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Cours de soutien : un phénomène qui prend de l'ampleur
JIJEL
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 10 - 2021

Les cours de soutien particuliers pour les trois paliers confondus sont un phénomène qui prend de plus en plus de l'ampleur ces dernières années à l'échelle de la wilaya de Jijel.
Lors de notre passage dans de nombreuses communes et localités de la wilaya, même les plus reculées, nous avons été surpris par l'ampleur de ce nouveau phénomène de société. Ainsi, le visiteur de nombreuses communes, notamment les grands centres urbains, entre autres Jijel, Taher, El-Milia, Kaous, sera frappé par la nuée des annonces accrochées sur les devantures des commerces, des mosquées, des espaces et placettes publics, marchés populaires, gares routières, écoles coraniques, cafés maures, douches, sur lesquelles on peut lire : «Un enseignant, expérimenté, donne des cours de soutien tous paliers confondus.»
Signe des profondes mutations socioéconomiques qui ont tendance à remettre en question l'école publique. Nous nous rendons à une école dispensant des cours de soutien se trouvant dans une bâtisse vétuste à Jijel. Nous nous faisons passer pour un parent d'élève qui veut y inscrire ses enfants.
Une jeune fille voilée derrière son bureau assurant le secrétariat nous explique que le système suivi par cette école est un peu particulier. Il permet aux élèves, explique-t-elle, de développer leurs capacités mentales et leur intelligence, soulignant que cet établissement fonctionne selon un système pédagogique importé de l'étranger, et que les enseignants recrutés sont appelés à poursuivre un stage pour s'initier à ce système.
Notre interlocutrice ajoute que le prix est de 14 000 DA pour 16 séances, à raison d'une séance par semaine. Un prix exorbitant qui n'est pas à la portée des bourses moyennes en ces temps de crise. À notre question relative au nombre des élèves qui poursuivent ce système de «génie», la jeune secrétaire révèle que «cette école», qui existe depuis trois ans, compte pas moins de 300 élèves entassés dans des locaux dépourvus des conditions d'aération et des normes de sécurité. «À Taher, on dénombre plus de 150 lieux qui assurent des cours de soutien», nous confie Omar, un père de famille, ajoutant que cette activité est un commerce lucratif qui ne demande pas de grands investissements.
Lors de notre passage dans cette ville, nous avons constaté, à chaque coin de rue, des annonces placardées sur les devantures des différents commerces.
Il convient de souligner que «l'Académie des génies» a des antennes au niveau de certaines communes.
Pour certains parents d'élèves dont les enfants ont suivi un cycle au sein de cet établissement, son programme n'est pas compatible avec l'école publique, par conséquent, il n'a pas eu un grand effet sur le rendement de leurs enfants au sein de cette même école publique.
«La faiblesse de l'école publique nous oblige à recourir aux cours de soutien en vue de sauver nos enfants. Je suis contre les cours de soutien pour les paliers primaire et moyen, car les leçons sont à la portée des élèves s'il y a un bon enseignant qui se donne à fond.» «Je dépense mensuellement entre 6 000 et 7 000 DA pour payer les cours de soutien à mes deux enfants », nous a confié Mourad. Interrogé par nos soins, une fonctionnaire dans une administration publique affirme : « Les cours de soutien sont une nécessité car beaucoup d'enseignants de l'école publique ne se cassent pas la tête en classe. C'est pour cela que j'ai été contrainte de recourir aux cours de soutien pour mes deux gosses. J'ai constaté que ces cours ont permis d'améliorer leur niveau scolaire à condition de bien choisir les professeurs. Je débourse mensuellement plus de 12 000 DA pour ces cours. »
Un avis partagé par Ali, plasticien et cadre à la Direction de la culture : « Les cours de soutien sont une chose nécessaire car la majorité des enseignants ne font pas leur travail convenablement en classe.» Et d'enchaîner : « J'ai deux enfants qui poursuivent des cours de soutien dont l'une en terminale et le garçon en sixième et je constate l'impact positif de ces cours sur l'assimilation de mes enfants. Je paie une moyenne de 6 000 à 7 000 DA par mois comme frais.»
De son côté, Mustapha, fonctionnaire habitant la commune de Texenna, nous confie qu'il paie 6 000 DA pour assurer les cours de soutien à ses deux enfants, l'un est au collège, l'autre au primaire.
« Il faut que l'enseignant d'aujourd'hui joue son rôle d'éducateur qui a une conscience professionnelle, ce qui fait, malheureusement, défaut chez de nombreux enseignants», nous a affirmé Nadia, médecin de son état dans un établissement de santé publique.
Interrogé sur les matières les plus concernées par les cours de soutien, un gérant d'un établissent privé nous affirme qu'il y en a plusieurs, citant entre autres, les mathématiques, la physique, les sciences, les langues française et anglaise pour les paliers moyen et secondaire.
« Je dépense plus de 20 000 DA pour les cours de soutien de mes deux enfants»
«Je dépense pas moins de 20 000 DA par mois pour assurer les cours de soutien à mes deux enfants qui sont au secondaire », nous confie Omar, enseignant à la retraite. Ce dernier ajoute que ses deux enfants poursuivent des cours de soutien dans cinq matières, entre autres les mathématiques, la physique, les sciences, le français, la philosophie, à raison de 4 000 DA par matière dans un garage dans le quartier Oasis, dans la ville de Jijel, chez une enseignante à la retraite.
Notre interlocuteur précise que le prix varie en fonction du nombre des élèves par groupes. Si pour le groupe de 10 le tarif est de 4 000 DA, celui du groupe de 30 est de 3 000 DA par mois, avec une moyenne d'une séance par semaine. Salah estime, par ailleurs, que le recours aux cours de soutien est une option obligatoire si vous souhaitez que vos enfants réussissent dans leur cursus scolaire.
Cet ancien enseignant, très au fait du sujet, attribue cette tendance à «un certain nombre de facteurs citant, entre autres, la surcharge des programmes, l'absence de conscience professionnelle chez de nombreux enseignants, le chahut dans les classes de cours entravant l'assimilation, le désintéressement de certains enseignants, car ils savent qu'un grand nombre de leurs élèves suivent des cours de soutien, et ne se cassent pas la tête », a-t-il détaillé, reconnaissant l'impact tangible de ces cours sur les résultats scolaires. «Bien sûr, ma fille avait des difficultés en physique, mais avec les cours de soutien, elle est nettement mieux, par contre.»
Toufik, paramédical de son état, ne partage pas cet avis, en soulignant que les cours de soutien n'ont pas un effet important sur les résultats de ses deux enfants, déplorant la débandade qui sévit dans ce créneau. «Il suffit de lever le rideau d'un garage pour ouvrir une école, ce n'est pas normal. Il faut l'intervention de l'Etat pour remettre de l'ordre, il s'agit de l'avenir de nos enfants», peste Toufik, dénonçant certains «enseignants» qui utilisent la ruse pour attirer les élèves clients. «Car l'enjeu est l'argent, au détriment du vrai apprentissage », explique-t-il encore.
Dans le même ordre d'idées, Mounira, ex-enseignante dans un CEM et actuellement cadre dans un établissement public culturel, estime que « les cours de soutien sont un vol de l'argent des parents d'élèves et également un vol du temps de repos de l'élève, car si l'enseignant s'acquittait de sa mission convenablement en classe, on ne serait pas obligé de faire des cours de soutien pour nos enfants ».
Pis, « ils sont anti-pédagogiques. En tant qu'ancienne enseignante, j'estime que si l'enseignant travaille avec une conscience professionnelle il peut présenter des cours faciles à assimiler pour les élèves. Malheureusement, l'enseignant d'aujourd'hui n'a pas d'autorité en classe. Il passe une bonne partie de sa séance à mettre de l'ordre dans sa classe», a-t-elle souligné.
Interrogée sur la solution envisagée, notre interlocutrice, très au fait de ce secteur, affirme : « Il faut que les services de la Direction de l'éducation multiplient les inspections des enseignants. Je me rappelle qu'à notre époque, un inspecteur avait inspecté une enseignante trois fois pour la confirmer. Chose qui n'existe plus de nos jours», a-t-elle conclu.
Pour ce qui est des enseignants qui assurent ces cours, généralement ce sont des enseignants à la retraite, notamment les femmes, nous confie Mounir, journaliste de son état. Et d'ajouter qu'on peut trouver également plusieurs profils : des universitaires au chômage, surtout les filles, d'anciens cadres d'administration, d'anciens inspecteurs de l'éducation, d'anciens conseillers pédagogiques et même d'anciens membres de la garde communale qui se sont reconvertis en enseignants, en cette conjoncture où le gain facile a totalement renversé l'échelle des valeurs.
Lors de notre enquête, nous avons constaté également que si ces cours attiraient, il y a quelques années, seulement les élèves qui avaient des examens de passage de cycle, 6e, BEF, bac, actuellement, ils touchent tous les niveaux et les trois paliers. « J'ai un enfant en première année primaire qui suit des cours de soutien», affirme Tahar, un habitant de Taher.
Lors de notre passage dans de nombreuses «écoles parallèles», nous avons remarqué que les prix de ces cours varient d'un établissement à un autre. Le prix d'une séance oscille entre 500 et 1 000 DA.
Salah, très au fait de ce dossier, affirme qu'il paie 20 000 DA par mois pour les cours de soutien de sa fille qui est au palier secondaire dans cinq matières, à raison de 4 000 DA par matière mensuellement, soit 1 000 DA la séance, chez une enseignante du quartier Oasis, dans la ville de Jijel. Cependant, notre interlocuteur tient à préciser que ce prix concerne le groupe de 10 élèves, alors que pour le groupe qui compte 30 élèves, le tarif mensuel est de 3 000 DA, soit une baisse de 1 000 DA..
Il y a des enseignants qui empochent 30 à 50 millions de centimes par mois en donnant des cours de soutien, nous dit-on, en citant le cas d'une enseignante à Jijel qui a 10 groupes de 10 élèves chacun, à raison de 4 000 DA par mois. Elle touche 40 millions de centimes par mois, à vrai dire 12 jours seulement car elle travaille trois jours par semaine. Un créneau porteur pour une activité informelle.
Quant aux lieux où ces enseignants donnent ces cours, il s'agit souvent « de garages dépourvus d'aération, de caves, de constructions inachevées, de chambres de vieilles bâtisses menaçant ruine, de chambres, de maisons secondaires qui ne répondent guère aux normes surfaciques », révèle Mounir, journaliste de son état, soulignant que les gérants de «ces écoles clandestines » préfèrent louer des garages situés généralement dans des quartiers en retrait, loin des artères et boulevards, afin d'avoir un prix de location abordable et plus discrets vis-à-vis des services de l'Etat.
Pour ce qui est des profils des parents d'élèves qui déboursent sans compter, parfois en faisant des sacrifices pour assurer ces cours à leur progéniture, on trouve des médecins, des cadres d'entreprise, des directeurs d'institution, de hauts commis de l'Etat, des entrepreneurs, des opérateurs économiques privés, de simples fonctionnaires et, parfois même, des ouvriers professionnels.
La ruée vers les cours de soutien se poursuit toujours dans ces «écoles» dépourvues de cloches et dont les chaises sont des briques couvertes de madriers en bois. Il suffit de lever le rideau du garage ou d'ouvrir la porte d'une baraque pour annoncer le début de la séance.
Bouhali Mohammed Cherif


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