À la tragédie qui frappe la Kabylie est venu s'ajouter un autre drame, celui de la mort d'un jeune homme violemment tombé sous la colère d'une foule en délire à Larbaâ-Nath-Irathen. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Le choc provoqué par les images insoutenables de sa mise à mort concurrence ce maudit mercredi 11 août les images des villages qui brûlent un peu partout, des appels à l'aide des familles encerclées par les flammes, des recherches des très nombreux disparus. À Larbaâ-Nath-Irathen, la population, mobilisée depuis plus de 72 heures pour réduire l'avancée des flammes, se tourne vers un autre événement qui se produit dans cette région. Un jeune homme de 26 ans vient d'être arrêté par les comités de vigilance mis en place par les villageois et remis aux forces de l'ordre. Il est soupçonné d'être l'un de ceux qui auraient mis le feu dans la région. Une foule immense suit le fourgon qui le transporte. Elle est majoritairement composée de jeunes en délire. Des vidéos livrent en direct les scènes qui se déroulent. Des scènes que tous connaissent : le jeune homme est torse nu, il est violemment tiré du fourgon par des personnes qui font cercle autour de lui, jeté à terre. Il est battu à mort puis traîné par la jambe vers une petite placette où son corps est incendié. L'Algérie entière est choquée. Elle le sera davantage lorsque des proches de la victime dévoilent son identité : Djamel Bensmaïl est un artiste de Miliana venu prêter main-forte aux groupes qui se solidarisent avec la Kabylie. La large condamnation est suivie de la peur de voir ce drame déboucher sur une autre terrible situation, la division, la haine... Très vite, des figures connues de la Kabylie se mobilisent pour éviter toute dérive. Des appels au calme et à l'apaisement sont également lancés un peu partout à travers le pays et relayés par les réseaux sociaux. La tension est à son comble. La piste criminelle est privilégiée par les pouvoirs publics qui annoncent plus de vingt-deux arrestations à travers le pays. La thèse du « complot » circule avec force, elle est alimentée par des propos incendiaires de Ferhat Mehenni qui accuse « le pouvoir algérien d'être à l' origine des incendies, et que cet acte vient après le soutien du Maroc à l'indépendance de la Kabylie ». Dans la région, nombreux sont ceux qui doutent de l'implication du MAK dans les évènements de Larbaâ-Nath-Irathen. Le doute s'ajoute aux questions restées sans réponses : comment et dans quelles circonstances Djamel Bensmaïl a-t-il été arrêté ? Comment le suspect a-t-il pu échapper aux mains des forces de l'ordre ? Réagissant aux évènements qui se sont déroulés, le parquet de Larbaâ-Nath-Irathen explique : « Un groupe de citoyens a interpellé, mardi 11 août à 16h30, trois personnes soupçonnées d'être impliquées dans le déclenchement des feux de forêt survenus dans la région. Cependant, et malgré l'intervention des policiers, ce même groupe a attaqué violemment le siège de la police et a pu extirper la troisième personne qui a été conduite à l'extérieur du siège de la police pour être brûlée .» Dans un communiqué publié ce jeudi, le procureur de la République de Larbaâ-Nath-Irathen fait savoir que « des policiers qui sont intervenus pour sauver les trois personnes ont été blessés ». La même source indique, enfin, qu'une enquête destinée à faire toute la lumière sur l'affaire a été ouverte, « afin de déterminer l'identité des auteurs et les responsables du crime pour qu'ils soient traduits en justice ». Dans la soirée, les élus et représentants des comités de villages de Larbaâ-Nath-Irathen réagissent à leur tour. Ils présentent leurs condoléances à la famille du défunt et promettent de ne pas laisser l'affaire sans suite. Un discours visant à l'apaisement, à l'accalmie est diffusé partout dans le pays. Les parents de Djamel Bensmaïl refusent le discours de la haine et de la division. À l'hôpital de Tizi Ouzou, où se trouve la dépouille de son fils, le père est accueilli par de nombreuses personnes qui présentent des excuses au nom de la Kabylie. La dépouille de la victime arrive tard dans la nuit à Miliana pour être inhumée. L'imam tente de contenir la frénésie de la foule immense qui l'accompagne et appelle au calme. Une logique se met en place un peu partout : « Etablir la différence entre la Kabylie et les auteurs du crime .» La sagesse prend le dessus. Toute l'affaire se déroule sans affecter l'immense élan de solidarité envers les zones sinistrées. Hier, à midi, un immense cortège de fourgons transportant des dons arrivait, une fois de plus, aux portes de Tizi Ouzou. A. C. La population de Larbaâ-Nath-Irathen condamne et présente ses condoléances à la famille du défunt Dans une déclaration rendu publique jeudi 12 août et publiée sur le mur Facebook du P/APC de la ville Lounis Mohand, la population de Larbaâ-Nath-Irathen, via les comités de villages et la société civile locale, vient de réagir à « l'ignoble crime » qui a coûté la vie au jeune Djamel Bensmaïl de Miliana. « Nous, comités de villages et société civile de Larbaâ-Nath-Irathen, réunis au siège de la commune, venons par la présente déclaration nous démarquer et condamner avec fermeté le crime ignoble et abject dont a été victime notre fils Djamel Bensmaïl. » Un acte qui « est étranger à nos valeurs et coutumes séculaires et ancestrales », écrivent les rédacteurs du document qui ont tenu à exprimer leur tristesse et « leur profonde compassion et leurs sincères condoléances à la famille du défunt et à toute la région de Miliana ». Saluant « le courage et la sagesse manifestée humblement par ses parents et sa famille proche », les représentants de la population de Larbaâ-Nath-Irathen expriment leur engagement à « accompagner la famille du défunt dans cette terrible épreuve». Enfin, ils se disent déterminés « à veiller à ce que toute la vérité soit faite sur cet événement tragique ». S. A. M.