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Enlèvement du poste d'El-Horane, il y a 64 ans, le 4 février 1958
Publié dans Le Soir d'Algérie le 03 - 02 - 2022


Par Abdelmadjid Azzi, ancien moudjahid
L'histoire contemporaine de notre pays, notamment celle non écrite et, qui plus est, encore non enseignée, de la lutte de Libération nationale est jalonnée d'exploits héroïques, malheureusement, voués à l'oubli, en l'absence de médiatisation et surtout de vulgarisation. Toutes ces prouesses, intervenues partout à travers le territoire national, ont permis à l'ALN, non seulement d'infliger des pertes considérables à l'ennemi, mais aussi de s'approvisionner en armes et en munitions. C'est pourquoi nous devons, pour ceux dont la mémoire est encore intacte, immortaliser ces exploits en léguant aux générations futures ce glorieux et précieux héritage, acquis grâce à l'abnégation et aux sacrifices dont ont fait preuve nos vaillants combattants, aidés et soutenus en cela par une population totalement acquise, pour accomplir l'idéal de justice, de liberté et d'indépendance.
Parmi ces grands faits d'armes, une opération, dont les gens ont vaguement entendu parler, visant l'enlèvement d'un poste militaire, a eu lieu le 4 février 1958, en région I, zone II de la Wilaya III. Il s'agit du poste de commandement (PC) du 2e escadron, 8e régiment des spahis, qui a installé ses bases à El-Horane, dans les anciens locaux de la maison forestière. Situé près de la station thermale de Hammam Dalaâ, à 30 km au nord de M'sila, ce poste sert aussi d'entrepôt d'armes et d'équipements militaires pour approvisionner les postes de la région. Doté de 6 véhicules blindés, chacun armé d'un canon, d'une mitrailleuse 12/7 et d'une 30 américaine, il est défendu par 33 hommes, dont 2 gardes forestiers, sous le commandement du lieutenant Olivier Dubos, celui-là même qui, on s'en souvient, avait participé au massacre des habitants de Melouza, le 28 mai 1957.
Il faut savoir que la préparation de cette importante action repose sur les contacts avec l'élément principal, en l'occurrence le sergent-chef spahi Mohamed Zernouh(1) du 2e escadron, originaire de Zaâfrane, une localité proche de Djelfa, qui fait partie du personnel du poste d'El-Horane et qui a fait preuve d'un courage exceptionnel en faisant parvenir munitions et renseignements à l'ALN, avant de permettre à nos unités d'envahir et d'enlever le poste. Ces contacts sont effectués, quelques mois auparavant, par le sergent-chef de renseignement Smaïl Zemmouri, avant de tomber au champ d'honneur. Il est remplacé par le sergent-chef Abdelhafid Adouane qui a vite pris le relais.
L'opération sera évidemment appuyée et soutenue par le sous-lieutenant Rabah Beldjerb, appelé communément «Rabah Theïri», chef de la région I, et ses adjoints, Naïmi Benaouf et Boubekeur Messaoudi. A cet égard, un plan est établi dans le secret absolu par le chef de région Rabah Beldjerb et son adjoint des renseignements et liaisons, l'aspirant Aïssa Hebib, dit «Aïssa Blindé», avant de le soumettre à l'approbation du Colonel Amirouche, lequel chargea le lieutenant Mustapha Nouri, adjoint politique de la zone II, de coordonner l'attaque et de définir l'itinéraire de repli, à travers les régions II et III, et ce, jusqu'au PC de la wilaya, dans la forêt de l'Akfadou.
La réalisation de cet ambitieux plan d'attaque est entièrement confiée à la compagnie de région, sous le commandement de l'aspirant Naïmi Benaouf, ce qui est parfaitement logique, dès lors que l'action se déroule sur son territoire. Elle est appuyée en cela par les troupes d'élite de la troisième compagnie du bataillon de choc de la wilaya, sous le commandement de l'aspirant Moh'Arezki Ouakouak, qui ira la rejoindre, avant la tombée de la nuit, aux abords du poste d'El-Horane. Quant à la compagnie de la région II, elle restera en couverture à la limite de son secteur, à Béni-Ouagag, qui est le lieu choisi pour le repli des attaquants et qu'ils doivent nécessairement rallier, après cinq heures de marche forcée. L'aspirant Hamid Mezaï, en sa qualité de responsable sanitaire de la zone II, sera intégré au noyau de commandement. Il me confie l'installation d'un cordon sanitaire dans la forêt de Béni-Ouagag, tandis qu'il sera sur les lieux de combat, de manière à donner les premiers soins aux blessés éventuels. La date de l'opération est fixée au mardi 4 février 1958. Les djounoud mis au courant, juste avant de quitter Béni-Ouagag, ont accueilli la nouvelle avec enthousiasme en se déclarant prêts à en découdre avec les soldats du poste militaire.
Le jour venu, le dispositif est mis en place comme suit : trois sections embusquées sur chacune des trois routes menant vers M'sila, Melouza et au douar Dréat, avec pour mission d'intercepter les renforts éventuels. Le lieutenant Mustapha Nouri, le sous-lieutenant Rabah Beldjerb et l'aspirant Aïssa Hebib commandent chacune d'elles. Les autres sections sont scindées en quatre groupes avec mission d'attaquer et d'occuper les objectifs fixés à l'avance, en l'occurrence le réfectoire et le dortoir, le parc où sont stationnés les six voitures blindées et l'arsenal. A cet égard, Naïmi Benaouf, Boubekeur Messaoudi, Moh'Arezki Ouakouak et Saïd Saoud dit «l'Autchkiss» sont chargés de les diriger.
Pendant ce temps, afin de créer la diversion, le lieutenant Mohand Ourabah Chaïbi, chef du bataillon de choc, qui se trouve au village Ivehlal, au douar Aït M'likhèche (Tazmalt), à la tête des deux autres compagnies du bataillon, s'apprête à dresser une embuscade visant les goumiers du village de Taghalat, avant de l'annuler, très vite, en apprenant que le douar Aït M'likhèche, niché sur le flanc sud du Djurdjura, sera la destination stratégique (deuxième étape) des attaquants du poste d'El-Horane.
L'assaut est donné dès la tombée de la nuit. Comme prévu, après avoir neutralisé les sentinelles, Mohamed Zernouh ouvre le portail métallique, permettant ainsi aux djounoud de l'ALN d'entrer à l'intérieur du poste, sans bruit, l'un derrière l'autre. Il donne ensuite des renseignements sur la position de tous les soldats qui s'y trouvent : une partie est dans le dortoir et l'autre au réfectoire en train de dîner. Les quatre groupes de djounoud de l'ALN se déploient rapidement pour rejoindre les objectifs fixés pour chacun d'eux.
Le premier prend la direction du dortoir afin de neutraliser ses occupants, tandis que le second fonce en direction du réfectoire, avant d'essuyer des tirs blessant mortellement Belkacem n'Charfa, et après que Saïd Saoud, également blessé au bras, eut ouvert la porte d'un violant coup de pied en criant «haut les mains !», comme dans un film de western américain. Assiégés, les soldats se barricadent à l'intérieur du réfectoire.
Pour éviter de perdre du temps, et en attendant la reddition des assiégés, les deux autres groupes prennent possession des différents points du site, à savoir l'arsenal et le parc où se trouvent les véhicules blindés. Ils s'emparent alors de : 2 mortiers, l'un de calibre 80 et l'autre de 60, 6 mitrailleuses calibre 12/7, et 6 mitrailleuses calibre 30, installées sur les véhicules blindés, 3 fusils mitrailleurs et un poste émetteur. Le fabuleux butin comptait aussi des fusils américains Garand, des mitraillettes Mat 49, des pistolets Mac 50, des obus de mortier et des dizaines de caisses de munitions, de grenades et de mines anti-personnel. Dehors, une cinquantaine de mulets attendent, prêts pour le chargement du butin. Chaque mulet est accompagné par son propriétaire (des civils de la région mobilisés pour la circonstance). A tour de rôle, chacun d'eux charge une quantité d'armes et de munitions. Au bout d'une heure, ils sont tous prêts à partir.
L'ordre de départ est donné en direction de la base de repli, en l'occurrence la forêt de Beni-Ouagag, qu'ils vont atteindre à l'aube. Les autres djounoud restent sur place pour négocier la reddition des soldats du réfectoire. C'est ainsi qu'à l'issue de laborieux pourparlers, menés adroitement en brandissant la menace de les brûler vifs et en aspergeant de mazout les fenêtres et la porte du réfectoire, les assiégés finirent enfin par se rendre et sortir l'un derrière l'autre, les mains sur la tête. Sur les 31 spahis que compte l'effectif du poste, 17 sont faits prisonniers, parmi eux le chef de poste, le lieutenant Olivier Dubos. Un garde forestier algérien vient s'ajouter aux prisonniers.
Avant de quitter les lieux, Mohamed Zernouh s'emploie à détruire le canon de calibre 75, qui trône au milieu du poste, en glissant dans son fût, cône en avant, un obus, tandis que la deuxième équipe met le feu aux locaux, aux fûts de carburant et aux véhicules blindés, transformés en un immense brasier, dont la lueur est visible depuis la ville de M'Sila. Vers minuit, un avion est venu planer au-dessus du poste en flammes. Entre-temps, le convoi s'éloigne rapidement, les mulets devant et le reste derrière. Il arrive à Béni-Ouagag au lever du jour. A ce moment précis, un avion de reconnaissance survole plusieurs fois la région à la recherche d'éventuelles traces du convoi, mais celui-ci est déjà à l'abri dans la forêt.
Nous venons de remporter un grand succès. L'opération s'est déroulée comme prévu avec un minimum de pertes : un seul martyr et un seul blessé. Au refuge de la forêt de Béni-Ouagag, les djounoud ayant mené l'opération sont mis au repos, pendant que la compagnie de la région I assure la garde et tient à l'œil les prisonniers qui, eux aussi, sont très fatigués après six heures de marche forcée. Plus tard, nous avons appris par la presse locale que le deuxième garde forestier a réussi à s'échapper en se dissimulant dans le conduit de la cheminée.
En fin de journée, vers seize heures, nous quittons la forêt de Béni-Ouagag, pendant que les avions survolent la région. Nous sommes escortés par la 3e compagnie du bataillon de choc, tandis que les compagnies des régions I et II rejoignent leurs bases respectives. Nous marchons toute la nuit. Au petit matin, nous traversons l'immense oliveraie de la plaine de Tazmalt, avant d'arriver au douar Aït M'likhèche où nous nous joignons aux deux autres compagnies du bataillon de la wilaya.
A la faveur de la nuit, nous reprenons le chemin sous une bonne escorte, celle du prestigieux bataillon de choc au complet et de son chef, le lieutenant Chaïbi Mohand Ourabah, jusqu'au douar Ighram, situé non loin d'Akbou et où nous séjournons pendant deux jours. Cette halte prolongée est mise à profit pour montrer nos prisonniers à la population de plusieurs villages du douar, une manière efficace pour démentir la propagande de l'ennemi. D'ailleurs, les locataires de la caserne d'Akbou, où est stationné le régiment d'infanterie de marine, mis sûrement au courant de notre présence par des informateurs, savaient aussi fort bien que nous disposions d'armement de qualité et d'une unité d'élite.
Au bout de ces deux jours d'un repos réparateur, nous prenons la direction d'Ouzellaguen, avant de gagner la forêt d'Akfadou où nous attend le Colonel Amirouche. A chacune de nos étapes, des mulets sont soulagés et leurs chargements confiés au chef du village, afin de les entreposer dans des caches. Les propriétaires et leurs bêtes reprennent alors le chemin du retour, heureux et fiers d'avoir rempli leur mission. La stratégie mise en œuvre pour suivre cet itinéraire a été payante à plus d'un titre. Nous avons réussi, tout au long de notre repli, à brouiller les pistes suivies par l'armée française. En effet, si celle-ci, ignorant l'usage des mulets, s'est trouvée dans l'incapacité de connaître la direction exacte prise, depuis le départ du poste d'El-Horane jusqu'à la forêt de Béni-Ouagag, par nos djounoud, c'est parce qu'elle a sans doute jugé improbable, pour un convoi aussi lourd, de parcourir une telle distance. Le choix du chemin le plus long a donc été décisif. Il faut dire aussi que là où nous sommes passés, il y a eu une organisation qui veillait au grain. Les civils faisaient sortir leurs chèvres pour effacer les traces de pas laissées derrière nous.
Nous sommes reçus par le Colonel Amirouche, visiblement heureux par ce coup terrible porté à l'ennemi. Il faut reconnaître que l'enlèvement du poste militaire d'El-Horane est, sans conteste, l'une des actions les plus spectaculaires réussies par l'ALN. Aujourd'hui, nous sommes persuadés que ce haut fait d'armes, réalisé par les combattants de la zone II, de la Wilaya III, marquera les mémoires pour la postérité. Mais qui s'en souvient aujourd'hui, en dehors de quelques vieux habitants de la région qui ont vu ce qui s'était passé ? Qui le commémore ? Qui parle de cet acte héroïque qui a marqué nos esprits ? Aucune stèle n'est érigée pour l'immortaliser, aucun hommage officiel n'a été rendu aux acteurs, notamment le fils de Zaâfrane, Zernouh Mohamed, qui en fut l'auteur principal. Le lieutenant Mohamed Zernouh est tombé héroïquement au champ d'honneur à l'âge de 46 ans, en avril 1960, au milieu de ses djounoud, lors d'une bataille près d'El-Kseur, après son retour des Aurès, où le bataillon de choc de la Wilaya III, qu'il dirigeait, a combattu pendant une année.
A. A.
(1) Né en 1924 à Zaâfrane (Djelfa), il sera nommé plus tard lieutenant, chef du bataillon de choc de la zone II, en remplacement du lieutenant Hocini Lahlou tombé au champ d'honneur lors de l'embuscade d'Izouel (Tikjda), le 28 mai 1958, après avoir lui-même succédé à Chaïbi Mohand Ourabah, mort au combat à la fin février 1958 dans la bataille d'Ouzellaguen. Zernouh Mohamed conduira ensuite le bataillon de choc dans les Aurès en compagnie du commando Ali Khodja de la Wilaya IV où ils séjourneront jusqu'au début de janvier 1960. Il tombera au champ d'honneur à l'âge de 46 ans, en avril 1960, au milieu de ses djounoud, dans une bataille près d'El-Kseur (Béjaïa).


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