�Dites�. depuis quand notre 1er Novembre a-t-il cess� d��tre c�l�br� comme il se doit ? O� sont pass�s les d�fil�s militaires ? Pourquoi la f�te nationale manque-t-elle de solennit� officielle et de faste populaire ?� Ce sont l� de dr�les de questions� d�automne quand elles surgissent au c�ur de l��t�. Sauf que celui qui venait de les poser, en ce 14 juillet, avait toute sa ��t�te�� et toute sa raison, sachant par avance que l�exactitude des r�ponses et les justifications circonstancielles n�att�nueront jamais son grand d�pit. Ni plus ni moins chauvin que ses compatriotes il �tait en droit de faire les plus frustrantes des comparaisons. Car apr�s s��tre abreuv� du spectacle grandiose d�une comm�moration fran�aise plus que s�culaire (1), il ne comprend toujours pas, comment chez nous, l�on ait pu laminer en moins d�un demi-si�cle le sentiment national et la fiert� patriotique, jusqu'� r�duire l�acte festif du 1er Novembre � une garden-party pour la nomenklatura. C�est que le quidam qui en parle avec col�re n�est pas un moudjahid dont les hauts faits d�armes furent le fruit d�une conviction tremp�e dans l�acier du militantisme. Son �ge � l��poque des faits et l�aventureuse opportunit� qui s�offrit � lui en firent un bien singulier h�ros. Disons-le tout net, l�itin�raire de son combat avait pour point de d�part un d�fil� du 14 juillet 1958. Et sur les Champs-Elys�es de surcro�t ! Mais alors, pourrait-on penser qu�il n�aurait �t� qu�un pleutre ou un mouton de plus parmi la cohorte des Alg�riens ind�cis jusqu�au dernier �quart d�heure�? Ceux qui par la suite devinrent de z�l�s miliciens des purges dans une ind�pendance pagailleuse. Bien au contraire, cet adolescent de 17 ann�es en 1958 fera le coup m�diatique le plus fumeux de l��poque en arborant, avec trois ou quatre de ses compagnons, des drapeaux alg�riens face � la tribune pr�sidentielle occup�e par Ren� Coty et scandant �A bas l�Alg�rie fran�aise�. Le voici donc cet enfant des faubourgs constantinois, d�s�uvr� et sans attache pr�cise avec les r�seaux du FLN, qui fait le piedde- nez aux recruteurs des services psychologiques de la S.A.S de son quartier. En somme, un gosse perdu et sans collier mais qui, instinctivement ou intuitivement, sait qu�il ne sera pas perdu pour tout le monde, m�me s�il doit se pr�ter � la com�die de la �pacification�. Au moment o� s��tait d�cid� son �voyage� pour la France, le mouvement du 13 mai avait atteint son apoth�ose avec le retour de De Gaulle aux affaires fran�aises. Et le slogan �Alg�rie fran�aise� �tait pr�cis�ment le signe de ralliement et le message que devaient v�hiculer les 2000 adolescents qu�on entassa dans les cales des bateaux et que l�on exp�dia � Marseille quelques jours avant le 14 juillet. A la fois mise en sc�ne et fantasmatique illusion historique, la France coloniale voulait se refaire encore un avenir. La R�publique en 1958 ne pouvait par cons�quent que faire d�filer �l�Alg�rie de papa� sur les Champs-Elys�es. Le th�me de cette dramaturgie politique consistait alors � amplifier �l��uvre positive de la colonisation�. Celle-ci sera alors incarn�e par la pr�sence de 3600 anciens combattants indig�nes et 2000 enfants que l�on donna en spectacle aux Parisiens. Le caract�re exceptionnel de cette option est m�me soulign� par le journal Le Monde et abondamment d�crit par le d�tail (2). Parmi les 2000 jeunes en short, chemisette et sandales, une centaine cachaient des drapeaux alg�riens et quatre seulement parvinrent � les exhiber � la hauteur de la tribune pr�sidentielle. � �..Au moment o� le dernier groupe atteint la tribune pr�sidentielle, note ce journal, trois ou quatre drapeaux vert et blanc des fellagas se d�tachent sur la masse blanche et bleu roi des chemisettes et des shorts. Quelques jeunes musulmans les agitent vers l�estrade officielle en criant �A bas l�Alg�rie fran�aise� et d�autres slogans inintelligibles. Le service d�ordre pourtant nombreux qui stationne le long de l�avenue est si surpris qu�il ne r�agit pas. C�est seulement plusieurs dizaines de m�tres apr�s la tribune qu�un g�n�ral, sorti des rangs des personnalit�s, et deux officiers de parachutisme, bient�t rejoints par des inspecteurs en civil �ceinturent � les jeunes manifestants. Pass�s de main en main, les drapeaux du FLN disparaissent. Mais un des jeunes qui les agitaient est appr�hend�. Deux gardiens de la paix l�emm�nent. C�est un enfant : on lui donnerait quinze ans. Il tremble. Il a l�air surexcit� � (2). Cet enfant qui avait peur et affichait un air agit� c��tait lui qui aujourd�hui se souvient du 14 juillet des �autres� et s�inqui�te de l�enfouissement de notre 1er Novembre. Hamoud Bensebane r�cite la m�me version des faits qu�il donna en 1989 � la presse alg�rienne. Ainsi sous la plume de l�universitaire Abdelmadjd Merdaci, R�volution africaine publiait pour la premi�re fois un r�cit sur cet �v�nement. Ce texte qui n�a pas pris une ride demeure le meilleur exercice narratif sur ce destin individuel. Sous la dict�e du personnage, le r�dacteur consigne fid�lement les faits dont nous extrayons les passages qui suivent : ��.. Nous avons �t� enr�l�s aupr�s de la SAS sise rue Nationale � Constantine (NDLR : rue Ben-M�hidi). Nous �tions un groupe de copains. Dirig�s sur Skikda, les jeunes Alg�riens sont regroup�s dans une caserne avant leur transfert sur Marseille. L�id�e de saboter le d�fil� avait commenc� � germer � Skikda sans que l�on sache quelle forme cela prendrait. Toujours sous le contr�le de l�arm�e, ils sont dirig�s par train de Marseille � Paris, puis orient�s sur un camp � la for�t Laffitte dans la banlieue parisienne. C�est en cherchant � renouer le contact avec des amis alg�riens, tous travailleurs immigr�s, qu�il sera abord� par le FLN. �Une jeune fille m�avait suivi puis interpell�. Une jeune Alg�rienne. Elle m�a conduit au �Tam-Tam� � Barb�s. L�, un groupe de militants m�a entretenu et surtout expliqu� la signification politique que ne manquerait pas d�avoir le fait que de jeunes Alg�riens puissent d�filer sous le drapeau fran�ais alors que d�autres jeunes Alg�riens mouraient au maquis. Seriez-vous tra�tres � la patrie ? Le FLN allait ainsi toucher une bonne part des jeunes regroup�s au camp Laffitte. Des consignes de s�curit� sont donn�es et des r�unions tenues. Celles auxquelles j�ai pris part avaient eu lieu au caf� le �Tam-Tam� alors que d�autres se d�roul�rent au �Sidi Rached�. Toutes s�accord�rent pour se fixer comme point de d�part de l�op�ration le village Laffitte. Des drapeaux alg�riens furent introduits au camp et enterr�s sous la garde de Mostafa Belbey. La nuit du 13 au 14 juillet en compagnie de Mohamed Essalhi, dit Ch�abane originaire de Guelma, nous sommes rentr�s � pied au camp vers les quatre heures du matin. Apr�s nous �tre assur� que le secret �tait bien gard�, une centaine de drapeaux alg�riens furent distribu�s aux jeunes avant le d�part fix� � 5 heures du matin. Auparavant, les r�seaux du FLN nous avaient indiqu�s les guides parmi nos groupes. Car apr�s notre action nous devions les suivre pour assurer notre d�gagement. Je me souviens que notre guide �tait Mohamed Bentellis. Mais tr�s rapidement, au cours du d�fil�, les officiers de l�arm�e et la police devaient investir nos �carr�s� et �touffer le groupe des �d�filants�. Longtemps, nous avons fait l�objet d�une poursuite. Apr�s mon arrestation, j�ai �t� tortur� lors de mon transfert � Alger et notamment � l�a�roport de Dar-El-Be�da.� (3) Bien mieux que des bribes de souvenirs flous, ce sont des instantan�s pr�cis de sa m�moire qu�il est encore capable de traquer et d�interpr�ter comme le font tous les �corch�s vifs qui ne tol�rent pas l�amn�sie collective. Cet oubli d�cr�t�. Ca,r pour lui, tous les �14 juillet� de la France porteront la marque de notre indig�nat tant qu�on ne leur aura pas oppos� la glorification qui nous grandisse dans notre propre estime. A certains �gards, ce sexag�naire questionneur a bien raison de s�inqui�ter de cette inexplicable dilution des symboles dans le petit fleuve des jours f�ri�s. Depuis quand justement l�arm�e a cess� de d�filer en public le 1er Novembre ? Et plus significatif encore, comment ne pas �tre dubitatif devant les pr�textes � l�origine de l�annulation des c�r�monies militaires du cinquantenaire de 2004 ? A la premi�re question, il faudra s�rement remonter au-del� de la d�cennie du terrorisme pour trouver une explication plausible. Quant � la raison officielle justifiant celle du cinquantenaire, elle ne m�ritait m�me pas qu�on s�y attarde, sinon, pour rappeler son caract�re sp�cieux. Ne nous a-t-on pas expliqu� dans un communiqu� lapidaire que les tensions r�gionales m�ritaient quelques sacrifices dans nos c�l�brations ? Autrement dit, les d�monstrations militaires pourraient �tre mal interpr�t�es par un voisin � la susceptibilit� politique ingu�rissable. Ainsi la vieille accusation de militarisme et de bellicisme, qui fit injustement la r�putation du pays � une �poque, est reprise � leur compte par nos dirigeants pour justifier quelques r�glements de comptes trans-institutionnels, peu rago�tants. Rappelons-nous la difficile cohabitation de la pr�sidence et la haute hi�rarchie de l�ANP. Alors que l�on sait que Boumediene n�avait que des tr�s lointaines ressemblances politiques avec Bismarck et que l�Alg�rie n�a jamais eu l�intention ni les moyens de devenir une Prusse des tropiques, pourquoi par cons�quent puiser dans les contrev�rit�s du voisin pour couvrir une strat�gie politicienne interne ? Une telle l�g�ret� vis-�-vis des symboles d�un peuple d�sole pr�cis�ment ceux qui contest�rent jadis �les valeurs� de l�empire colonial. D�pouill�s de tous rep�res, ils radotent chaque �t�, le jour du 14 juillet et temp�tent l�automne en ce jour morne du 1er novembre. Parmi eux, il y a ceux qui se souviennent avoir d�fil� contre leur gr� et dans une autre vie, mais ne se rappellent pas avoir connu de grands moments de fiert� dans la pr�sente existence. B. H. (1) Pierre Morville : nous pr�cise que le 14 juillet a �t� consacr� f�te nationale en 1880 par la III�me R�publique � in Le Quotidien d�Orandu jeudi 14 juillet. (2) Compte rendu du Monde dat� du 14/15 juillet 1958 (3) Consultez R�volution africaine du 28 juillet 1989.