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«La langue algérienne est vivante et entière !»
Entretien avec l'écrivain Rabeh Sebaa :
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 11 - 2021


Entretien réalisé par Kader B.
Rabeh Sebaa est professeur de sociologie et d'anthropologie linguistique. Essayiste, romancier et chroniqueur, il est l'auteur de plusieurs ouvrages, essais, chroniques, récits, nouvelles et du premier roman en langue algérienne, Fahla, écrit simultanément dans les deux graphies, latine et arabe. Parmi ses derniers ouvrages : Les sciences sociales en Algérie entre contrainte expressive et exigence cognitive, Au fil des Algéries, Algéricides, chroniques d'un pays inquiet, Echanges, des écrivains parlent de l'Algérie, La ville moite, Les pas du destin... Il a dirigé les projets «Langues et cultures au Maghreb», couronné par deux ouvrages, L'arabisation dans les sciences sociales (éditions l'Harmattan, Paris-Montréal) et L'Algérie et la langue française ou l'altérité en partage (éditions Frantz-Fanon). Le projet «L'Algérie dans la Méditerranée», couronné par Algérie, la tierce rive en Méditerranée. (Confluences-Méditerranée, l'Harmattan).
Fondateur de la revue Confluences-Algérie, il dirige présentement la revue des sciences sociales Socialités et Humanités. Il compte plusieurs publications dans des revues internationales et collabore régulièrement à la presse nationale comme chroniqueur dans un quotidien national et/ou contributeur dans plusieurs autres tribunes. Il assure plusieurs séminaires sur les langues et anime régulièrement des ateliers d'écriture. Il accorde, surtout, une écoute très attentive à toutes les vibrations culturelles et de l'ensemble des pulsations littéraires, poétiques et artistiques de la société algérienne.
Le Soir d'Algérie : Comment évaluez-vous jusque-là les échos suite au lancement récent de votre roman Fahla, première fiction écrite en langue algérienne ?
Rabeh Sebaa : Très encourageants. La sortie officielle du roman au club littéraire du Théâtre régional d'Oran en présence de la presse a vu des réactions enthousiastes d'un public ravi de lire dans sa langue native. Du côté des libraires, les échos sont également fort stimulants. De grands linguistes comme Abderrazak Dourari, Abdou Elimam, Ibtissam Chachou ou encore le grand pédagogue Ahmed Tessa ainsi que Sabiha Benmansour de la Fondation Mohammed-Dib ont accueilli favorablement la sortie du roman. Ceci, sans compter les nombreux messages qui affluent de toutes les régions du pays comme de l'étranger. Ces réactions m'ont encouragé à entamer l'écriture du second roman qui portera sur le mal-être des jeunes Algériens.
Pourquoi un roman en «daridja», ou en langue algérienne, selon votre définition ?
Il existe dans le paysage littéraire algérien une littérature d'expression arabe, une littérature d'expression française et une littérature d'expression amazighe. Il manquait une littérature d'expression algérienne. Ce roman a été écrit dans le but de combler cette absence. Il est le premier roman publié, car je sais que plusieurs textes, dans différents domaines, littérature, poésie, théâtre... ont été écrits en algérien, mais tous sont restés confinés dans l'obscurité et l'exiguïté des tiroirs. Ce premier roman, publié grâce au courage et à la clairvoyance des éditions Frantz-Fanon, ouvrira la voie à l'objectivation d'une littérature d'expression algérienne. Une littérature qui viendra conforter celle qui existe déjà en arabe, en français et en tamazight. Une littérature qui élargira le champ de tous les possibles et de toutes les audaces littéraires étouffées, toutes les audaces de dire, toutes les audaces d'imaginer et toutes les audaces d'écrire autrement et pluriellement.

C'est, à vrai dire, un roman en oranais, surtout les dialogues. Est- ce pour une question de réalisme ?
Il existe sans doute quelques mots en usage à l'ouest du pays et notamment à Oran. Mais il ne s'agit aucunement d'«oranais», comme vous dites. La langue algérienne se décline dans plusieurs accents variant d'une région à l'autre, mais il s'agit d'une même et seule langue dans sa structure syntaxique, ses constructions grammaticales et ses contenus sémantiques. Elle est parlée et comprise dans toutes les régions du pays et même dans les pays voisins. Quand vous allez en Tunisie ou au Maroc, vous n'avez pas besoin de traducteur que vous veniez d'Oran, d'Alger, de Constantine, de Annaba ou de Béchar. Vous utilisez la langue algérienne avec l'un des accents d'une région du pays.
La langue (du roman) a fait oublier le sujet et le message. De quoi s'agit-il ?
Le synopsis du roman précise qu'il s'agit de l'assassinat d'un poète par les propagateurs des ténèbres. Cet assassinat donne l'occasion aux femmes de forcer la porte du cimetière pour assister à son enterrement. Commence alors un combat, sans répit, contre toutes les formes d'oppression déguisées en morale ou en religion. Les pulsions de vie pour toute une société prennent alors leur départ et leur détermination à partir du lieu de la mort. Fahla, en compagnie de ses ami(e)s, va braver toutes les menaces que charrie la tentative forcenée d'assombrissement de la société au nom de fausses valeurs religieuses, érigées en dogmes. À ces valeurs mortifères, elle oppose la propagation du Beau. La beauté comme antidote de l'horreur charriant la hideur. Le combat de la beauté contre la laideur. Un combat pour une société où il est possible de vivre dignement et bellement, de penser librement, d'aimer démesurément, et de rêver indéfiniment. Entre le récit et le roman historique, ce texte est le premier rédigé en algérien dans les deux graphies, arabe et latine.

Justement, pourquoi deux versions, l'une en alphabet arabe et l'autre en alphabet latin ?
Une diversité qui constitue une grande richesse graphique. Mais également une diversité esthétique. Toutes les graphies de l'univers sont porteuses de beauté. L'écriture en caractères des deux langues rend le texte, non seulement plus accessible au plus grand nombre, mais elle casse également la dichotomie discriminatoire instaurée, durant longtemps, par le couple de sinistre mémoire arabophonie/francophonie outrageusement instrumentalisé par les tenants d'une arabisation forcenée. Le recours à deux graphies a pour but de tourner le dos à un faux débat aux relents polémiques qui pollue copieusement l'écriture en tamazight au détriment de son universalisation. La littérature d'expression algérienne sera écrite en caractères arabes, latins et tifinagh. En attendant de trouver un spécialiste des hiéroglyphes ou d'autres écritures pour la transcrire.
La version en caractères latins rappelle le «charabia» (c'est ainsi qu'ils l'appelaient) des chanteurs chaâbi qui n'avaient pas fait d'études en arabe...
Je ne sais pas ce que vous entendez par «charabia», mais à ma connaissance, les chanteurs de chaâbi que j'apprécie et respecte chantaient des qacidate audibles et compréhensibles. Certaines viennent du melhoun et sont écrites par des poètes connus et reconnus. Beaucoup de textes ou de pièces de théâtre ont été écrits en recourant à la graphie latine par ceux qui parlent la langue algérienne mais ne maîtrisent pas l'alphabet de la langue arabe, pour n'y avoir jamais eu accès. C'est le cas des enfants d'émigrés algériens qui connaissent la langue par transmission orale mais ne savent pas l'écrire en lettres arabes. Ils pourront lire et comprendre Fahla dans sa version latine. Comme tous ceux qui n'ont jamais appris à écrire l'arabe.
Vous dites que le parler algérien est une langue à part entière. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Tout à fait. Il me faut d'abord souligner avec insistance que l'algérien n'est pas un dialecte. Il serait le dialecte de quelle langue ? L'algérien n'est pas un arabe dégradé non plus. Je ne le répéterai jamais assez, l'algérien est une langue à part entière. L'algérien est une langue avec sa grammaire, sa syntaxe, sa sémantique et toute sa personnalité linguistique. Une personnalité historique qui a été injustement minorée pour des raisons idéologico-politiques. Il est, à présent, temps de se débarrasser de cette gangue d'opacité mortifère ou plus précisément mortifiante.
Une gangue à la fois mystificatrice et castratrice, qui veut assexuer la langue algérienne. Comme elle l'a fait pendant des décennies pour les langues de matrice amazighe. La langue algérienne ne doit pas subir le même sort. La langue algérienne doit donner des ailes colorées à ses mots. La langue algérienne doit briser ses suffocantes muselières. La langue algérienne est vivante et entière. L'algérien est une langue d'avenir car elle est d'une souplesse syntaxique et d'une capacité d'absorption lexicale très rare. Il suffit d'entendre la multiplicité colorée de ses sonorités. La plupart des autres langues sont prisonnières de la rigidité de leurs règles grammaticales et syntaxiques. Ce n'est pas le cas de l'algérien. L'algérien est ouvert à toutes les réceptions, à toutes les variations et à toutes les déclinaisons. Les linguistes avertis savent que, dans l'algérien, il existe des mots de l'époque punique, libyque, des mots arabes, turcs, espagnols, italiens, français et beaucoup de vocables puisés dans les différents idiomes amazighes. C'est dans cette perspective que s'inscrit le projet de publication du premier roman en algérien comme l'un des jalons d'une littérature d'expression algérienne.
L'algérien est, en quelque sorte, ballotté entre la langue maternelle et la langue officielle, surtout qu'il n'a aucun statut officiel. Qu'en est-il, selon vous ?
L'algérien est une langue maternelle. La langue native de trois quarts de la population algérienne. Dont une grande partie ne parle aucune autre langue. Comme c'est également le cas des langues de souche amazighe qui sont des langues maternelles d'une partie importante de la population algérienne. Les uns comme les autres ont appris la langue arabe pour les besoins de leur scolarité mais elle n'en demeure pas moins une langue extérieure. Cette langue n'est, d'ailleurs, parlée nulle part au monde, y compris dans les pays qui se disent plus arabes que tous les arabes. En Algérie, c'est la langue du formel et rien d'autre.

En fait, le français, l'italien ou l'espagnol étaient eux aussi des dialectes du latin... ?
Parfaitement. Le français, dans sa version actuelle, vient du francilien qui a été imposé, par la force, au détriment de toutes les langues régionales, car c'était la langue de la cour, la langue du pouvoir. C'est la langue dite de la souveraineté contre les langues de la sensibilité et de la quotidienneté. D'ailleurs, l'arabisation chez nous s'est inspirée de ce modèle jacobin. Une volonté politique d'imposer une langue extérieure à l'ensemble des langues parlées en Algérie depuis des millénaires. La notion d'arabisation elle-même l'atteste, car arabiser est un «masdar» qui signifie rendre arabe ce qui ne l'est pas. Aussi arabiser la société arabe, c'est reconnaître officiellement qu'elle n'est pas arabe.

Le titre de votre roman est très parlant : Fahla. Comment dit-on fahla en français ou en arabe classique ?
En arabe classique, le mot fahla existe. Il recouvre le même sens que dans la langue algérienne où il est utilisé pour désigner une femme déterminée, courageuse et porteuse de valeurs sûres. Une femme remarquable par sa force de caractère. On dit également d'un homme «fhel», quand il ne courbe pas l'échine devant l'oppression ou qu'il brave toutes les menaces pour mener son groupe à bon port. Au féminin comme au masculin, il comporte le sens de guide, de tête de pont. Le sens a été élargi même au monde animal où l'on parle de «fahla» pour la chamelle dominante qui guide le troupeau vers les points d'eau ou vers le chemin menant à des aires de repos.

Allez-vous continuer dans cette voie et écrire d'autres livres en langue algérienne ?
Tout à fait. Fahla ne fait qu'ouvrir la voie. Et permet également de connaître et d'apprécier les réactivités positives ou négatives. D'évaluer, de corriger et de parfaire. Il reste tout un travail à faire tant dans la forme que dans le contenu. La langue algérienne doit se donner les moyens de son évoluabilité afin de parvenir à sa promotion sociétale pleine et entière, la menant vers une reconnaissance constitutionnelle. La littérature et les arts sont de bons alliés dans cette voie. C'est pour cela que les consultations pour l'adaptation de Fahla en pièce théâtrale, voire au cinéma sont déjà entamées. Comme est déjà largement entamée l'écriture d'un deuxième roman qui portera sur le désarroi qui s'est emparé des jeunes Algériens face à l'incertitude de leur avenir.
K. B.


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