent les pays producteurs dans une position intenable.
Il faut noter que l'OPA du pétrole américain sur le marché s'est faite malgré la faiblesse de l'infrastructure américaine de transport et des terminaux portuaires pétroliers qui étaient et sont encore orientés vers l'importation et constituaient jusqu'en 2020 un frein à l'exportation. Cette situation devait s'améliorer en 2021 ; mais elle est partie pour se prolonger en 2022 car seulement 3 des 12 projets d'investissement liés à l'exportation qui étaient dans les plans des transporteurs pétroliers en 2019 sont d'actualité à l'automne 2020. Les autres sont reportés et peut-être annulés. Ceux des projets, dont la décision de construction est confirmée comme le pipeline ‘'Dakota Access'' qui va relier Baken au golfe du Mexique, vont atténuer le déficit de transport et de flexibilité au début 2022. Les USA pourraient alors renforcer leurs exportations au détriment de l'Opep+, à moins que la demande ne soit au rendez-vous.
De la crise de la demande 2020
Dès le début de 2019, l'Opep+ a décidé de réduire sa production de 1,2Mbl/j à cause de la morosité de l'économie mondiale déclenchée par la guerre commerciale entre les USA et la Chine et de l'essor des pétroles de schiste qui a commencé à inonder le marché (Bloomberg 2 septembre 2019).
La demande a chuté de 1 Mbl/j en janvier 2020 et 5,5 Mbl/j en février, poussant l'Opep+ à pratiquer une coupe plus profonde dans sa production dès avril 2020. Les prix avaient atteint des niveaux inquiétants du fait de la récession mondiale qui a commencé en 2019 et qui a fait reculer de façon significative la demande de pétrole, ce qui a contraint les USA à réduire eux aussi leur production.
La réduction de la production par l'Opep+ et les USA avait commencé à redonner un peu de souffle aux producteurs. Après avoir atteint le point le plus bas avec 80,4Mbl/j en mars, la production a repris progressivement pour atteindre 95Mbl/j en septembre. Notons ici que c'est la première fois dans l'histoire que les USA ont participé avec l'Opep à la réduction de la production.
Remarquons que cette politique est restée conforme à la politique traditionnelle de l'Opep, c'est-à-dire qu'elle a agi sur l'offre.
Au 1er trimestre 2020, le monde a pris conscience de la gravité de l'épidémie de coronavirus, apparue en Chine en novembre 2019 et qui était en train de prendre l'ampleur d'une pandémie qui s'étendait progressivement au reste de toute la planète.
Cette pandémie, baptisée Covid-19, en s'étendant et en s'intensifiant, a frappé de plein fouet l'économie mondiale. Au printemps 2020, elle a diminué la croissance économique mondiale de 11%, et réduit de manière drastique la demande de pétrole qui est passée de 101Mbl/j aux 3e et 4e trimestres 2019 (Opec, Momr february 2020 p 31) à 82.5Mbl/j au 2e trimestre 2020 (Opec, Momr october 2020 p 25).
Le recul brutal de la demande qui a même atteint 74,3 Mbl/j en avril 2020, pour remonter à 87 Mbl/j en juin (Rystad Energy, Oil Market Balance, september 2020, p 34) a été d'une durée relativement courte puisqu'elle est repartie à la hausse pour atteindre 90,99Mbl/j au 3e trimestre (Opec, Momr october 2020, p25), tirée par la consommation de carburants, comme chaque année plus robuste en été.
Cette baisse de la demande a écrasé les prix au-dessous des prix breakeven de nombreux gisements, notamment ceux des schistes américains ; en effet, le 28 février 2020, le WTI avait atteint 49 $/bl FOB sur les marchés spot, 35$ à la mi-mars et, à la mi-avril, 25 $.
Aux Etats-Unis, certaines compagnies ont été contraintes de payer des acquéreurs pour les débarrasser d'une production qu'elles n'arrivaient pas à écouler. Ces quantités ont été enlevées par des sociétés qui disposaient de capacités de stockage (pipelines, bacs de stockage conventionnels, bateaux de transport d'hydrocarbures). C'est ce qui a été traduit dans les médias par «vente à prix négatifs». Nombre de ces sociétés furent dans l'obligation de fermer les puits dont l'exploitation devenait non économique, ce qui représente environ 2,2 Mbl/j, soit près de 25 à 30% de la production des schistes.
Signalons que l'ensemble des pays qui disposaient d'une infrastructure adéquate ont profité de ces très faibles prix pour augmenter leurs stocks de pétrole, tout particulièrement les pays de l'OCDE, l'Inde, la Chine et de manière accessoire l'Arabie saoudite. On peut voir ainsi, que durant le 2e trimestre, en partant de la différence entre l'offre et la demande globales, les stocks ont augmenté de 14,59Mb/j (Rystad Energy, Oil Market Balance, september 2020).
Conséquences de cette crise
La récession est dévastatrice en premier lieu pour les pays de l'Opep qui ont vu leurs revenus passer de $622 milliards en 2018 à $565 milliards en 2019 (Opec Annual Statistical Bulletin 2020). En 2020, EIA les évalue à 300 milliards (US, EIA Steo octobre 2020). La récession a eu des effets très graves ailleurs dans le monde, sur les compagnies pétrolières américaines aussi.
Regardons quelques indicateurs qui décrivent combien l'amont pétrolier et gazier en général, américain en particulier, a été affecté.
1- Sur la production :
- La production de pétrole brut des USA était de 12,74 Mbl/i au 4e trimestre 2019 ; elle a atteint même un plateau record de près de 13Mbl/j sur la période février-mars 2020 (API Monthly Statistical Report, september 2020). Du fait de la forte régression de la demande, cette performance n'a pas duré longtemps : la production passe à 11,514 M au 2e trimestre, 10,723 M au 3e trimestre et 10,500 M en octobre (EIA, US Petroleum Balance Sheet 4/11/2020).
Les prix du brut, descendus sous le breakeven de nombreux gisements, ont mis les sociétés dans l'obligation de fermer les puits dont l'exploitation devenait non économique, ce qui représente environ 30% de la production des schistes. Il y a, selon Rystad Energy, plus de 100 compagnies qui activent sur une douzaine de champs pour lesquels forer de nouveaux puits pourrait ne plus être profitable à moins de $50/bl. ExxonMobil, Occidental Petroleum, Crownquest et Chevron, présentes sur le Permien, seraient seules à pouvoir exploiter des puits avec un WTI de 31 $/bl (WO 9/3/ 2020).
2- Destructuration des sociétés
- Banqueroutes
Plus que la fermeture des puits, à septembre 2020, plus de 40 sociétés d'exploration-production et 44 sociétés de service, fortement endettées, se sont retrouvées au seuil de la banqueroute. Les sociétés américaines se sont mises sous la protection du Chapitre 11 ; les compagnies pétrolières avaient 40 milliards $ de dettes.
Si le WTI reste aux alentours de 40$/bbl, Rystad Energy estime que 29 autres compagnies E&P qui traînent 26 milliards$ de dettes seront sous le Chapitre 11 avant la fin 2020.
- Capitalisation
La grande majorité des sociétés ont subi des dévalorisations de leur capitalisation boursière à l'instar de Concho Resources dont les actions en Bourse s'échangeaient à 75,5$ en 2018 a vu en 2020, après son rachat par ConocoPhilipps, les actions de ConocoPhilipps-Concho Resources s'échanger à 10,47$. Pour ExxonMobil, les actions ont baissé de 75$ à 35$, celles de Shell sont passées de 30$ à 15 et celles de BP de 5,6euros à 2,25. Cette descente aux enfers s'est déroulée en un an (à novembre 2020).
- Révision des actifs
Les actifs principaux des sociétés pétrolières sont représentés par leurs réserves pétrolières et gazières. Celles représentées en Bourse donc les valoriser aux prix réels du pétrole et du gaz. Comme la situation durait, elles ont été obligées d'effacer une partie de ces réserves.
Comme une ultime conséquence de cette baisse d'activités le prix d'une acre (4047m2) de superficie des schistes du Permien est passé de 75,5$ en 2018 à moins de 10,5 $ en octobre 2020. Ces pertes de valeurs physiques ont contribué à la dévalorisation des sociétés en Bourse.
- Cessions d'actifs
La chute de la demande a provoqué une véritable déroute de l'industrie pétrolière poussant bon nombre de compagnies à réduire leur implication dans cette industrie. Des majors comme BP, Shell, Total, Chevron et d'autres, tout en abandonnant certains secteurs du transport et de l'aval pétroliers, cherchent à diversifier leur portefeuille d'activités, notamment dans les énergies renouvelables, comme stratégie de sortie de la trop forte dépendance du pétrole, à l'exemple de BP dont le Chairman a annoncé la réduction de la production du groupe de 2,6 millions b/j à 1,5 million b/j d'ici à 10 ans. Elle vient de décider l'arrêt de l'exploration dans des pays non encore producteurs et les opérations de développement en Angola. Ces ventes de parts d'actifs servent à augmenter les cashflows libres.
Les portefeuilles de gaz échappent pour l'instant aux transactions. Bien mieux, des investissements colossaux ont récemment été engagés dans la construction d'usines de liquéfaction à l'international. À l'inverse, sur le sol américain, cette industrie subit les mêmes reculs que celle du pétrole car les gaz associés, produits avec le pétrole des schistes du Permien, représentent une large part de la production de gaz.
- Fusions acquisitions
De nombreuses acquisitions ont été menées par les puissantes compagnies pour résister aux actions dévastatrices de la récession. Ainsi Conoco Philips a racheté Concho, Chevron a racheté Noble Energy, WPX Energy a fusionné avec Devon Energy Corp, Pioneer Natural Resources Co a racheté Parsley Energy Inc. (WO 20/10/2020), EQT Corp. a fusionné avec CNX Resources.
3- Activités
La chute des prix du pétrole a sévèrement affecté l'ensemble du secteur international de l'énergie, qui a vu les investissements dans l'amont pétrolier et gazier passer de 500 milliards $ en 2019 à un montant estimé pour 2020, à seulement 350 milliards $ (AIE, World Energy Investment mai 2020). C'est ainsi que, si le nombre de projets approuvés en 2019 a dépassé 188 on en prévoit moins de 50 en 2020 (Rystad Energy ServiceCube juin 2020).
- Aux USA, les investissements exploration et production étaient d'environ 197 milliards $ en 2019 et ne seraient plus que 58 milliards $ en 2020 selon les estimations de Rystad Energy. Evercore ISI Research donne sensiblement le même ordre de grandeur.
- L'activité de forage a été la première à plier sous le coup de la récession. Baker a enregistré au 11 septembre 2020 254 appareils de forage en activité aux Etats-Unis, soit 821 de moins qu'au 4 janvier 2019 dont 521 retirés des champs d'huile alors qu'ils étaient 710 à y forer un an auparavant ; dans le gaz ils ne sont plus que 74 au lieu des 174 qui opéraient 12 mois plus tôt.
Parmi les appareils non actifs en 2020, 39 bateaux de forage offshore qui ont coûté environ 50 milliards de dollars ont été réformés sans compter les nombreux appareils de forage à terre.
Ainsi le nombre de permis de forages horizontaux accordés mensuellement (dans les schistes majoritairement) est passé de 1600 permis en septembre 2019 à 450 en juillet 2020, le plus bas score depuis 2010.
Conséquence de la démobilisation des appareils de forage : on a foré 6 809 puits aux Etats-Unis durant la première moitié de l'année 2020 et l'on ne prévoit plus que 4 012 pour la 2e moitié, soit un total de 10 821 pour l'année à comparer avec les 22 240 qui ont été forés en 2019. C'est le nombre de forages le plus faible en 122 ans de l'industrie des hydrocarbures, titrait le World Oil de septembre 2020.
Le bilan de ces effets aux USA a été la suppression de 121 000 postes de travail entre août 2019 et août 2020 (US Bureau of Labor Statistics).
Alternatives pour l'opep +
Comme en 2014 et à plusieurs occasions dans le passé, deux alternatives s'offraient aux pays de l'Opep+ à la fin 2019 : défendre leurs parts de marché en acceptant la baisse des prix provoquée par les effets conjugués de la production américaine et de la crise économique ou défendre les prix en réduisant leur production.
Si l'Opep devait suivre, comme à l'accoutumée, sa tendance à réduire la production chaque fois que les prix du pétrole baissaient, poussés vers le bas par la production américaine qui augmente, elle provoquerait une remontée des prix mais elle entrerait dans une spirale sans fin car l'augmentation des prix du pétrole profiterait aussi aux sociétés américaines qui augmenteraient leur production, feraient baisser encore les prix, pousseraient l'Opep à réduire sa production et prendraient le contrôle d'une part de plus en plus grande du marché de cette dernière en faisant baisser de facto les prix qui entraîneraient dans leur sillage les revenus des Etats producteurs.
C'est la raison pour laquelle j'avais préconisé en novembre 2016 (LSA,
15/11/2016, contributions) un prix ne dépassant pas 50 dollars le baril et écrit : «... une réduction inconsidérée de la production équivaudra pour l'Opep à se tirer une balle dans le pied.»
Le but était d'éliminer la production des réserves de schistes dont le coût d'exploitation était en ce moment-là supérieur à ce niveau des prix. Les ressources contenues dans les schistes, à l'époque rentables à ce prix, représentaient 50% de ces réserves. En 2020, le problème s'est aggravé car l'exploitation d'environ 70% de ces schistes est devenue rentable à un WTI de 40 $/bbl ; ceci explique la réduction de 20 à 30% de leur production car non rentable aux prix actuels.
Le challenge
Déjà affaiblie par la montée des énergies renouvelables qui lui mangent la laine sur le dos, l'Opep+ fait en plus face en 2020 à plusieurs sources de problèmes qui concourent à la réduction des prix du pétrole :
- Une production agressive des USA grâce aux schistes ;
- Les nouveaux gisements en développement à l'instar de Sverdrup (Norvège) mis en production à fin 2019 qui va atteindre 500 000bl/j d'ici à quelques semaines et de Stabroek (Guyane) dont des gisements mis en production en décembre 2019 ont atteint
75 000 bl/j et sont partis pour produire 1 MMbl/j d'ici à 2025, après la Phase 3 de développement.
D'autres découvertes sont dans la course à la production comme les «gisements à couverture salifère» brésiliens qui, bien qu'en offshore et très profonds, restent rentables avec un Brent à 45$/bl ; des puits, en effet, ont donné plus de 20 000bl/j au test, dans certains cas même davantage. Si le Brent monte à 60$/bl alors plus de 2 Mbl/j supplémentaires peuvent s'ajouter au marché (WO 28/10/2020).
- Il faudrait aussi tenir compte du retour sur le marché de l'Iran et du Venezuela auxquels la victoire de Biden, nouveau Président élu des Etats-Unis, laisse espérer la levée de l'embargo que leur a infligé l'Administration Trump. C'est le cas de la Libye qui a commencé la réouverture de certains champs et qui a atteint 1 MMBl/j à fin octobre et pourrait produire 1,5 Mbl/j. Leur retour complet sera probablemen
laborieux ; la remise en service d'installations et puits pétroliers après plusieurs mois de fermeture demande du temps et des capitaux substantiels. Le président de la NOC estime que la remise en état des têtes de puits seulement demanderait environ plus de 100M$. C'est aussi le cas de l'Irak qui possède 1 Mbl/j de capacité de production en réserve.
-La pandémie de Covid-19 qui a transformé la crise économique en récession et provoqué depuis 9 mois la grave détérioration de la demande de pétrole. Les Etats paraissent impuissants à la juguler, les populations, toutes cultures confondues, sauf peut-être les Chinois, refusant les contraintes de la lutte contre la circulation de ce virus. Plusieurs vagues de contaminations se succèdent suivant en cela les périodes de regroupements sociaux ou religieux et laissent craindre le pire pour les mois qui viennent.
Transition vers une sortie de crise
- Les schistes américains : pour contenir l'offensive des schistes américains, il est nécessaire d'empêcher les prix de dépasser le prix de breakeven moyen de 30 à 40% des schistes lequel se situe vers 45$/bl en faisant en sorte que l'offre suive la demande qui doit être soutenue pour éviter des excédents de production. Ces excédents seront le fait de compagnies internationales, en majorité américaines, exploitant ces schistes, et seront mis sur le marché lorsque les prix seront suffisamment élevés pour leur permettre de rouvrir les puits fermés et en forer d'autres sur les zones prolifiques et rentables à ces prix.
Selon l'enquête de la Federal Reserve Bank of Dallas, octobre 2020, réalisée auprès de 160 managers exécutifs du secteur amont pétrolier et gazier américain, 43% d'entre eux estiment que la reprise de l'activité forage sera substantielle si le WTI atteint 50-55$/bl ; parmi 156 de ces managers, 35% pensent que si les prix atteignent 45$/bl la complétion des DUC (puits non complétés à cause des prix) reprendrait de plus belle. Selon Bloomberg, un Brent à 48$/bl est probable en 2021 et même 50$ pour le 3e trimestre (WO 3/11/2020).
- Globalement, la reprise de la demande va suivre l'économie mondiale ; pour surveiller la demande et pour apprécier l'offre, il est nécessaire de suivre l'évolution de la production non seulement des schistes mais aussi celle des régions hors-Opep à fort potentiel de croissance où des découvertes majeures ont été faites ces 5 dernières années. Rappelons qu'entre le 1er et le 4e trimestre 2019, les sociétés hors-Opep ont augmenté leur production de 1,94 Mbl/j pendant que l'Opep a réduit la sienne de plus de 900 000 bl/j.
- Des membres de l'Opep : nous avons vu plus haut le retour de l'Iran, du Venezuela, de la Libye et les possibilités additionnelles de l'Irak. Certains membres de l'Opep peuvent aussi comme par le passé ne pas respecter la discipline des quotas et aggraver la surproduction.
- Les investissements de développement sont un bon indicateur ; leur avancement permet de prévoir la production à très moyen terme. L'Opep le fait, bien entendu. Ne nous y trompons pas, la vitalité de la production américaine peut être réactivée dès que les prix dépassent les prix breakeven des schistes. Les compagnies protagonistes seront en partie différentes de celles qui activaient sur les schistes en 2019, à cause des banqueroutes, des acquisitions et des fusions. Espérons que ces sociétés, nouvelles dans les schistes ou simplement remodelées par les fusions ou acquisitions, n'auront pas le goût du risque de l'endettement et que leur appétit sera moins dévorant. Espérons aussi que les banques, qui ont subi de lourdes pertes du fait des nombreuses faillites enregistrées dans l'industrie, se montreront prudentes dans l'octroi des financements.
Conclusion
La récession, effet de la pandémie sur l'économie mondiale, ne peut évidemment pas être combattue par l'Opep ni même par l'Opep+. Seuls les Etats dans leur ensemble avec une bonne politique de lutte contre la circulation du virus et les laboratoires de recherche pharmaceutique sont à même d'en venir à bout. Cette pandémie est en effet imprévisible et il est difficile de faire un pronostic concernant son éradication. Seul l'espoir de succès des vaccins qui sont en voie d'être mis sur le marché permet d'espérer entrevoir le bout du tunnel, vers le 3e trimestre 2021 peut-être. Par contre les décisions de l'Opep+ qui accompagneront le recul de la récession auront un impact sur les économies des pays producteurs.
La reprise de la demande pétrolière sera, nous l'avons dit, tributaire de la reprise de l'économie mondiale globale. Celle-ci dépend intimement de l'évolution de la pandémie. Elle a enregistré un rebond avec un taux de croissance à -4% à la fin du 3e trimestre suivi toutefois d'un ramollissement dû à une recrudescence de la pandémie laissant penser que l'amélioration sera reportée vers la fin 2021.
Une grande incertitude demeure, cependant. Exxon qui avait prédit un Brent à 62$ entre 2021 et 2025 a réduit ses attentes à 50-55$ du fait de la reprise économique qui sera plus lente. Des analystes pensent qu'en 2021 nous ne retrouverons probablement pas la situation de 2019. Indice intéressant : 42% de la production de pétrole américaine de 2021 était déjà vendue à octobre, en avance, au prix de 42$/bl (Nymex). Ceci ne milite pas en faveur d'une proche embellie puisque une partie des besoins de l'année prochaine est déjà comblée.
L'AIE, en octobre dernier, ne voyait un retour à la situation d'avant la crise qu'en 2023 (WO News Letter 14 octobre 2020).
Vouloir prédire quand aura lieu le retour à une croissance économique positive et comment elle se déroulera est une gageure. Tenter de prévoir la courbe de cette reprise, sera-t-elle en L ou en V, est encore plus hasardeux ! Ce sera certainement une courbe «hésitante» mais à tendance croissante. Nous n'avons qu'à espérer que la pente ne soit pas trop lente ! L'Opep+ fait donc face à une situation complexe qui exige beaucoup de circonspection.
La coalition doit avoir un œil sur la pandémie/économie en gardant l'autre sur le rétroviseur pour surveiller les producteurs hors-coalition qu'elle a sur son dos comme des poissons pilotes. La tâche n'est pas facile d'autant que l'unanimité des membres est requise. Un danger guette l'Opep : l'éclatement.
S. K.
(*) Ancien directeur de la Division forage de Sonatrach. Ancien conseiller pour l'amont du P-DG de Sonatrach.
NOTES
- API : American Petroleum Institut.
- WO: World Oil, revue spécialisée dans le pétrole et le gaz.
- EIA : L'agence américaine qui gère les données sur l'énergie.
- Steo : Short Term Energy Outlook (Prévisions à court terme concernant l'énergie).
- Mbl/j : million de barils par jour.
- Breakeven : Pour un produit, prix en dessous duquel l'exploitation du produit n'est pas rentable.
- WTI : West Texas Intermediate (c'est le pendant du Brent).
- Brent : Petrole Brut, du nom d'un gisement de mer du Nord.
- Tr : trimestre.
- Momr : Rapport mensuel sur le marché pétrolier.
- Opec = Opep.
- FOB : Free on Board : se dit du prix d'un produit incluant son amenée jusqu'au chargement sur le bateau de transport.
-E&P : Exploration et production, dit aussi l'amont.
-Chapitre 11 : article de loi qui met une société endettée sous protection de la loi en contrepartie d'une restructuration pour garantir le remboursement des créanciers selon un échéancier.
- Nymex : New York Mercantile Exchange qui est la Bourse de l'énergie et des métaux.


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