Le président de la République ordonne d'accélérer le parachèvement des travaux des silos de stockage de céréales    Boughali préside une réunion du comité préparatoire de la journée d'étude sur les essais nucléaires français en Algérie    Hydrocarbures : Hachichi évoque avec son homologue mauritanien les moyens de renforcer la coopération bilatérale    Handball/ Mondial 2025 (Coupe du président/ 29e-30e places) : l'Algérie affrontera le Bahreïn mardi    Conseil de sécurité: les A3+ appellent à une solution politique au conflit en RDC    Amendement de la loi sur le Tribunal des conflits: la Commission des affaires juridiques de l'APN auditionne un conseiller auprès de la Cour suprême    APN: le groupe de travail chargé d'enrichir l'avant-projet de loi sur les associations auditionne Mme Cherfi    Djamaâ El-Djazaïr: conférence sur le miracle de l'Israâ et du Mi'raj    Khenchela: une équipe de spécialistes du CNRA expertise le site archéologique d'El Anaguid, dans la commune d'Ain Touila    L'UNRWA alerte sur la grave détérioration de la situation humanitaire en Cisjordanie occupée    Cultures stratégiques: l'Algérie dispose des moyens d'assurer sa sécurité alimentaire    Le président de la République préside une réunion du Conseil des ministres    Ligue de football professionnel (LFP) AG élective : le dépôt des dossiers de candidature fixé du 26 au 29 janvier    Une Caravane de la jeunesse et de la Mémoire nationale s'ébranle de Biskra    M. Attaf reçoit la ministre adjointe aux Affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne    Accidents de la route : 3 morts et 170 blessés en 24 heures    Mohamed Kouassi, le Moudjahid et le pionnier de la photographie en Algérie    Natation/championnat national hivernal des Benjamins : le MC Alger sacré à Oran    Lancement prochain de la maintenance de la piste secondaire de l'aéroport Boudeghene Ben Ali-Lotfi    Une nouvelle trajectoire de l'économie algérienne fortement dépendante des fluctuations du cours des hydrocarbures    Algiers Slush'D Trois Start-ups algériennes récompensées pour leur innovation en E-santé    Sacrée soirée au 5-Juillet    MB Rouissat : Abdelkader Lamine Zemmouri nouvel entraîneur    Dehiri rejoint Al-Qadisiya koweïtien en prêt    Le bon accueil des citoyens ''est un devoir et un engagement''    Un crime imprescriptible    L'Algérie exige que la France assume sa responsabilité !        Plus de 135 milliards de centimes de défaut de facturation en une année    Le contrôle régulier préventif recommandé    Le Conseil de sécurité consacre le président de la République en sa qualité de Champion de l'UA    L'Union des avocats franco-algériens précise    Donald Trump reclasse Ansar Allah sur sa liste noire des terroristes    Le ministre de la Culture et des Arts s'entretient avec son homologue italien    La pièce « La Résilience » évoque des étapes de la Glorieuse guerre de libération    Musée « Ahmed Zabana » d'Oran Visite virtuelle pour découvrir l'art plastique algérien        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



MOHAMMED ARKOUN, PHILOSOPHE ALG�RIEN
Un homme � l��coute du monde
Publié dans Le Soir d'Algérie le 19 - 09 - 2010

�J�avais seulement vingt ans quand j�ai commenc� � enseigner la langue et la litt�rature arabes au lyc�e d�El Harrach en Alg�rie. Ma vocation d�enseignant ne s�est pas limit�e aux publics d��l�ves, puis d��tudiants � La Sorbonne ; j�ai toujours r�pondu avec empressement aux demandes de publics extr�mement vari�s dans les cinq continents pour donner des conf�rences nombreuses en fran�ais, en anglais, en arabe et m�me en tamazight� (berb�re). (Mohammed Arkoun : Humanisme et Islam, Combats et propositions, Vrin, Paris, 2006, p. 7).
Par Mourad Benachenhou
Les autorit�s coloniales, qui ont administr� ill�galement et ill�gitimement l�Alg�rie entre 1830 et 1962 n�ont jamais cach� leur intention d��radiquer aussi bien l�Islam que la langue arabe, tout comme d�ailleurs, la langue berb�re (m�me si beaucoup l�ont oubli�).
Un g�nocide culturel programm� et syst�matiquement appliqu�
Une politique syst�matique de destruction des institutions religieuses et scolaires musulmanes a �t� mise en �uvre d�s les premi�res ann�es de l�occupation coloniale. Dans un rapport r�dig� en 1847, rapport tr�s souvent cit� par divers historiens de la p�riode, Alexis de Tocqueville, pourtant partisan convaincu de la n�cessit� pour l�occupant de s�emparer de tout le territoire alg�rien, n�a pas manqu� de noter que tout �tait fait pour d�truire la soci�t� alg�rienne en la coupant de ses racines linguistiques, culturelles et religieuses.
Il a fait la constatation suivante :
�Partout nous avons mis la main sur ces revenus [ceux des fondations pieuses ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charit� ou de l�instruction publique] en les d�tournant en partie de leurs anciens usages. Nous avons r�duit les �tablissements charitables, laiss� tomber les �coles, dispers� les s�minaires. Autour de nous, les lumi�res se sont �teintes, le recrutement des hommes de religion et des hommes de loi a cess�. C�est-�-dire que nous avons rendu la soci�t� musulmane beaucoup plus mis�rable, plus d�sordonn�e, plus ignorante et plus barbare qu�elle n��tait avant de nous conna�tre.� Ce rappel a pour objet de mettre, une fois encore, en exergue la r�sistance multidimensionnelle men�e par le peuple alg�rien contre un occupant d�cid� � effacer de la m�moire humaine l�existence m�me des Alg�riens et de leur histoire.
Mohammed Arkoun, un phare du renouveau culturel alg�rien
Ce rappel vise �galement � souligner que la survie culturelle, linguistique et religieuse du peuple alg�rien t�moigne de son attachement � ses sp�cificit�s, telles que son histoire les a cr��es. Il est �vident que, sans des hommes de foi et de culture, comme l��mir Abdelkader, le cheikh Abdelhamid Ben Badis, Messali Hadj et des intellectuels de la trempe de Mohammed Arkoun, un combattant de la cause culturelle et religieuse nationale, la soci�t� alg�rienne aurait sombr� dans le no man�s land des peuples colonis�s qui ont perdu tout rep�re civilisationnel du fait de l�action d�lib�r�e de g�nocide culturel poursuivie par l�occupant colonial.
Une origine sociale modeste, une personnalit� intellectuelle hors du commun
Mohammed Arkoun est, en effet, n� et �lev� dans une famille de neuf fr�res et s�urs, et a grandi dans un contexte historique peu propice � l��mergence d�une �lite intellectuelle profond�ment enracin�e dans sa soci�t�, El�ve, entre 1941 et 1945, dans une �cole secondaire tenue � Oran par les missionnaires chr�tiens P�res Blancs, il est soumis � un enseignement qui met l�accent sur le pass� ant�islamique de l�Alg�rie. Il choisit de consacrer sa vie � l��tude et � l�enseignement de la langue et la philosophie arabes. Une carri�re d�universitaire particuli�rement brillante le conduit jusqu�� une chaire de professeur � l�universit� prestigieuse de La Sorbonne fond�e en 1253 par un �averro�ste latin�, l�abb� Robert de Sorbon (1201-1274). L�autobiographie d�Arkoun, qui donne une liste impressionnante de publications originales en fran�ais et en arabe et de traductions de ses �uvres en anglais, n�erlandais, bahasa (langue de l�Indon�sie), sans compter les �crits �mineurs� dans diff�rentes publications, est publi�e sur le site internet suivant : http://www.ibnrushd. org/CV-Arkoun.htm.
Un intellectuel reconnu � travers le monde
Toutes les grandes universit�s du monde se sont fait un honneur de l�inviter � prononcer des conf�rences ; et il est rest� dispos� � r�pondre aux invitations qui lui �taient faites, impr�gn� qu�il �tait de sa mission d��ducateur et de clarificateur dans le domaine de recherche auquel il a consacr� sa vie, � savoir le renouveau de la philosophie musulmane. Homme de dialogue, il prononce une de ses derni�res conf�rences sur le th�me suivant �Penser la tol�rance, l'intol�rance et l'intol�rable depuis 1945� en avril 2009 � l�Universit� de F�s. Ses �crits ont �t� comment�s dans des revues acad�miques de toutes les langues importantes du monde. M�me un universitaire japonais, le professeur Natto Yosuke de l�Universit� de Tokyo, a consacr�, dans la langue japonaise, une longue �tude � sa pens�e, sous le titre de �Une introduction � l��tude de Mohammed Arkoun� (dans Annales de l�Association japonaise pour les �tudes sur le Moyen-Orient, num�ro 11, 31 mars 1996 pp. 319-340). Une philosophe allemande, Ursula G�nther, lui a m�me consacr�, en 2004, un ouvrage de 277 pages intitul� : Mohammed Arkoun : Un critique moderne de l�interpr�tation de l�Islam.
Une pens�e originale et profonde
Ce n�est, �videmment, pas l�abondance de ses �crits ou sa disponibilit� � exposer sa pens�e � tous les auditoires devant lesquels il a �t� invit� � prendre la parole au cours de ses quelques soixante ann�es d�activit�s de recherche et d�enseignement, qui l�ont rendu universellement c�l�bre et acclam�, et reconnu comme l�un des plus grands penseurs contemporains. Il a apport� un �clairage nouveau � l��tude de la philosophie de l�Islam, �clairage qui constitue une rupture avec les voies choisies par les penseurs musulmans depuis le XIXe si�cle, y compris les r�novateurs dont l�influence continue � se faire ressentir, comme Jamal Eddine el Afghani (1838-1897), le cheikh Mohammed Abduh (1849-1905), et bien d�autres penseurs musulmans, qui, au cours du XXe si�cle et jusqu�� pr�sent, ont poursuivi leur �uvre de r�flexion et de mise � jour de la pens�e islamique. (voir leur liste sur le site http://en.wikipedia.org/wiki/List_ of_Muslim_reformers).
Un r�novateur courageux de la philosophie musulmane
Arkoun est-il en rupture totale avec ses pr�d�cesseurs ? Il pourrait sembler, en effet, qu�il ait adopt� une d�marche plus radicale qu�eux dans sa tentative de redonner un souffle nouveau � la pens�e islamique. Aucun des fondateurs du courant r�novateur de l�Islam, qui a apparu et pris forme sous le choc de l�invasion coloniale qu�ont connu les pays musulmans au cours du XIXe si�cle, et de l�effondrement de l�Empire ottoman, qui a entra�n� la disparition du califat, en 1923, n�a �t� aussi loin que lui dans l�effort de r�novation de la pens�e musulmane, tirant son inspiration du Saint Coran. Une lecture rapide de ses �crits donne cr�dit � cette interpr�tation de ses �crits. Il n��tait pas, cependant, ni homme de provocation, iconoclaste pr�s � mettre � bas les principes de base de l�Islam pour prouver son originalit�, ni homme de conciliation, dispos� � accepter de prendre des positions de compromis, pour m�nager les sensibilit�s des uns et les pr�judices des autres. Il a �t� un �tudiant particuli�rement attentif de la pens�e musulmane, telle qu�elle s�est d�velopp�e dans les si�cles d�or de l�Islam, au temps des Abbassides ; il a �tudi� plus particuli�rement les �crits de Ibn Miskazayh (932-1030), auteur d�un manuel de philosophie morale inutile Raffinement des m�urs, et d�un livre intitul� Les clefs du bonheur, qui insistent non sur la n�cessit� de l�homme de s�adapter � sa soci�t� et � son si�cle, mais �galement sur la n�cessit� d�ouvrir son esprit aux id�es des penseurs non musulmans (visant sp�cifiquement alors le philosophe grec Aristote) s�il veut atteindre le but supr�me qui est le bonheur dans la vie, tout en pr�servant ses valeurs religieuses de musulman. (Voir Arkoun : l�Humanisme arabe aux IVe/Xe si�cles : Miskawayh, philosophe et historien, th�se de doctorat, Vrin, 1970).
Briser la scl�rose intellectuelle bloquant une interpr�tation correcte du Saint Coran
Dans son �uvre, Arkoun accorde une importance centrale � la relecture et la r�interpr�tation du texte du Coran, dans la m�me lanc�e que le cheikh Abdou, dont on sait qu�il a �t� l�auteur d�un commentaire m�thodique du Livre Saint en douze tomes. Comme Arkoun l�a souvent soulign�, une lecture utilisant toutes les m�thodes scientifiques de recherche et de commentaires actuellement � la disposition de l��tudiant du Saint Livre doit permettre de briser la scl�rose qui a atteint la pens�e islamique et a permis � beaucoup de faire des commentaires et de tirer des conclusions infond�es et extr�mistes de ses enseignements, que ces personnes soient anim�es de bons ou de mauvais sentiments � l��gard de l�Islam, Arkoun a voulu que se relance, de mani�re originale et en rupture avec la tradition, l�effort de renouveau de la pens�e islamique, effort qui ne remet en cause ni les fondements, ni les rites de cette religion. L�id�e est que, de m�me que les �coles juridiques actuellement accept�es sont le fruit de penseurs originaux, de m�me, l�interpr�tation du Coran, dans le respect des principes fondamentaux de l�Islam, peut �tre renouvel�e tout en gardant ce qui constitue l�inchang� et l�inchangeable dans ce texte sacr�. Arkoun ne remet pas en cause l�aspect r�v�l� du Coran ; il veut qu�on s�efforce de mieux le comprendre en s�aidant de techniques de recherches offertes par l�avancement de la science.
Rompre les cha�nes de la tradition
Il n�est ni h�r�tique, ni iconoclaste dans son approche ; il veut seulement lib�rer la pens�e musulmane tirant son inspiration du Coran, du poids de la tradition qui ne fait que r�p�ter, sans en comprendre totalement le sens, les commentaires faits par d�autres dans le pass�. (Voir Arkoun : Lecture du Coran, seconde �dition, �diteur : Aleef, Tunis, 1991, et Penser l�Islam d�aujourd�hui, Editions Lafomic, Alger 1993).
Voici ce qu��crit Arkoun � ce sujet :
�Repenser la tradition islamique aujourdhui est un acte intellectuellement urgent et n�cessaire, politiquement et culturellement d�stabilisant, et psychologiquement et socialement d�licat. Nous sommes, en fait, oblig�s de mettre � nu de mani�re beaucoup plus claire que l�a faite la critique classique, les fonctions id�ologiques, les manipulations s�mantiques, les ruptures culturelles et les incoh�rences intellectuelles qui se sont r�unies pour d�l�gitimer ce que, pendant des si�cles, nous avons �t� conduits � penser � et � vivre � qu�il exprimait l�authentique expression de la Volont� divine manifest�e dans la R�v�lation� Nous devons emprunter les m�thodes actuelles de pens�e ouvertes par les sciences de l�homme et de la soci�t� Pour �tre encore plus clair, la pens�e religieuse est � la recherche de penseurs ind�pendants, apr�s avoir �t�, pendant des si�cles, soit le monopole de fonctionnaires z�l�s, soit la cible de pol�mistes ayant d�autres objectifs.� (dans : L�Islam contemporain face � la Traditionactes du s�minaire sur l�Architecture musulmane, Grenade, Espagne-21-23 avril 1986, p. 241-traduit de l�anglais). Arkoun appelle, non � un rejet brutal de la Tradition, mais � une relecture du Coran, qui utilise les techniques modernes d��tude de texte, tout en reconnaissant le caract�re extr�mement d�licat d�une telle op�ration.
Une t�che difficile, mais n�cessaire pour d�senclaver l�Islam
Il est conscient que cette t�che d�passe les capacit�s intellectuelles d�un seul homme, et appelle d�autres penseurs � continuer le travail d��lucidation qu�il a entam�. Il ne veut ni choquer, ni cr�er une nouvelle h�r�sie, seulement rappeler que la Tradition a �t� cr��e par des hommes, qu�elle n�est pas d�inspiration divine, et que d�autres hommes peuvent la r�viser en s�aidant d�une approche plus scientifique du texte r�v�l� du Saint Coran. Il n�ignore pas que les commentateurs du Livre Saint ne sont pas tous libres d�arri�re-pens�es, entre autres de la part de tous ceux qui utilisent tel ou tel de ses versets pour avancer leurs propres objectifs politiques ou autres. Il fustige ceux qui s�improvisent commentateurs du Coran, et qui refusent de faire l�effort intellectuel n�cessaire pour se lib�rer des pratiques du pass� et ne font que reproduire les m�mes approches, ce qui ne fait en rien avancer la cause de l�Islam. Il note, et cette remarque peut �tre facilement confort�e par des exemples tir�s des �crits de certains sp�cialistes autoproclam�s de la pens�e musulmanes ou de la th�ologie islamique : �L�attitude r�formiste affich�e par un nombre croissant d�apprentis imams n�a jamais d�pass� jusqu�ici des bricolages ex�g�tiques qui redonnent une certaine confiance aux croyants et croyantes entra�n�s en fait vers les usages ritualis�s et id�ologiques d�un islam de combat politique.� (id ; p.26). Lorsque l�on veut mener �uvre de revivification de l�Islam, on ne peut se contenter de r�p�ter ad aeternam et ad libitum les m�mes commentaires, les m�mes analyses qui ne font en rien avancer la cause de l�Islam, et qui donnent l�impression que le fameux missionnaire am�ricain de la premi�re moiti� du XXe si�cle, l�inspirateur et le ma�tre � penser de l�id�ologie islamophobe moderne, Samuel M. Zwemmer, (1867- 1950) (dont les adeptes se sont regroup�s dans une universit� qu�ils ont nomm�e : Universit� Internationale de Colombia) aurait vu juste en pr�disant l�effondrement de l�Islam. Ce sont des penseurs comme Mohammed Arkoun qui constituent le meilleur d�menti � tous les espoirs nourris par ceux qui font profession de s�attaquer � l�Islam que cette religion est encore vivante et qu�elle a des d�fenseurs intellectuellement capables de relever les attaques des ennemis jur�s et �destructeurs � de notre religion. Comme Arkoun l�a affirm�, il s�est donn� pour mission de �d�senclaver l�Islam, le forcer � sortir de sa cl�ture dogmatique �rig�e en citadelle de r�sistance aux d�fis de l�histoire, alors que le monde attend des r�ponses responsables � des d�fis urgents et pr�cis� (dans : Humanisme et Islam : combats et propositions, op. cit. p. 15).
Un homme � l��coute du monde
Arkoun ne s�est pas content� d��tre un �philosophe dans un fauteuil, alignant les mots et les id�es avec bonheur et originalit�, trop perdu dans ses r�flexions �sot�riques pour voir les drames qui se jouent autour de lui. Il n�a jamais h�sit� � avancer sa propre analyse des �v�nements contemporains qui touchent le monde musulman. Il a pos� un regard critique sur la �globalisation� qui est en train de d�shumaniser les rapports entre les peuples, en mettant l�accent sur l�enrichissement mat�riel et en r�duisant � peu de choses la spiritualit� si importante pour la paix entre les diff�rentes cultures et religions�. Il a �galement pris acte de l�importance historique de l��v�nement du 11 Septembre, dont il estime que les tenants et les aboutissants, au-del� de son aspect dramatique, sont loin d�avoir �t� totalement d�chiffr�s. Il reproche, au passage, le peu d�empressement mis par les intellectuels musulmans � tenter de voir clair dans les circonstances de cet �v�nement, comme dans ses cons�quences futures. Il affirme ainsi sa position sur cet �v�nement pr�sent� comme la fin d�une �re et le d�but d�une nouvelle �poque : �Dans la perspective historique o� je place mes enqu�tes et mes analyses, l��v�nement du 11 Septembre 2001 n�est qu�un avatar apr�s tant d�autres d�une lutte � plusieurs enjeux, � plusieurs dimensions on encore analys�s avec objectivit� par les historiens. Du c�t� musulman, les contributions � cette histoire critique et exhaustive sont rares et trop timides, tant l�id�ologie de combat a soit d�tourn� les �nergies vers des luttes politiques sans-succ�s notable, soit impos� l�autocensure aux meilleurs esprits� (op cit. p. 28). Il souligne, cependant, une sorte de r�p�tition de l�Histoire, qui a pris pour pr�texte cet �v�nement : �On est retourn� sans transition, sans souci des l�gitimit�s, juridiques et morales, � la realpolitik des puissances conqu�rantes de l�Europe coloniale des XIXe/XXe si�cles. Contre toute attente, les Etats-Unis sont revenus � la conqu�te de type colonial en la l�gitimant par les promesses d�instauration de r�gimes d�mocratiques dans la sph�re g�opolitique appel�e Grand-Moyen-Orient.� (p. 37).
Arkoun et le drame du peuple palestinien
Rien des �v�nements politiques actuels qui interpellent les Arabes et les musulmans n�est �tranger � Arkoun. Il n�est nullement insensible au drame du peuple palestinien qui constitue un d�menti cinglant � toutes les proclamations de progr�s de l�humanit� vers un humanisme qui reconnait � tous le droit de vivre leur vie individuelle et dans leur communaut�, selon les valeurs qui leur sont propres. Il est particuli�rement dur � l��gard des puissances occidentales qui ont contribu� au d�clenchement de ce drame et sont impuissantes, ou peu dispos�es, � y trouver une solution. Voici ce qu�il �crit � ce sujet : �J�ose � peine �voquer la trag�die isra�lo-palestinienne si lourde de sang vers� et d�injustices accumul�es depuis 1916. Ce conflit incarne � lui seul les �checs de tous les h�ritages religieux et philosophiques dont se r�clament les protagonistes du conflit et davantage les d�mocraties modernes qui, par leur gestion du probl�me juif, et des peuples arabes colonis�s ont programm� juridiquement, socialement, culturellement l�antihumanisme radical, les mythoid�ologies, les mythohistoires int�rioris�es par les m�moires collectives, les imaginaires sociaux, les c�urs individuels. � p.38.
En conclusion :
1) Mohammed Arkoun est un homme de pens�e, un philosophe dont la richesse de la pens�e ne peut se contenir dans le terme �d�islamologue� qui lui a �t� coll� par tous les commentateurs ayant �crit sur lui ou l�ont jug� digne de recevoir leur hommage lors de l�annonce de son d�c�s.
2) Loin d��tre un iconoclaste ou un h�r�tique de l�Islam, Arkoun peut �tre consid�r� comme un de ses r�novateurs les plus originaux � quoiqu�il faille le reconna�tre � son approche a �t� souvent mal comprise et mal appr�ci�e par ceux sur l�esprit desquels p�se le lourd poids de la Tradition.
3) Il �tait profond�ment imbu des �uvres philosophiques de l��ge d�or de la civilisation arabomusulmane, et il en tire la substance de ses appels � casser le poids des traditions.
4) La foi musulmane de Arkoun, comme son attachement � la culture � la fois arabe et berb�re � son compagnonnage avec Mouloud Mammeri est l� pour le prouver � ne peuvent souffrir d�aucune r�serve.
5) Il �tait profond�ment attach� � l�Islam et a �uvr� pour redonner un souffle nouveau � la pens�e musulmane, tout en �tendant ses analyses au-del� de la simple revivification de la philosophie et de la th�ologie musulmanes par le retour � une m�thode de commentaire du Saint Coran, utilisant tous les atouts de la pens�e moderne.
6) Il reste conscient de la sup�riorit� de l�Islam, comme religion, bien qu�il ait �t� �lev� dans un contexte scolaire peu propice � la religion musulmane.
7) Il s�est voulu un �ducateur attentionn� et un homme de son si�cle, observateur et analyste des drames qui touchent plus sp�cifiquement les pays arabomusulmans.
8) Voici, en dernier mot, ce qu�il �crit sur l�Islam : �La civilisation de l�islam vise l��mancipation de l��me et sa lib�ration des entraves des passions et des app�tits en sorte qu�elle ait Dieu pour but, qu�elle soit emprunte d�humanit�, qu�elle travaille pour Dieu, et fasse le bien pour tout le monde.� (op. cit. p. 43).
9) Arkoun a beaucoup donn� � l�Islam et � son pays d�origine, qu�il n�a jamais reni�. Ce don pr�cieux d�id�es et d�engagement qu�il a offert par une vie consacr�e � l��tude et � la r�flexion va-t-il un jour lui �tre retourn� sur la forme d�un hommage national ? C�est l� une question pour laquelle on attend avec curiosit� et impatience la r�ponse.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.