Une grosse enquête ciblant les réseaux de Rachad en Algérie est actuellement en cours au tribunal de Sidi-M'hamed. Les premières investigations ont mis en exergue des éléments troublants qui lèvent le voile sur la manière dont ce mouvement islamiste a tenté d'infiltrer le Hirak. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Jeudi 9 décembre. Un juge d'instruction du tribunal de Sidi-M'hamed s'apprête à auditionner plusieurs personnes poursuivies dans l'une des enquêtes les plus sensibles de l'heure : l'infiltration par Rachad du mouvement pacifique né du 22 février 2019 et la prise en charge par ses éléments de toute une opération autour de certaines familles de détenus du Hirak. Les principaux accusés sont Mourad Dhina, ancien responsable du FIS (Front islamique du salut), Med Larbi Zitout, responsable de Rachad établi en Grande-Bretagne, et Amir Boukhors, plus connu sous le nom de Amir DZ. L'affaire est d'une sensibilité extrême. D'un côté, des «Algériens victimes des agissements d'une tendance aux desseins troubles» et, de l'autre, des éléments de Rachad sur lesquels pèsent de graves accusations. Tout commence, en fait, en juin dernier lorsque les services de sécurité mettent la main sur un certain S. A., ancien militant du FIS ayant déjà fait l'objet de poursuites judiciaires pour ses activités illégales au sein du parti dissous. Il reconnaît avoir pris part à des opérations de solidarité avec certaines familles de détenus du Hirak à l'aide d'un fonds dont il dit ignorer l'origine. Les investigations s'accélèrent sur la base d'éléments recueillis auprès d'ex-membres du parti dissous. Les services de sécurité agissent sur la base d'instructions données un mois auparavant par le chef de l'Etat. Au soir du 17 mai 2021, le Haut Conseil de sécurité (HCS), réuni spécialement autour des cas Rachad et MAK, classait officiellement ces deux mouvements parmi les organisations terroristes et adressait aux services de sécurité des instructions pour éradiquer les bases de ces mouvements dans le pays. L'arrestation de S. A., actuellement incarcéré, et d'autres anciens membres du FIS permet de recueillir d'importants éléments, de mieux comprendre comment Rachad a pu s'infiltrer au sein du Hirak. Toutes les données réunies aujourd'hui au niveau des services de sécurité et de la justice permettent de comprendre que le mouvement islamiste a, en fait, bâti une stratégie grâce à laquelle il tenterait de dissimuler ses activités derrière des personnes impossibles à soupçonner : de vieilles dames souffrant de maladies, des mineurs parfois, ou encore des intellectuels sans reproche, connus pour leur probité morale et jouissant d'une bonne réputation. «Il y avait énormément de personnes honnêtes, bien, qui militent pour un changement au sein du Hirak, expliquent des avocats ayant ce dossier en main. Ces personnes se sont engagées sincèrement, honnêtement dans des actions de solidarité avec les détenus et leur famille. Beaucoup étaient là, présents jusque tard la nuit, dans les tribunaux lors de la comparution de détenus. Leurs actions se sont étendues à une solidarité financière avec leur propre argent, ceux-là n'ont pas été emprisonnés car les juges ont compris ce qu'il en était, mais ce qui est bon pour ces intellectuels ne l'est pas pour d'autres qui ont agi avec de l'argent douteux.» L'enquête menée permet de découvrir qu'une large partie des fonds avec lesquels se mènent l'opération de solidarité ont été virés à partir de plusieurs pays étrangers. En Algérie, leurs premiers relais ne sont autres que d'anciens membres du FIS dissous qui s'arrangent pour les faire parvenir à des personnes sans soupçon pour financer... certaines familles de détenus du Hirak et... des détenus du mouvement pacifique. La détresse des uns, la misère des mères privées du soutien de famille sont exploitées par Rachad, comme le faisait autrefois le FIS. Le parti dissous avait alors investi dans les couches sociales défavorisées pour asseoir sa popularité et s'assurer de leur soutien. «De vieilles dames que l'on voyait brandir le drapeau national, d'une part, et un sachet de médicaments, d'autre part, font malheureusement partie de ces personnes utilisées. De l'argent leur a été remis, elle le faisait parvenir aux épouses et enfants de prisonniers, lors des manifestations hebdomadaires. Elle disait aux jeunes qui se faisaient arrêter de ne pas avoir peur, que des hommes étaient là et qu'ils ne les laisseront pas tomber», nous font savoir des sources proches du dossier. L'enquête révèle d'autres éléments encore plus graves. Rachad est accusé de «salarier» des personnes se trouvant en prison « à la semaine, au mois, ou plus, s'ils demeurent au-delà en prison, des barèmes fixes ont été manifestement établis». Des investigations, il ressort également que certaines des figures les plus connues du mouvement pacifique ont été grassement payées. 750 millions auraient été attribués à l'une d'entre elles pour avoir délaissé sa fonction sensible et rejoint le Hirak. Durant l'année précédente, nous dit-on encore, une autre de ses figures « a usé de tous les subterfuges possibles et imaginables pour faire reporter son jugement. À chaque fois que son procès était programmé, il s'arrangeait pour qu'un report ait lieu. Il arrivait en retard ou trop tôt pour repartir avant la séance puis il accusait la justice ou même les avocats sur Facebook. Lorsqu'il a été placé sous mandat de dépôt, il refusait d'être jugé à distance, mais c'était obligatoire, car il était incarcéré en dehors d'Alger. Les avocats ont tout fait pour le pousser à être jugé, mais il refusait. Nous avons compris qu'il voulait rester en prison le plus longtemps possible. Il était payé». Ce véritable fonds de commerce avait un objectif évident : «Encourager les gens à ne pas avoir peur d'aller en prison pour que Zitout et ses semblables continuent à faire pression à travers les détenus d'opinion et tenter aussi et surtout de maintenir la flamme du Hirak en l'orientant à sa guise avec de nouveaux slogans, de nouvelles manières de faire.» A. C.