Par Noureddine Khelassi Dans ces mêmes colonnes, nous avions abordé, il y a quelques semaines seulement, le sujet de la Kabylie en affirmant qu'elle est un creuset du patriotisme et de la démocratie, et un pilier de l'unité nationale. C'était, à l'extrême évidence, énoncer un truisme ! L'occasion est de nouveau offerte pour le réaffirmer, et avec force, à l'image du président de la République, jeudi soir, dans son discours à la Nation. Dans son adresse au pays, le chef de l'Etat avait fait de l'unité nationale le fil rouge de son intervention et la ligne rouge à ne jamais franchir par qui que ce soit et où que ce soit. Le drame incommensurable que vit la Kabylie, l'extraordinaire élan de solidarité avec elle des autres régions dont certaines sont ravagées par les incendies, et notamment l'expression sadique de l'hystérie collective dont a été victime un jeune militant de la solidarité algérienne, incitent à rappeler que l'unité nationale est le principe de base de notre Constitution. Son article «Un» énonce en effet que l'Algérie est « une et indivisible ». L'affirmation précède même la profession de foi constitutionnelle selon laquelle « l'Islam est la religion de l'Etat » (article 2). Au sens figuré, l'unité nationale est même la première religion à professer, en sa qualité de bon musulman ! De l'épreuve de l'enfer dantesque en Kabylie et du crime barbare commis par des Méphistophélès à Larbaâ-Nath-Irathen ont surgi deux actes symboliques majeurs qui donnent une âme et une force inédites à l'unité nationale. Deux actions et autant d'images puissantes qui nous disent qu'il n'y a pas d'Algérie sans la Kabylie, et que cette dernière n'existera jamais sans le reste de la Nation. La Kabylie est partie intégrante d'un continuum territorial et d'une continuité historique. Le père de la victime expiatoire de la foule barbare l'a bien signifié en n'étalant aucune haine à l'égard des bourreaux de son fils, en exprimant surtout son amour fraternel pour ses concitoyens de Kabylie et en insistant, avec les mots de la force de la simplicité, sur l'esprit de corps national. Si le patriotisme doit avoir un sens profond, il l'a déjà trouvé dans la philosophie de l'altruisme, du pardon, de la magnanimité et de la fraternité algérienne exprimés par un père pourtant amputé, et dans quelles conditions tragiques, d'un membre vital de sa paternité : son fils bien-aimé ! L'autre expression symbolique puissante de la fraternité algérienne réside dans cet acte noble des citoyens de Larbaâ-Nath-Irathen qui sont allés demander pardon au père de la victime. Au nom de toute la ville. Acte de contrition et d'humilité qui est un geste de grandeur d'âme, et qui incite à ne jamais verser dans l'essentialisme en jetant l'opprobre sur toute une région et sur tous les compatriotes qui en sont originaires. On ne doit jamais perdre de vue que le substantialisme exprime toujours une tentation à la généralisation hâtive et abusive, susceptible de nourrir un manichéisme toxique. Une vague déferlante de solidarité nationale ! Pour leur part, nos compatriotes de Kabylie, dans le reste du pays et dans la diaspora, devraient méditer le sens profond de la vague nationale de solidarité qui a déferlé sur la Kabylie pour mieux y panser les plaies des âmes meurtries. Comme ils devraient également beaucoup réfléchir sur l'acception du pardon fraternel et de l'éloge de la concitoyenneté affectueuse exprimés par un père qui venait pourtant de perdre tragiquement un être aussi cher ! Nos frères et sœurs devraient savoir que le reste du pays, qui possède lui aussi ses brebis galeuses racistes, aime profondément la terre kabyle et les Algériens qui la peuplent. Et qu'il est en même temps fier, autant qu'ils le sont eux-mêmes, de son histoire et des valeurs ancestrales constitutives de l'ADN culturel de leur région ancestrale. Cela devrait les inciter, plus que par le passé, à minoriser, isoler et étouffer davantage ce chancre mou qui s'appelle le MAK séparatiste, traître à la Nation et à sa propre région, et désormais classé comme organisation terroriste. Ils devraient surtout combattre, avec la même énergie déployée à survivre au feu estival de la géhenne, l'esprit MAK qui sape les fondements de la Nation unie. Hors Kabylie, lorsqu'on évoque sa terre sacrée, dont l'humus est constitué d'oueds de sang versé par une chaîne immémoriale de martyrs, on constate malheureusement l'existence d'un tropisme kabyle, d'un spectre déformant, tous deux alimentés par des clichés, des présupposés et des paradigmes fallacieux. Le polyèdre déformant consiste surtout à observer la Kabylie à travers les minorités les plus visibles et les plus bruyantes, notamment les minorités politiques et les minorités médiatiques qui font beaucoup de bruit et produisent beaucoup d'écume numérique sur les réseaux sociaux. Celles qui créent l'effet d'optique et l'effet de loupe. Celles qui croient que l'indice de bruit médiatique (IBM), le taux de récurrence d'un bobard, d'une demi-vérité, d'une vraie-fausse information, d'un fake-news ou d'une opinion itérative, et enfin le buzz consécutif, finissent par produire une apparence de vérité et l'impact escompté. Il a existé également une culture de manipulation produite par des laboratoires interlopes dirigés, dans une conjoncture particulière, par des docteurs Folamour qui ne sont en fait que des pieds nickelés dangereux. Ces branquignoles sont en réalité une triste version algérienne du sapeur Camember, dont les sombres facéties furent à l'origine d'une entreprise de révisionnisme historique et d'une guerre psychologique antipatriotique contre la Kabylie et nos compatriotes qui en sont originaires. Cette affligeante action d'agit-prop, aussi médiocre que périlleuse, portait le nom indu et incongru de « novembariya-badissiya ». Dans le sens où les apprentis-sorciers qui en furent les inventeurs, prétendaient incarner une génération numérique, chimiquement pure, de pseudo-révolutionnaires se réclamant à la fois des sources du 1er Novembre et du courant réformiste des Oulémas. Sous-entendu pernicieux : la Kabylie serait antirévolutionnaire et terre d'impies et d'apostats ! Pis encore, la « novembariya-badissiya » a eu un prolongement réactionnaire sous forme de présentation de la Kabylie comme ayant été la terre d'élection et de prédilection du recrutement des Zouaves, ces ancêtres des harkis de la guerre d'indépendance ! Là encore, une attaque violente contre l'honneur patriotique de nos fiers compatriotes de Kabylie, doublée d'une manipulation grossière de l'Histoire du corps colonial des zouaves et de ses origines territoriales et sociologiques. L'Histoire est pourtant parfois plus sévère à l'endroit d'autres régions du pays où il y avait plus de vocations à devenir zouave un jour ! Aujourd'hui, et fort heureusement, les promoteurs de cette pâle photocopie de la sinistre Bleuite du funeste capitaine Léger ont été neutralisés. Effet boomerang de la « novembariya-badissiya » ! Labos interlopes producteurs d'un poison anti-kabyle Ces attitudes schismatiques, criminelles par définition, favorisent le racisme de part et d'autre, sèment davantage les graines de la discorde et, à Dieu ne plaise, pourraient préparer le lit d'éventuels affrontements violents dans le futur. La Kabylie est pourtant et depuis toujours une terre de sagesse philosophique et de lucidité politique. Il y a eu, bien sûr, à travers le temps, des traîtres, des lâches et des pyromanes dans la région, à l'instar du reste du pays. C'est la loi de la nature humaine, et il faut bien, de part et d'autre, se garder de verser dans l'essentialisme porteur de tous les risques de division du pays ! Et on a observé qu'il existe de tout temps en Kabylie une forte majorité qui renouvelle son choix d'une Algérie une, unie et solidaire, malgré l'émergence, ces vingt dernières années, d'un mouvement séparatiste persistant. À maintes occasions, la région envoie un message clair : la Kabylie et le reste de l'Algérie sont insécables, en dépit des forces tectoniques du séparatisme minoritaire. Fait heureux, la grande majorité de nos compatriotes kabyles montre que la région est toujours ce bastion traditionnel du patriotisme et des luttes inlassables et cumulatives pour l'idéal démocratique. Tout compte fait, la Kabylie est un condensé politique, économique, social, culturel et insécuritaire de la crise algérienne qui est fort complexe. Elle démontre sans cesse, sauf pour ceux qui ne veulent pas bien voir, qu'elle a toujours un sens élevé de la politique. Une politique citoyenne dans une région avant-gardiste en matière de combats démocratiques. C'est cette Kabylie-là, majoritaire et souvent silencieuse, qui dit aux autres parties de l'Algérie qu'elle demeure un creuset du patriotisme et de l'unité nationale. Et cette Kabylie-là nous rappelle aussi ce que l'Algérie tout entière doit à ses innombrables sacrifices et à son long martyrologe, qui sont fièrement un bien commun. Nous sommes tous, aux quatre points cardinaux de la patrie commune et dans la diaspora, assez redevables à ses luttes accumulées en faveur de l'indépendance nationale, de l'identité algérienne, des droits de l'Homme, de l'idéal démocratique, de la lutte syndicale, de la pérennité de l'islam tolérant et fédérateur, et de l'émancipation culturelle du pays. N. K.