Colonnes de feu et de fumées montant dans un ciel illuminé comme le jour et dévoilant des collines décharnées et réduites en cendres, maisons dévorées par les flammes sous le regard terrorisé de leurs propriétaires, cris d'angoisse et de colère des gens qui courent dans tous les sens, lançant des appels à l'aide... Ces instantanés virtuels, tournant en boucle, dans la nuit, sur les réseaux sociaux, constituent un témoignage réel de l'ampleur du désastre et de désolation, que beaucoup découvriront ébahis, le lendemain des incendies qui se sont déclarés, dès le milieu de la journée de lundi dernier et qui n'ont pas tardé à devenir, en début de soirée de la même journée, un immense brasier qui s'étendra aux quatre coins de la wilaya de Tizi Ouzou, n'épargnant, sur son passage, ni faune, ni flore, ni biens, ni vies humaines. Presque aucune localité n'est épargnée par les feux qui se sont déclarés de façon quasi synchronisée. Sporadiques, multiples et simultanés. Dans un premier communiqué diffusé lundi dernier, à 16h, par la Protection civile, il est fait état de 19 départs de feu qui se sont déclarés à la lisière de plusieurs communes. Poussés par des vents favorables qui se sont levés en début de soirée, et profitant de la présence d'un dense couvert végétal et de broussaille, les feux progresseront avec une grande vitesse, encerclant plusieurs villages. Désormais, dans plusieurs communes, c'est l'alerte rouge. À Azazga, Larbaâ-Nath-Irathen, Aït Yenni, Ouacifs, Akbil, à l'est de Tizi Ouzou, Ouadhias, Draâ-el-Mizan, au sud et Timizart, Mizrana, Iflissen, au nord du chef-lieu de wilaya, les citoyens sont sur le pied de guerre pour arrêter la progression des flammes dont l'avancée incommensurable menaçait de dévorer tout sur leur passage. Les pompiers et les agents des forêts mobilisés sur le terrain, tôt dans la journée, seront vite dépassés par la multiplication des sites d'intervention. «Toutes les unités de la Protection civile de la wilaya, les agents des forêts, les APC ainsi que d'autres corps ont été mobilisés sur le terrain. Des moyens aériens et des renforts des wilayas voisines ont été également sollicités», rassure-t-on du côté de la wilaya où le conseil local de sécurité a été convié par le wali pour une réunion d'urgence et de veille. «Les incendies se sont soldés par quatre décès, ainsi que plusieurs pertes matérielles dont des champs d'oliviers et des centaines d'hectares du domaine forestier ravagés, des poulaillers et bétaillères dévastés et plusieurs maisons et véhicules touchés», lit-on dans un communique de l'APW diffusé en début de soirée de lundi et qui signalait que «pour prévenir plus de dégâts et d'autres pertes humaines, plusieurs villages encerclés par les feux ont été évacués.» Urgence humanitaire et élan de solidarité salvateur De partout, parviennent des récits angoissants de luttes acharnées contre les flammes ravageuses, de cris de détresse et d'appels à laide et à la solidarité. Une valeur qui, encore une fois, s'est révélée salvatrice, un refuge pour faire reculer les limites du désastre et du malheur. « Larbaâ-Nath-Irathen brûle ! Les villages At Frah et Taourirt-Mokrane font appel aux citoyens et à l'aide par des citernes d'eau. Urgent, partagez cet SOS ! » « Ceux qui ont des citernes d'eau, des tracteurs peuvent aider les villages cernés par les feux. Ceux qui peuvent héberger les villageois qui fuient leurs maisons peuvent aussi leur ouvrir leurs portes. Il y a une urgence humanitaire dans de nombreux villages de Tizi Ouzou. C'est le grand moment d'organiser la solidarité pour venir en aide aux populations.» Comme des bouteilles à la mer, des messages du genre tournaient en boucle sur le réseau social Facebook qui s'est révélé un espace efficace pour relayer les appels à la solidarité et à l'entraide. Beaucoup de vies humaines ont pu être sauvées, ce soir-là, grâce aux appels de détresse qui, visiblement, ne sont pas tombés dans le silence de la nuit. Ces appels ont même été captés par des jeunes de Hydra et de Kouba qui ont collecté des dons qu'ils devaient acheminer sur Tizi Ouzou, selon le témoignage fait au Soir d'Algérie par un enseignant algérois à la retraite. À Tizi Ouzou, des jeunes ont organisé des quêtes. L'argent a servi à l'achat de plusieurs fardeaux d'eau et de produits alimentaires qui ont été acheminés par camions au profit des familles sinistrées de Larbaâ-Nath-Irathen et d'autres localités. Des jeunes de Tizi Rached se sont mobilisés et ont nettoyé la maison de jeunes locale pour servir de gîte aux éventuelles familles dont les domiciles sont menacés par le feu. À Tamda, non loin de Tizi Ouzou, un entrepreneur en bâtiment, qui a affiché son nom et ses numéros de téléphone, s'est dit disposé à mettre 39 appartements à la disposition des familles sinistrées, ajoutant qu'il est disposé à envoyer des fourgons pour rapatrier ces dernières. Un élan de solidarité inspirant pour les associations humanitaires, à l'instar du Croissant-Rouge qui a mobilisé ses comités locaux pour aider les citoyens en détresse. Du côté des institutions, on n'a pas été en reste. L'exemple est venu de la Direction de l'éducation qui a diffusé, au milieu de la nuit, un communiqué, demandant aux chefs d'établissement des trois paliers d'ouvrir les portes des écoles, des lycées et des collèges pour accueillir les citoyens qui auraient perdu leurs habitations. Le même geste est venu aussi des propriétaires d'hôtels et de salles des fêtes. Lundi soir, la solidarité était à la hauteur de l'émotion suscitée par l'incendie à grande échelle et qui s'est poursuivie encore dans la journée d'hier. Plusieurs foyers d'incendie ont été signalés à Aïn-el-Hammam et ses environs où des sources locales qualifient la situation de « chaotique ». La situation n'est guère meilleure dans les communes d'Aït Oumalou et Aït Aouggacha, dans la région de Larbaâ-Nath-Irathen. Le feu progresse et menace les habitations, à Illoula, dans la daïra de Bouzeguène. À qui profite le crime ? Y a-t-il des mains criminelles et ou des pyromanes derrière cet embrasement de presque toute une région ? Pour beaucoup, la synchronisation et ces départs de feu enregistrés presque au même moment et en plusieurs endroits ne peuvent être la conséquence du dérèglement climatique qu'on invoque en pareille catastrophe. Beaucoup ont conclu à un acte d'origine criminelle. Une piste qui est ouvertement privilégiée par le premier policier du pays. En visite hier, à Tizi Ouzou, en compagnie des ministres, respectivement, de l'Agriculture et de la Solidarité de la famille, Kamel Beldjoud, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, était sûr de son fait en incriminant des mains criminelles dans la commission de ces incendies. Assurant que l'Etat sévira avec vigueur contre leurs auteurs, une fois qu'ils seront débusqués par l'enquête des services de sécurité. Une commission d'experts pour évaluer les dégâts Selon les témoignages recoupés, les effets dévastateurs de ces incendies sont énormes sur les plans humain et matériel. On déplore six morts, en plus des pertes d'élevage bovin, de poulaillers, de ruchers, et un nombre important d'arbres fruitiers et d'oliviers. Beaucoup de citoyens ont aussi perdu leurs habitations. Une commission d'experts sera incessamment sur le terrain pour évaluer les pertes occasionnées aux citoyens qui, promettent les représentants du gouvernement, seront indemnisés. S. Aït Mebarek