D'année en année, l'intérêt consacré à l'évocation de certaines festivités éminemment politiques et de surcroît étrangères au capital-souvenir de notre pays a, pourtant, le curieux don de susciter en nous plus d'un commentaire. Cela a été régulièrement le cas du défilé français du 14 juillet 1958 lequel est demeuré dans ses annales comme un fait politique notoire pour au moins une raison et la « bonne ». Celle d'être le premier grand démenti au slogan unanimiste du 13 mai de cette même année ayant porté de Gaulle au pouvoir au nom de « l'Algérie française ». En la présence du Général lors de ce défilé, de très jeunes Algériens amenés d'Algérie eurent le courage d'énoncer de vive voix leur désaccord en agitant des drapeaux algériens ! Grand moment de désarroi au sein de la nomenklatura de l'Empire qui manqua de perspicacité à chaud au point d'actionner la machine de la traque, mais en vain... ou presque. Et pour cause, n'était-il pas devenu, au fil du temps, la référence symbolique d'un magnifique épisode de la guerre de Libération ? Une belle histoire qui eut pour personnages des adolescents et qui déroula son réquisitoire en confondant le mensonge historique qui prévalait à cette époque. Retour sur les événements qui caractérisèrent en toile de fond la fête nationale de la France. Grâce au mouvement du 13 mai qui avait été l'œuvre exclusive de la communauté pied-noir et à laquelle s'associèrent des militaires ayant perdu toutes les guerres, c'était justement ces « quarterons de généraux félons », désignés et qualifiés plus tard par de Gaulle, qui diffusèrent la fausse information concernant les indigènes qui seraient favorables à cette supposée amitié française. Pour illustrer la prétendue reddition mentale des « indigènes », l'on embrigada justement par le biais des activités de loisirs la masse informe des adolescents vivant essentiellement à la périphérie des centres urbains. C'est ainsi que, pour les besoins de la parade du 14 juillet 1958, les structures des SAS et SAU(1) parvinrent à mobiliser quelque 2000 jeunes dans le Constantinois puis les encadrèrent lors de la traversée vers la France pour ensuite les consigner dans un centre près de Paris. Une opération qui montra bien que l'on ne lésinait pas sur la thématique exclusive que l'Algérie était solidement ancrée à l'Empire. « Or, ce qui, plus tard, allait étonner l'opinion française de la métropole fut le résultat aux antithèses du défilé », comme l'avait décrit le quotidien Le Monde dans son édition du même jour. Ajoutant ce qui suit, il nota : « ... qu'au moment où le dernier groupe atteint la tribune présidentielle, trois ou quatre drapeaux vert et blanc des fellagas se détachent sous la masse blanche et bleu roi des chemisettes et des shorts. Quelques jeunes musulmans les agitent vers l'estrade officielle en criant « À bas l'Algérie française » et d'autres slogans inintelligibles. Le service d'ordre pourtant nombreux qui stationne le long de l'avenue est si surpris qu'il ne réagit pas. C'est seulement plusieurs dizaines de mètres après la tribune qu'un général sorti des rangs des personnalités et deux officiers de parachutistes, bientôt rejoints par des inspecteurs en civil, « ceinturent » les jeunes manifestants. Passés de main en main, les drapeaux du FLN disparaissent. Mais un des jeunes qui les agitaient est appréhendé. Deux gardiens de la paix l'emmènent. C'est un enfant : on lui donnerait quinze ans. Il tremble. Il a l'air excité » (fin de citation). S'agissant du coupable en question, cet enfant apeuré et qui affichait un air agité s'appelle Hamoud Bensebane. Ce fut justement grâce aux travaux de recherche du regretté universitaire Abdelmadjid Merdaci qu'il a été possible de consigner les souvenirs de cet étonnant acteur. Au fil des détails, qu'il avait donnés tout au long de l'interview recueillie par cet universitaire disparu récemment, l'on a appris plus d'un aspect quant au fonctionnement secret de la logistique de la fédération de France du FLN. Mieux encore, nous avons mesuré à l'aune de notre ignorance l'importance et l'efficacité sans faille de ses opérations puisqu'elle fut à l'origine de la totalité des scénarios qui permirent la réussite de cette communication politique inédite sans éveiller le soupçon de l'encadrement militaire du camp Laffitte et de la DST où étaient confinés les futurs marcheurs. La voilà donc résumée l'expédition d'un 14 juillet français lorsqu'elle parvint à ridiculiser le défilé solennel grâce à de modestes affichettes au couleurs algériennes ! L'exploit des Yaouled, ce surnom peu avantageux attribué, entre autres, aux cireurs de rue, a mérité la patine du temps et le témoignage des historiens sérieux. Il n'en demeure pas moins, cependant, que certains doutent qu'un tel haut fait d'armes ait pu être accompli par quelques adolescents. Pour preuve de ce scepticisme, il n'est toujours pas venu à l'idée du ministère de la « mémoire officielle » d'associer aux cérémonies du « souvenir », n'est-ce pas, ceux qui n'étaient que d'insouciants enfants de la rue mais vite acquis à la cause de leurs aînés. Aujourd'hui septuagénaires et plus, de surcroît fourbus, n'auraient-ils pas mérité de faire d'eux les architectes d'une singulière légende ? B. H. (1) SAS : Section administrative et sociale. SAU : Section administrative et urbaine.