La vaste opération de lutte contre la spéculation, menée depuis quelques semaines, n'a pas été sans faire des dommages collatéraux. Des producteurs de pomme de terre de semence, détenant un agrément de stockage et inscrits dans le programme du Système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac), ont été victimes de cette campagne. Saisi, leur stock de semence va être écoulé sur le marché comme pomme de terre de consommation. Une décision qui chamboule grandement le programme tracé par le ministère de l'Agriculture pour cette filière. Rym Nasri - Alger (Le Soir) - Des producteurs spécialisés dans la pomme de terre de semence ont été les victimes collatérales de la campagne de lutte contre la spéculation menée ces dernières semaines par les services de contrôle de la répression des fraudes du département du commerce. En effet, cinq agriculteurs de la wilaya de Aïn Defla ont vu tout leur stock du tubercule destiné pour la semence saisi. Parmi ces importantes saisies, 8 400 quintaux ont été confisqués au tout premier fellah contrôlé dans la région. Accusés d'avoir stocké et dissimulé de grandes quantités de pomme de terre de consommation, ces producteurs sont aujourd'hui sous contrôle judiciaire et risquent la prison. Pourtant, assurent-ils, ces stocks sont stratégiques et destinés en premier lieu à la semence. Ils affirment d'ailleurs détenir tous les documents nécessaires les autorisant à conserver cette production dans des entrepôts. Seulement, ni leur agrément de stockage, ni leur convention avec le PNDA (Plan national de développement agricole), ni leur adhésion au Système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac) n'ont fait fléchir les autorités. Selon des indiscrétions, le ministre de l'Agriculture et du Développement rural aurait avoué à des interlocuteurs que certaines saisies ont été opérées d'une manière arbitraire et ont carrément perturbé le programme de la filière pomme de terre, mis en place par son département. Un aveu qui illustre l'absence de coordination entre les ministères du Commerce et de l'Agriculture. Pour rappel, 80% des semences du tubercule utilisées actuellement sont produites localement. Le secteur qui n'importe que 20% des besoins par an aspire justement à atteindre l'autosuffisance en la matière en 2022. Un objectif qui risque de prendre du retard, puisque la pomme de terre de semence saisie dans les stocks de nombre d'agriculteurs, notamment ceux de la région de Aïn Defla, spécialisés dans la production de ce produit, sera bradée. Le ministre du Commerce avait justement annoncé que ces quantités seront vendues à 50 dinars le kilogramme sur le marché local. De ce fait, l'Algérie sera probablement amenée à importer de grandes quantités de patates cette année puisque celles destinées à la semence stockées dans les entrepôts ont été saisies et mises sur le marché. Outre la semence, la pomme de terre de consommation, elle aussi, risque de manquer sur les étals pour la saison prochaine. Face aux représailles «démesurées» des services de contrôle de la répression des fraudes, les fellahs vont se contenter de produire de petites quantités pour éviter le stockage du surplus. De peur de voir leur production stockée saisie et d'écoper d'une lourde peine de prison, ils vont tous revoir leurs investissements. Des producteurs qui projetaient d'investir pour la production de 500 hectares de pomme de terre se sont déjà rétractés, et ont abandonné leur projet afin d'éviter de subir des contrôles inopinés souvent effectués par des personnes non qualifiées pour juger la variété du tubercule (consommable ou semence). Contacté pour avoir sa version, le ministère de l'Agriculture et du Développement rural n'a donné aucune suite à notre demande. Ry. N.