Comment qualifie-t-on de nos jours les �v�nements du 5 Octobre 1988 ? N�ont-ils �t� que des �meutes planifi�es par quelques cercles, du pouvoir de l��poque, afin de pouvoir inverser un rapport de force interne ou, au contraire, la traduction insurrectionnelle de la maturit� de la soci�t� ? Le mouvement de masse qui en r�sulta, a-t-il �t� actionn� � partir de mots d�ordre pr�cis, ou, � l�inverse, a-t-il �t� r�cup�r� dans le feu de la contestation puis d�tourn� opportun�ment � partir de nouveaux slogans ? Les avis politiques n�en finissent pas de se contredire, 22 ann�es apr�s, alors que la synth�se historique, tant attendue, tarde � trancher dans la signification � donner � cette date. Car apr�s les �crits factuels publi�s � chaud et plus r�cemment (en 2008), les travaux r�alis�s sur la base de t�moignages s�rieux, on a l�impression qu�une chape de plomb s�est referm�e sur la question. C�est que ce 5 Octobre 1988 a pos� plus de probl�mes r�f�rentiels aux pouvoirs successifs qu�il en a justifi� leur pr�sence. Bo�te de Pandore o� se dissimulait la raison d�Etat, dans ce qu�elle a de pire, celle-l� devait demeurer herm�tiquement close. L�occultation dont ces �v�nements continuent � �tre victimes s�explique enti�rement par le besoin des r�gimes de priver la soci�t� de nouveaux rep�res dont ils craignent qu�elle n�en fasse usage pour les d�l�gitimer. Ignorer volontairement cette �p�rip�tie�, selon le qualificatif de quelques caciques bien en vue, permettait donc de surmonter les divergences entre les ob�diences. C�est donc au nom d�un r�alisme conciliateur que l�on s�autorisa � actualiser l�ancien r�gime et reconsolider les structures de son syst�me. Gr�ce � un agr�gat de tendances, oppos�es formellement, s��difia un nouveau pouvoir d�Etat qui a la particularit� d��tre� identique � l�ancien. De fait, islamistes l�gaux et n�o-novembristes rejoignaient la vieille garde de l�ex-parti unique dans une alliance de fa�ade, laquelle s�interdisait notamment de critiquer la r�gle de la cooptation et les modalit�s pr�sidant aux �quilibres interinstitutionnels. � savoir : l�arm�e, la pr�sidence de la r�publique et le Parlement. � travers les multiples ravalements des constitutions (1989, 1996 et novembre 2008), c�est finalement le syst�me de 1963 qui r�cup�re la pl�nitude du contr�le sur l�Etat tout en alimentant l�illusion qu�il a chang� d�mocratiquement. Au lendemain de sa premi�re r��lection (2004), l�actuel locataire d�El- Mouradia ne posait-il pas, d�une mani�re oblique, la question sur ses fameuses pr�f�rences d�mocratiques ? Opposant � la �d�mocratie des structures� celle qui s�adosse � la �d�mocratie des valeurs� (sic), ne mettait- il pas � l�index l�existence des partis politiques ? Au nom de la n�cessit� de �r��valuer objectivement� le champ des libert�s, qu�il trouvait pagailleur et nuisible, il instruisit en filigrane le proc�s d�Octobre 1988 � l�origine du multipartisme. Pour �tayer son r�quisitoire, il d�cr�ta que les �meutes en question n�avaient jamais eu pour souche la moindre aspiration aux libert�s politiques mais qu�elles �taient seulement un violent appel au secours des mis�reux que le pouvoir de l��poque ne sut pas devancer. Ramen� � une fronde des ventres creux, Octobre 1988 ne s�expliquerait donc que par la d�tresse des chaumi�res et non plus par le chahut de gamins. D�s l�instant o� le constat est pos� en ces termes, il lui �tait loisible de remettre en question le pluralisme �octroy� par ses pr�d�cesseurs au pr�texte qu�il n��tait pas port� par une v�ritable demande sociale. En sch�matisant � peine ce qu�il entendait d�ailleurs par �d�mocratie des valeurs� renvoie pr�cis�ment � la notion des �constantes� que l�id�ologie du parti unique mettait en avant. Ce pacte national �unitaire� et �uniciste� sur lequel s��difia l�autocratie et pour lequel il voue une inclination sans faille. Le refus d�admettre que cette date constitue, malgr� tout, un point de rupture en Alg�rie aussi importante que le fut, pour d�autres, le mur de Berlin et l�effondrement d�une bureaucratie id�ologique, illustre sans doute l�archa�sme actuel de la gestion et l�administration de l�Etat. La d�vitalisation, programm�e et accomplie, des rouages de la puissance publique aussi bien que les institutions de la r�publique (le Parlement et la justice) ne fait-elle pas de l�Alg�rie de 2010 un Etat en d�ficit d�mocratique (19e au niveau africain, selon un r�cent sondage). Cela s�appelle le bradage d�une esp�rance vieille de 22 ann�es. Car, pour s��tre substitu� abusivement aux historiens, seuls en mesure de donner du sens aux �v�nements, le pouvoir s�est dot� du b�ton pour mettre au pas un pays � travers les acteurs politiques demeur�s dans l�opposition. Liberticide sans pr�caution, n�a-t-il pas r�prim� mardi dernier un rassemblement pacifique comm�morant la date ? N�est-ce pas le signe distinctif des manipulateurs de l�histoire des peuples ?