Karim Akouche, un Boris Vian algérien ? On ne sait pas si l'écrivain algérien possède les autres dons du français dans les autres domaines, comme la musique ou la peinture, mais en littérature, il a, au moins, l'audace de l'auteur du scandaleux J'irais cracher sur vos tombes. La lecture de Déflagration des sens, le nouveau roman de Karim Akouche, fait l'effet d'une «bombe littéraire». L'histoire se passe dans l'Algérie d'aujourd'hui. La révolte gronde à Alger et à travers le pays. Pour calmer les esprits, les autorités arrosent les jeunes avec l'argent du pétrole qui coule à flots. Après une longue traversée du désert, Kamal Storah, alias Kâmal Sûtra un peu comme « kamasutra » (honni soit qui mal y pense !), obtient une subvention de l'Etat et achète un minibus. Quelques mois plus tard, c'est la désillusion et la faillite financière ! Les voyageurs se font rares. Kâmal décide, alors, de transformer son bus en bordel ambulant. Dénoncé par les islamistes et traqué par la police, il fuit vers le désert. «D'une plume crûment réaliste, Karim Akouche use et abuse de son droit au blasphème. Son roman, haut en couleur et en révolte, raconte une jeunesse frustrée et sans repères, dans une Algérie schizophrène, suspendue entre archaïsmes et rêves de liberté», est-il résumé en quatrième de couverture de l'ouvrage paru récemment aux éditions Frantz-Fanon. Ce «droit au blasphème» est, entre autres, certainement ce passage où un jeune dit à son interlocuteur indigné : «Ne me censure pas, laisse-moi jaboter. L'islamisme est le vrai visage de l'islam, du moins son avatar incandescent.» Au fil du récit, l'auteur, à travers son personnage, parle de Slimane Azem, de Cheikha Rimitti, de Mohammed Ali, d'un certain Mister Dino, de Sonia, une fille à qui il envoyait des poèmes, se compare à l'Emir Abdelkader au château d'Amboise... Souvent, il ne mâche pas ses mots : «J'ai vécu les années noires, mon camarade. De l'intérieur, les pieds dans le cambouis et la crasse, errant hagard et cinglé entre les quartiers de viande humaine frétillants ou à moitié grillés. Journaliste stagiaire, la tronche bouffée par l'acné.» La vie à l'étranger, ce n'est pas vraiment le paradis : «Au fur et à mesure que l'hiver revenait, je devenais de plus en plus tordu. Pour tuer l'ennui et la solitude, je partais avec le Che dans les bois, je lisais Les Tropiques de Miller, parlais aux sapins et aux oiseaux, croquais le portrait de ma nymphe Anaïs et m'essayais à la fabrication des poèmes.» Claudine, par contre, il ne veut pas en parler : «Quelle Claudine ? On s'était croisés dans un forum virtuel de discussion sur le théâtre. On a palabré de théâtre pauvre, théâtre bourgeois, théâtre de boulevard, théâtre sale, théâtre de la cruauté. Elle ne jurait que par Antonin Artaud, Sarah Kane, Jerzy Grotowski et Michel de Ghelderode. Pour elle, Becket et Ionesco, ce n'était que des glandouilleurs, des brasseurs de la parlotte, des copieurs sans génie. Quand Paris parlait ‘‘ghelderodite aiguë'', ils n'avaient pas encore leurs dents de lait, raillait-elle. Je n'étais pas d'accord avec elle. J'ai défendu mes chers Samuel et Eugène bec et griffes, camarade.» En Belgique, notre compatriote a même eu un sérieux problème à cause de Jacques Brel et d'une femme «à l'accent bolchevique». Et en France ? «La France est trouée, camarade. Ça tire dans tous les sens : vers le bas, vers le haut, vers la banque, vers Pétain, vers de Gaulle, vers Robespierre, vers La Mecque, vers le Vatican, vers Marianne... il y a plusieurs France, camarade. Celle de la République et celle de ses territoires perdus, celle de la racaille et celle de la flicaille, celle des privilégiés et celle des laissés-pour-compte, celle des bourges et celle des pignoufs. Au Mirail, la France était absente. Les voyous y régnaient, caguaient sur les lois et pissaient sur le droit. Je ne suis pas resté longtemps dans cet antre des ogres, camarade.» Mais, la vie, dit-il, lui a ouvert les yeux : «Les ressentiments et l'espérance ne m'intéressent pas. J'ai lu et bien digéré Marx, moi, pas comme la majorité qui s'en réclame, ces inutiles acrobates du marteau et de la faucille. Je fais confiance à l'expérience, camarade. Je m'offre à elle entièrement. La conscience vient après. Je ne le traite pas de haut le prolétaire. J'en suis un.» Né en 1978, quelque part en Kabylie, Karim Akouche est romancier, essayiste, poète, dramaturge et chroniqueur, presque autant de dons que Boris Vian. Kader B.