Indestructible Italie ! Poussée dans ses retranchements par une Espagne lumineuse mardi à Londres, la Nazionale a dicté sa loi aux tirs au but (1-1 a.p., 4-2 t.a.b) pour retrouver la finale de l'Euro et parachever sa renaissance au plus haut niveau européen. Les «Azzurri» étaient du match d'ouverture, au Stadio Olimpico Rome le 11 juin... Ils seront du match de clôture contre l'Angleterre ou le Danemark, pile un mois plus tard, dans le temple du football ! Quelle résurrection pour cette Nazionale encore KO, trois ans plus tôt, par la non-qualification pour le Mondial-2018... Voici la génération montante des Chiesa, Donnarumma, Barella à une marche du sommet européen, aux côtés des anciens de sa défense, Leonardo Bonucci et Giorgio Chiellini. «Ce n'est pas fini», a cependant tempéré le sélectionneur italien Roberto Mancini après la rencontre. «On a fait un bon match, (mais) pas tout à fait comme d'habitude... On savait qu'on souffrirait dans un tel match. (les Espagnols) nous ont mis en difficulté. Ce sont des maîtres dans la maîtrise du ballon». En trois ans, la sélection a su reconstruire une identité, pas seulement axée sur l'agressivité et la solidité, mais animée par de séduisants petits gabarits, par une étonnante force collective et par un style de jeu décomplexé. Et en plus de 120 minutes, mardi soir, elle a montré qu'elle pouvait aussi revenir à ses principes de base, à savoir une solidarité défensive à toute épreuve face aux innombrables assauts espagnols, et une capacité à frapper vite et fort. Occasions manquées Par Federico Chiesa en première lame (60e), puis via un arrêt de son immense gardien Gianligi Donnarumma, devant Alvaro Morata au bout d'une séance de tirs au but maîtrisée. La Roja regrettera les échecs de Morata et de Dani Olmo à onze mètres, ses multiples occasions manquées, mais elle ne s'attendait pas à figurer si haut dans cet Euro, portée par la jeunesse de Pedri (18 ans), Olmo ou Ferran Torres. Les joueurs redoutaient une atmosphère ternie par l'impossibilité pour les fans de se rendre en Angleterre à cause des restrictions sanitaires... Leurs craintes ont vite été dissipées dans la soirée londonienne, où 57 811 spectateurs ont fait oublier le temps d'une rencontre la flambée des cas dus au variant Delta dans le pays. Les quelque 11 000 fans italiens - sans doute des résidents britanniques - venus dans l'enceinte mythique, ont chanté toute la soirée les louanges de Marco Verratti et Donnarumma, et ovationné le nom de Roberto Mancini, le sélectionneur à l'origine de la renaissance d'une sélection qui reste sur une série folle de 33 matchs d'affilée sans défaite. Le technicien n'avait pas tout chamboulé au coup d'envoi, signe que sa formule lui tient à cœur contre n'importe quel adversaire, y compris l'Espagne, reine de la possession. De l'autre côté, le sélectionneur Luis Enrique a tenté un pari en laissant sur le banc le plus italien des Espagnols, Alvaro Morata... finalement buteur en sortie de banc en seconde période (80e). Mancini contre Enrique Ce choc était décidément celui des coaches : Mancini et Enrique n'ont quasiment pas quitté leur zone technique de toute la rencontre, se faisant face de leur silhouette longiligne, mains dans les poches ou bras croisés, à se creuser les méninges pour trouver la clé qui viendrait déverrouiller la rencontre... Puis à chercher les mots, une fois la séance de tirs au but arrivée, pour insuffler la bonne énergie aux troupes... Le «Mister» italien a dû connaître des sueurs froides face à la domination adverse. L'Espagnol, de son côté, a stressé pendant 80 minutes pour qu'une frappe finisse enfin au fond, après les échecs multiples de Ferran Torres (15e), Dani Olmo (25e, 33e) et Mikel Oyarzabal (58e, 65e, 66e). Trop d'imprécisions pour espérer l'emporter, même si la première frappe italienne, d'Emerson Palmieri, a été retardée jusqu'à la 45e minute. Mais l'Italie n'avait pas encore sorti son perce-murailles fétiche, Federico Chiesa, buteur d'une frappe enroulée minutieuse (60e). Morata, buteur après une une-deux avec Olmo (80e), a ensuite retrouvé du sang-froid à son entrée en jeu, empêchant un hold-up plus précoce. Il a finalement eu lieu 40 minutes plus tard, au terme d'une partie renversante. Cette opposition, intenable de bout en bout, a déjà des allures de classique du XXIe siècle, avec ce 5e duel en quatre Euros... La Roja avait vaincu en finale en 2012, l'Italie a remporté cette manche-là. Et se prend à rêver d'un second titre, après 1968... La leçon du Mondial-2018 a changé l'état d'esprit de la Squadra Azzura Comment l'Italie s'est réinventée pour... redevenir elle-même Du cauchemar du Mondial-2018 suivi à la télévision au rêve inespéré d'une finale de l'Euro sur la pelouse de Wembley, dimanche prochain, l'Italie a dû se réinventer en changeant de jeu et d'état d'esprit pour... redevenir ce qu'elle était. Sur le terrain, c'est un dur, Leonardo Bonucci. Mais après la qualification acquise aux tirs au but contre l'Espagne (1-1 a.p., 4-2 aux t.a.b.) mardi, le défenseur italien aux 108 sélections n'a pu retenir quelques larmes. «Ce sont des larmes de joie, parce que ça a été très dur. Mais le cœur de l'Italie ne lâche jamais. On est en finale. On devra mettre la même volonté, les mêmes sacrifices pour ramener ce qui manque à l'Italie depuis 50 ans» et le sacre européen de 1968, a souligné le défenseur de la Juventus. «On ne s'arrête plus», clamait en écho, hier, la Gazzetta dello Sport, au diapason d'une Italie qui se pince pour y croire. Partout dans le pays, la nuit a pris des allures de fête. Des drapeaux agités Piazza del Popolo à Rome comme dans les rues de Milan ou de Turin; des coups de klaxons par centaines, des fumigènes et des «Forza Italia». La joie des tifosi est à la hauteur de la déception vécue il y a trois ans et demi quand la Nazionale avait manqué sa qualification pour le Mondial-2018, une première depuis 60 ans. Triste, sans idées, sans buteur, elle avait buté en barrages de qualification contre la Suède. Idées neuves Le légendaire Gianluigi Buffon, privé d'un sixième Mondial (cela aurait été un record), avait raccroché les gants en équipe nationale et le sélectionneur Gian Piero Ventura était parti sous les lazzi. C'est sur ce champ de ruines que Roberto Mancini est arrivé en mai 2018. Il a mis dans la reconstruction de l'enthousiasme, des idées neuves et de nouvelles têtes mais s'est aussi employé à réparer le moral des cadres. «La façon dont il a réussi à entrer dans le cœur de tout le monde en peu de temps m'a étonné», expliquait le capitaine Giorgio Chiellini juste avant l'Euro. «C'est un homme de peu de mots, mais il a créé un beau groupe (...). Avec une grande sérénité, il transmet du calme et de la confiance.» Battue par la France (1-3) début juin 2018 puis le Portugal (0-1) en septembre, l'Italie perd deux de ses cinq premiers matchs avec Mancini, mais le fond a déjà changé. Fini le traditionnel accent mis sur la défense, Mancini apporte de l'air frais en basant son jeu sur la possession de balle et la construction au milieu, autour de Jorginho et Verratti, avec l'ambition du mouvement permanent et de l'attaque. Cette révolution, au pays du «catenaccio», porte ses fruits : dix victoires en dix matchs pour s'inviter à l'Euro puis une qualification pour le carré final de la Ligue des nations (en octobre prochain). «Peur de personne» Irrésistible, y compris pendant cet Euro, l'Italie a enchaîné contre l'Espagne un 33e match sans défaite (27 victoires, 6 nuls)! Mancini a battu un record italien datant de plus de 80 ans et lorgne désormais le record mondial, détenu par l'Espagne (35). Mais au-delà du jeu, le «Mancio» a su créer une vraie âme : et quand l'Italie souffre, comme contre l'Autriche (2-1 a.p.) en huitième et surtout mardi contre une Espagne dominatrice, qui a confisqué le ballon, il lui reste une combativité et une solidarité indéniables. Loin de se limiter à onze titulaires, il a constitué un groupe large (77 convoqués en 3 ans et 35 joueurs lancés par ses soins) où beaucoup ont eu leur chance. Pour certains comme Emerson et Federico Bernardeschi, sur le terrain mardi, la sélection a souvent été une bouée de sauvetage quand ils jouaient peu en club. Par sa solidité et sa rage de ne pas perdre, cette équipe d'Italie s'inscrit dans les pas de celles de 1982 ou 2006, devenues championnes du monde avec une grande cohésion. «Nous ne sommes pas les plus forts, mais on n'a peur de personne», résume le vice-directeur de la Gazzetta dello sport Andrea Di Caro. «Bien sûr, maintenant on veut gagner cet Euro, mais le résultat de dimanche n'y changera rien: cela a été notre Euro, celui de la renaissance.» Espagne Rebâtie mais battue de peu, la «Roja» est lancée vers Qatar-2022 «Tristes, mais fiers», les Espagnols, éliminés mardi par l'Italie (1-1 a.p., 4-2 t.a.b.), disent adieu à l'Euro aux portes de la finale, mais cette prometteuse génération, façonnée par Luis Enrique, a déjà les yeux tournés vers le Mondial-2022. «On a perdu un match, mais on a gagné une sélection». Comme l'a écrit Marca sur son site mardi soir, l'Espagne entière sort de cet Euro avec une pointe de déception, mais une immense dose d'espoir et d'optimisme en vue de la Coupe du monde au Qatar en novembre-décembre de l'année prochaine. Iker Casillas, Cesc Fabregas, Gerard Piqué, Sergio Ramos et d'autres anciens noms de la «Roja» ont d'ailleurs donné rendez-vous dans 16 mois mardi soir, après avoir célébré le beau tournoi de l'Espagne sur les réseaux sociaux. «Jusqu'à maintenant, la sélection n'avait aucune chance. Maintenant, oui. Il y a un beau futur», estimait Santi Nolla, directeur du journal catalan Mundo Deportivo, hier, au lendemain d'une défaite cruelle, aux tirs au but, contre l'éternel rival italien, malmené comme jamais dans ce tournoi par la «Roja». «Un grand projet» «Il y a un futur avec Luis Enrique. Malgré la déception, le sélectionneur a construit une nouvelle sélection qui nous enthousiasme à nouveau», précise le quotidien catalan Sport. Le sélectionneur, qui tâtonnait encore en mars, a réussi à bâtir un projet qui a pris forme immédiatement. Une équipe sans aucun joueur du Real Madrid, mais un groupe soudé, porté par l'expérience du capitaine Sergio Busquets et celle de Jordi Alba, et la fougue et le talent des jeunes, Pedri, mais aussi Eric Garcia (20 ans), Ferran Torres (21 ans), Dani Olmo (23 ans), Unai Simon (24 ans) et Mikel Oyarzabal (24 ans), tous titulaires mardi en demi-finale. Luis Enrique, en poste depuis 2018 en dépit d'une interruption de quelques mois en 2019 pour rester au chevet de sa fille emportée par un cancer à l'âge de neuf ans, est resté fidèle à ses convictions malgré un début de tournoi poussif, avec deux nuls contre la Suède (0-0) et la Slovaquie (1-1). Il a maintenu sa confiance en Alvaro Morata, critiqué après ses occasions manquées, et l'avant-centre la lui a bien rendue en marquant un but salvateur en 8e de finale contre la Croatie (5-3 a.p.), puis en égalisant contre l'Italie mardi, même s'il a ensuite raté son tir au but. Le jeune gardien Unai Simon, héros de la séance de tirs au but en quart contre la Suisse et qui a encore stoppé la tentative de Locatelli mardi, a également donné raison à son sélectionneur, qui l'a défendu, malgré sa bourde contre la Croatie. Pedri, jeunesse dorée Autre pari réussi, celui de confier les clés du jeu à un gamin de 18 ans. Pedri, lancé dans l'élite aux côtés de Lionel Messi au Barça cette saison, s'est révélé aux yeux du continent. Il est devenu le plus jeune joueur de l'histoire à disputer une demi-finale de l'Euro, il est toujours le joueur qui a le plus couru dans ce tournoi. Et mardi, dans la mythique enceinte de Wembley, il a encore offert un récital, avec seulement deux passes manquées en 120 minutes de jeu. «Quelqu'un s'est rendu compte de l'Euro que vient de faire un garçon de 18 ans nommé Pedri ? Ce qu'il a fait dans cet Euro, je n'ai vu personne d'autre le faire à 18 ans, que ce soit dans un Euro, un Mondial ou à des Jeux olympiques. Pas même Andrés Iniesta. C'est quelque chose qui échappe à toute forme de logique», a encensé Luis Enrique après le match. Sa pépite soufflera ses 20 bougies quatre jours après le début du Mondial-2022. L'an prochain, l'Espagne fêtera pour sa part les dix ans de son dernier grand sacre, à l'Euro-2012. C'était le crépuscule de l'âge d'or espagnol entamé à l'Euro-2008 et au Mondial-2010. Désormais à l'orée d'une nouvelle ère, la «Roja» se prend déjà à rêver.