Au bon moment, au bon endroit: la Française Sophie Bramly fut l'une des rares photographes à documenter les débuts du hip-hop entre 1982 et 1984 à New York, travail précieux rassemblé dans un livre. Il y a 40 ans, quand la culture rap crépite dans les quartiers du Bronx, du Queens ou de Brooklyn, «il n'y avait pas des tonnes d'objectifs, un petit peu, mais il m'est souvent arrivé d'être seule. Il faut dire que ça ne représentait rien pour personne à cette époque», sourit Sophie Bramly, rencontrée à Paris. Dans son livre Yo ! (chez Soul Jazz), on croise des précurseurs du rap, dont les noms ne sont pas forcément parvenus aux oreilles du grand public, comme Afrika Bambaataa ou Kool Herc. On voit aussi le graffeur Futura 2000, avant qu'il ne devienne une star du milieu, en train de sauter le tourniquet du métro. Proximité et complicité avec les sujets transpirent. Ses «deux portes d'entrée», comme elle les nomment, sont Bernard Zekri, Français installé à New York, considéré un des passeurs du hip-hop (il sera journaliste, producteur) et une «copine qui sortait avec (le graffeur) Fab Five Freddy». Sophie Bramly a 22 ans quand elle tente l'aventure à New York, après une école parisienne d'arts graphiques et des premiers pas comme photographe de magazines. En vue, des piges pour Paris Match et une agence photo. Mais les commandes ne sont pas nombreuses : «C'était la galère, mais mes problèmes à trois balles de petite bourgeoise, ce n'était rien à côté de la vie des gens du hip-hop dans le Bronx, zone qui ressemblait à un pays en guerre, avec plus d'immeubles détruits que debout.» «L'ensemble des disciplines du hip-hop, le graffiti, la musique, la danse, servent à rendre beau ce qui est moche, à trouver sa place dans le désert: cette vitalité, cette espèce de potion magique, je me suis permise de l'absorber avec eux.» «Embarquer toute la planète» Certaines images sont pleines de tendresse, comme quand elle rentre dans les chambres de rappeurs/graffeurs en herbe qui vivent encore chez leur mère et ne pensent pas à faire carrière. «C'est dingue, les 152 personnes que j'ai répertoriées à l'époque - dont la notoriété s'arrêtait pour beaucoup au coin de la rue - ont réussi à embarquer toute la planète avec elles.» «Aujourd'hui, des gens (...) subissent l'influence de cette culture hip-hop, qui est partout, sans que les pionniers soient toujours remerciés.» Les anecdotes fusent. «Un jour, un type me fait écouter un titre sur son ghetto-blaster (énorme radio-cassette populaire dans les années 70, ndlr) qui me rend dingue. Il m'appelle des mois plus tard, me dit ''va chercher le disque chez Rick Rubin dans sa chambre d'étudiant'', et je me retrouve avec Cooky Puss.» C'est le titre du premier morceau des Beastie Boys, un des groupes phares du hip-hop américain. Et Rick Rubin deviendra un producteur incontournable, ayant notamment propulsé les Red Hot Chili Peppers dans les années 1990. L'histoire de Sophie Bramly prend ensuite des détours inattendus. Forte de ses connexions, elle se retrouve parmi les bâtisseurs de «H.I.P.H.O.P», première émission télé sur le rap en France, éphémère et devenue culte. Ou encore productrice-animatrice à Londres de «Yo !», premier show sur le rap cornaqué par MTV Europe, qui deviendra «Yo ! MTV Raps» pour les USA. Aujourd'hui, la sexagénaire fait toujours de la photo et travaille sur des projets pour la télévision, ou d'autres supports, qui tournent autour de la musique ou de la culture de rue. «On me dit souvent, tu as toujours eu l'instinct pour savoir où il fallait être, mais quel instinct ? Je n'ai fait qu'écouter la musique.»