Abderrahmene Etthaâlibi (1383-1471), légendaire saint tutélaire d'Alger et présumé descendant algérien du quatrième calife de l'islam Ali, cousin germain et gendre du Prophète, a, dans un célèbre distique poétique, dit de l'Algérie qu'elle est fille des épreuves majeures et des miracles de la résurrection permanente. La strophe en question souligne en substance qu'il y a dans la vie de notre terre ancestrale quelque chose d'extraordinaire et de stupéfiant, et surtout qu'aucune infortune ou malédiction n'y sont durables. Mais, par la Grâce du Clément et Miséricordieux, la délivrance, l'aisance et l'abondance suivent toujours la misère et les peines qui adviennent lorsque rétrécit le champ de l'espérance. Particulièrement accablée par les dégâts du Covid mutant, du stress hydrique et des angoisses de la malvie, aggravés par les difficultés économiques, l'Algérie a subi cet été l'épreuve supplémentaire et dantesque des foudres de la Géhenne. Les incendies du couvert végétal et des esprits chauffés à blanc furent ponctués par l'expression de l'abomination humaine absolue, sous forme de crime en trois actes sataniques, sur les sentiers du Djurdjura : Le lynchage suivi de l'égorgement et du brûlage d'une victime expiatoire d'une certaine foule carburant au poison de la haine ethnocentrique. L'horreur ainsi survenue faisait craindre encore le pire : l'éventuel exercice collectif de la loi du talion par la famille et la ville de Miliana, cité non kabyle dont le supplicié est originaire. Une vendetta qu'aurait probablement appuyée des compatriotes choqués et en colère issus d'autres régions du pays. C'est alors que la mansuétude divine évoquée par Sidi Abderrahmene vint au secours de la terre de Kabylie et du reste de l'Algérie. Elle avait en ce moment de grâce le visage et les mots de Noureddine Bensmaïl, père éploré, mais infiniment digne et altier, de Djamel, le martyr de la fraternité algérienne et de la solidarité nationale. Faisant taire la passion du cœur en peine, et n'écoutant que la voix de la raison patriotique, Monsieur Noureddine Bensmaïl trouva alors les mots qui empêcheront très vite, de part et d'autre, le déchaînement des passions létales. On craignait de perdre la Kabylie travaillée au plus profond du corps social par le particularisme culturel contrarié et le séparatisme rampant, et voilà que grâce à lui la Kabylie et le reste du pays font corps et parlent la même langue de l'unité nationale confortée. Par la Grâce du Clément et Miséricordieux, la délivrance, l'aisance et l'abondance suivent toujours en Algérie la misère et les peines qui surviennent quand rétrécit le champ de l'espérance, disait donc Sidi Abderrahmene, lui-même originaire des Issers en Kabylie ! Préalablement à l'ignominie libérée à Larbaâ-Nath-Irathen, une autre éclatante illustration en fut donnée par le truchement d'une chaîne interminable de solidarité concrète, émanant des quatre points cardinaux du pays avec les victimes fraternelles des drames incommensurables du feu ravageur en Haute-Kabylie. « L'adversité est l'occasion de la vertu », disait Sénèque, le philosophe stoïcien romain. L'adversité, chez nous, c'est donc l'épreuve par le feu et le supplice insoutenable à Larbaâ-Nath-Irathen. Et la vertu, c'est par conséquent l'honneur patriotique transcendantal de Noureddine Bensmaïl, qui a su dépasser le drame de sa petite famille pour mieux trouver une famille de consolation plus grande, l'Algérie. Et permettre ainsi à la Kabylie et aux autres territoires de mieux s'y retrouver. Lui-même n'a-t-il pas dit qu'il a perdu un fils et gagné un pays ?! « C'est par l'épreuve du feu qu'on reconnaît l'or pur, et c'est par les épreuves qu'on reconnaît l'Homme de cœur », disait encore Sénèque, comme s'il parlait du père de Djamel Bensmaïl. À quelque chose malheur de l'incendie qui détruit et du crime qui endeuille serait paradoxalement bon pour la Kabylie dans le pays et pour le pays avec la Kabylie. Celle-ci s'est ainsi retrouvée dans l'Être national pour mieux chasser de son propre corps, aujourd'hui et demain, le mal MAK. Et le reste du pays, en ouvrant spontanément les voies du cœur fraternel, comme tout le pays l'avait fait durant la crise de l'oxygène inhérente à la crise pandémique aggravée, a montré au monde que l'Algérie est un bloc dans l'adversité, dans toute sa diversité. De même qu'il a démontré que les différences sont désormais, au moins, un plus petit multiple commun, et non un plus grand commun diviseur, comme ont parié dessus des forces hostiles externes s'appuyant sur des forces centrifuges internes. Force aura été donc pour la force centripète dans le pays. Et c'est cette force centripète stupéfiante qui fait qu'aucune infortune ou malédiction ne soient durables en Algérie, comme l'avait souligné en son temps le saint des saints protecteurs d'Alger, Sidi Abderrahmene Etthaâlibi. Effet paradoxal inattendu, les feux de l'enfer, l'enfer de la folie criminelle et l'attitude éminemment patriotique et profondément philosophique de Noureddine Bensmaïl ont provoqué une catharsis dans le pays. La libération des forces du démon en Kabylie n'a en effet pas rencontré la furie de la vengeance individuelle ou collective ailleurs. Elle a, au contraire, libéré les forces du bien, au sens même du mot catharsis. À savoir, dans son acception philosophique première, la purification, la séparation entre le bon et le mauvais, entre le bien et le mal. En psychanalyse et en psychologie, à la suite de Sigmund Freud, on sait que la catharsis est notamment une libération de la parole qui empêche l'expression des pulsions malsaines. D'un point de vue strictement médical, elle se conçoit comme une purgation, c'est-à-dire un mal nécessaire à la guérison : soigner le mal par le mal pour un réconfort final. Mais dans le cas de la réaction surprenante du père de Djamel, il s'agissait de guérir le mal par le bien. Transcender un mal individuel pour un bien collectif. Dans tous les domaines d'usage, la catharsis part d'un mal destructeur pour un bien constructeur. Au final, une victoire des forces d'intégration contre les forces de désintégration. C'est l'idée même de la catharsis Bensmaïl. N. K.