Il y a parfois des sujets qui s�imposent d�eux-m�mes pour un chroniqueur comme moi, r�guli�rement accus� de chercher des poux sur le cr�ne chauve des Arabes. D�un autre c�t�, et suivant la m�me logique �boule de billard, je ne me vois pas oignant de gomina des t�tes d�pourvues de cheveux. Je ne vais pas aussi coloriser des images qui en sont encore au noir et blanc, quoique s�agissant de cin�ma, la r�gression s�affiche d�sormais en haute d�finition. J�ajouterais, pour dissiper toute �quivoque, que l��poque du noir et blanc me semble beaucoup plus gaie et plus color�e que la p�riode o� nous vivons. De nos jours, il y a danger � braver les nouvelles convenances, et la hardiesse est class�e au rang de p�ch� mortel. A-t-on jamais vu un auteur condamn� pour exc�s de flatterie ? Nous avons eu notre lot de thurif�raires, et on peut en lire encore quelques-uns, pour peu qu�on se donne la peine d�affronter l�univers poussi�reux des archives. Innovez, osez vous affranchir des r�gles des po�tes de cours et vous serez encens�s en haut lieu, � votre tour, ou promu selon la bonne logique de nos gouvernants. Il y a d�ailleurs des exemples c�l�bres de journalistes qui ont choisi d��tre la ris�e de la profession, plut�t que de m�contenter la souveraine famille. Il y a m�me de v�ritables concours, comme les joutes po�tiques du march� de Okaz, o� chacun peut faire assaut d�ing�niosit�. Sur le �Guinness� de l�onction prodigu�e recto verso aux hommes en place, je retiendrais ce trait de g�nie d�un journaliste �gyptien. Charg� de r�pliquer aux opposants du pr�sident Moubarak, ce r�dacteur d� Al- Ahram s��tait tritur� les m�ninges pour trouver la bonne formule, la r�plique imposant le silence. Il n�ignorait pas, le bougre, que la d�fense d�un homme aussi d�cri� que Moubarak reviendrait � tenter de r��diter les travaux d�Hercule. Alors qu�il s��puisait � tenter de d�tourner les id�es qui le survolaient sans escales, son regard s�arr�ta machinalement sur la liste des courses pour la maison. Et les lecteurs d� Al- Ahram purent lire, en r�sum�, ceci : le pr�sident Moubarak est tellement soucieux du bien-�tre de son peuple, il y consacrait tant d��nergie et de temps, qu�il n�avait m�me plus le loisir de d�guster une �m�loukhia�(1), son plat favori. L�adage qui dit que derri�re chaque grand destin, il y a une femme, s�est v�rifi� puisque l��pouse de ce journaliste a �t� son inspiratrice, avec sa liste des produits pour la �m�loukhia�. Cette dame pouvait d�sormais se pr�valoir d�avoir contribu�, de fa�on d�cisive � l�instar d�autres, � la promotion de son mari. Ce dernier avait utilis� la bonne recette, et il a �t� nomm�, depuis, r�dacteur en chef d�un grand quotidien gouvernemental. Il est, pour la petite histoire r�dig�e par les humoristes �gyptiens, le premier laur�at de la �promotion m�loukhia�. Lors du dernier anniversaire de Moubarak, un autre journaliste a essay� de faire mieux, en affirmant que l��gypte �tait n�e le jour de la naissance de Moubarak, mais en vain. Il patauge dans la �m�loukhia �, savamment d�di�e au �ra�s� par le ma�tre pr�curseur. Comme quoi, il y a toujours des limites qu�il ne faut pas franchir, y compris en mati�re d��loge du Prince. A vouloir trop bien faire� Ayant dit ce que je pensais des vils flatteurs, comptez donc sur moi pour continuer � vous montrer les d�fauts de la calvitie arabe, r�v�l�s par de plus arabes que moi. Par exemple, on ne traitera jamais l��crivaine Ahlam Mostaghanemi de �berb�riste anti-arabe�, parce qu�elle ne s�appelle pas Ahlam B�djaoui, ou encore Ahlam Boghni. De plus, elle �crit des romans � succ�s en arabe, ce qui devrait la mettre hors de port�e des anath�mes habituels. Pourtant, Ahlam Mostaghanemi dit des choses qui auraient valu le pilori � d�autres moins �bien n�s�. Un ami qu�on ne peut soup�onner d��tre un crypto-berb�riste m�a fait parvenir cette semaine, non sans arri�re-pens�es, un texte publi� le mois dernier par l�auteur de la M�moire du corps. J�ai particuli�rement appr�ci� certaines formules impertinentes qui doivent donner de l�urticaire � l��go arabe, comme le titre du texte �Nous avons perdu nos savants, et nous avons gagn� la silicone�. Pourquoi la silicone ? Tout simplement � cause de l�utilisation de cette mati�re pour les proth�ses mammaires chez les femmes m�contentes de leurs poitrines. Or, il semblerait que certaines chanteuses � fesses rebondies et � succ�s subs�quent auraient eu recours � la silicone, pour mieux mettre en �vidence cette partie la plus visible de la femme qui danse. C�est le cas de la fr�tillante chanteuse �gyptienne, Ruby, accus�e in petto de renforcer son pare-choc arri�re au d�triment de son avant-garde, �litiste et peu populaire. Avec le talent qu�on lui conna�t, Ahlam r�sume sa pens�e dans cette comparaison sublime entre la �mouakhira� (post�rieur) de Ruby et la Muqadima (prol�gom�nes) d�Ibn-Khaldoun(2). Soit dit en passant, la Muqadimaest souvent utilis�e par les Arabes pour d�signer la partie la plus avanc�e du corps f�minin, la poitrine. Quant � la �mouakhira �, les Arabes ne sont pas encore arriv�s � lui trouver un nom plus usuel et plus consensuel, m�me s�ils y pensent beaucoup. En somme, c�est Ruby qui pose ou impose son s�ant sur la Muqadima d�Ibn- Khaldoun, avec des millions d�Arabes pr�ts � offrir leurs mains en guise de coussins. Or, ce que l��crivaine d�plore le plus, ce n�est pas que les Arabes pr�f�rent Ruby � Ibn- Khaldoun, mais qu�un morceau de silicone exhib� sur les t�l�visions satellites vaille plus cher que le cerveau d�un savant. Les gouvernements arabes ne s�int�ressent � la technologie que lorsqu�il s�agit de surveiller notre respiration, dit-elle, alors que des pays travaillent � former des hommes de science et � les conserver. Ahlam Mostaghanemi rel�ve le peu de consid�ration qu�ont les savants(3) dans les pays arabes, au point d��tre pouss�s � s�exiler. Sans compter que certains d�entre eux sont souvent assassin�s par le �Mossad�, lorsqu�ils activent dans un domaine de recherche susceptible de remettre en cause la sup�riorit� isra�lienne. Ahlam �num�re ainsi la liste de plusieurs chercheurs assassin�s en Irak m�me par des tueurs isra�liens, � la faveur de l�occupation am�ricaine. Faut- pr�ciser que lorsque l��crivaine alg�rienne parle de �Ul�mas�, s�agit des chercheurs scientifiques, des vrais savants qui contribuent � faire avancer l�humanit�. On peut, en effet, se passer des th�ologiens, mais les savants nous sont indispensables. Et c�est sans doute pour cela qu�on fait si peu de cas de leur personne. A. H. 1) Personnellement, je n�appr�cie pas trop ce plat qui me rappelle le �henn�, au moment de sa dilution. Ce n�est pas une raison pour critiquer ceux qui en mangent, mais personnellement, je ne voterais pas pour un pr�sident qui aime la �m�loukhia�. A moins que je ne l�aie d�j� fait � mon insu. 2) Attention, les censeurs veillent ! Pour avoir �voqu� quelques aspects m�connus d�Ibn-Khaldoun, notamment sa propension � flatter les princes, Amine Zaoui a �t� s�chement rappel� � l�ordre par un lointain descendant, en pente raide (moun�hadir en arabe) du philosophe maghr�bin. 3) Il faudrait peut-�tre en finir avec cette ambigu�t�, savamment entretenue par les religieux, entre �alem�, savant ou chercheur scientifique, et �alem�, titre que peut revendiquer le premier th�ologien venu. Or, si les scientifiques doivent m�riter le titre de savants, on ne peut pas en dire autant des soi-disant �Ul�mas� qui devraient se chercher un autre nom, pour �tre honn�tes avec eux-m�mes et avec leurs semblables.