Saïd Chemakh est docteur en linguistique berbère et enseignant à l'université de Tizi Ouzou. Il est l'auteur de plusieurs articles sur Mohia, publiés dans des publications spécialisées et dans des sites Internet berbères. L'Expression: En tant qu'universitaire, comment pouvez-vous définir Mohia? Saïd Chemakh: Mohia est une personnalité culturelle très importante. On ne peut pas dire de lui qu'il est un dramaturge. Ses pièces sont des adaptations. Mais il a le mérite que tout son travail dans ce domaine a été une réussite totale. Il a pris des pièces théâtrales d'autres auteurs universels et il les a traduites en langue kabyle. Il s'est intéressé à des auteurs immenses comme Brecht, Molière, Alfred Jarry, etc. Il faut insister sur un point, dans son travail, il s'agit plus d'une adaptation que d'une traduction. D'ailleurs, en écoutant ces pièces, on a l'impression que la trame se déroule en Kabylie et que les personnages sont des Kabyles. Mohia a aussi adapté de nouvelles en pièces de théâtre comme celles de l'écrivain italien Pirandello. Quand les gens voient la pièce Tachvaylit, ils ne pensent, à aucun moment, qu'il s'agit d'un texte écrit à l'origine par un écrivain italien. Mohia ne fait que garder la trame. Sinon, tout le reste est sien. On remarque que quand on parle de théâtre amazigh, on ne cite que Mohia. Est-ce à dire qu'il n'y a pas d'autres qui ont travaillé dans ce domaine? Il y en a d'autres. Il y a des dramaturges professionnels de la région ayant travaillé en arabe, comme Makhoukh. Mais ceux qui ont travaillé directement en kabyle et en professionnel, franchement il n'y en a pas beaucoup. On peut rappeler la pièce de Abdelmalek Bouguermouh, réalisée par le Théâtre régional de Béjaïa. A quoi est dû, selon vous, le succès de Mohia? Mohia a travaillé avec un système adapté au genre. Il a enregistré ses premières pièces de théâtre sur cassettes. En 1985, il a obtenu le Premier prix du Festival du théâtre berbère en France. Ce prix a aussi contribué à son succès. Est-ce qu'il y a une relève après Mohia? Il y a ceux qui écrivent des pièces de théâtre, comme Mokrane Hammar, Meziane Boulariah et d'autres. Mais pour atteindre le niveau de Mohia, il est très difficile. Mohia a adapté en kabyle 23 pièces de théâtre. Les autres ne font pas dans l'adaptation. Il y a l'écrivain Amar Mezdad qui en a adapté une. Personnellement, j'ai adapté la pièce L'amour de loin de Amin Malouf, c'est tout. Mohia a-t-il été soutenu par les siens? Effectivement, il a bénéficié du soutien des siens. Il a été reconnu par ces derniers. Il ne faut pas non plus oublier que le grand Kateb Yacine a dit du bien de lui et de son travail. Mohia était aussi poète? Là aussi, il faut préciser qu'il n'était pas poète, mais traducteur. Il a traduit près d'une centaine de poèmes vers la langue kabyle dont un nombre important a été chanté par des chanteurs kabyle. L'un des poèmes les plus connus que Mohia avait traduit a été chanté par Imazighen Imoula. Il s'agit du Déserteur de Boris Vian. Les poèmes qu'il a traduits ont été publiés en 1976 sous l'intitulé Isefra. En outre, il a produit douze cassettes où on peut trouver toutes les pièces théâtrales en kabyle. Quel a été donc l'apport de Mohia à la culture kabyle? L'apport de Mohia concerne la littérature. Il a encouragé la traduction et l'adaptation. Il a prouvé qu'on pouvait traduire un prix Nobel de littérature dans la langue kabyle, comme Jean-Paul Sartre, et que le public pouvait apprécier ce travail comme s'il s'agissait d'un texte propre à la société et à la culture kabyle. Mohia avait compris qu'une langue, c'était avant tout l'oralité. C'est pourquoi, il avait opté pour la cassette. Il nous a laissé une production immense. Qui a réussi aujourd'hui à réaliser ce qu'a fait Mohia? Ce qui est important aujourd'hui, c'est de publier tous ses textes pour qu'ils puissent être lus. Déjà, des extraits existent dans les manuels scolaires. Mais il faut encore plus.