Il s'agit d'une des actions les plus audacieuses réalisée, il y a 55 ans, dans une contrée semi-désertique réputée paisible, et à laquelle personne ne pouvait s'attendre. Elle le fut pourtant, grâce aux djounoud de l'ALN qui avaient fait preuve de courage et d'abnégation, et s'était soldée par un succès retentissant qualifié de “coup de tonnerre dans un ciel sans nuage". C'est pourquoi il est important aujourd'hui d'immortaliser cette prouesse, de rendre hommage à ses acteurs en publiant ce témoignage relatant sa conception et son déroulement. Le 3 février, l'aspirant Hamid Mezaï, responsable sanitaire de la zone 2, et moi-même, avons quitté l'hôpital d'Aït Chilla, au douar Ouzellaguen, pour rejoindre la région 2 (Tamelaht). Le lendemain, à l'aube, nous franchissons le seuil du refuge de Tamezievth au moment même où la troisième compagnie du bataillon de choc, commandée par l'aspirant Mohand Arezki Ouakouak, gagne la forêt. Sa présence dans cette région, considérée pourtant comme calme, me laisse perplexe. Ignorant le but de notre mission, je préjuge alors qu'un événement important se prépare dans le secteur où notre présence n'est certainement pas fortuite. Après avoir avalé une tasse de café brûlant et un bout de galette, nous quittons le refuge pour aller dans la direction prise par la compagnie du bataillon de choc. Après trois heures de marche à travers la forêt, nous accédons au plateau de Béni Ouagag, situé en région I, où nous retrouvons la troisième compagnie du bataillon, disséminée dans le sous-bois. Un peu plus loin, j'aperçois la compagnie de la région II, également arrivée sur les lieux. Je ne m'explique pas cette concentration de troupes. Une véritable énigme que Hamid Mezaï, de son air amusé, refuse encore de révéler. Nous sommes dans l'immense plaine des Mâadid, qui s'étend jusqu'à M'sila, où la population des Ouled Djellel est encore traumatisée après les exécutions des messalistes de Beni Ilmen, ordonnée par l'ALN, et le massacre, à titre de représailles, des habitants pro-FLN de Melouza par l'armée française et son allié messaliste lors d'un scénario grossier tendant à mettre ce massacre à l'actif du FLN en invitant les médias (télévisons, reporters etc.) pour mystifier l'opinion internationale sur les prétendus méfaits du FLN. Dans l'après-midi, j'apprends enfin le but de notre mission. Il s'agit de l'enlèvement, cette nuit du 4 février, du poste militaire ennemi d'El-Horane, au village de Hammam Dalâa (M'sila), situé à vingt-cinq kilomètres environ de notre position. Ce camp qui abrite le poste de commandement (PC) du 2e Escadron du 8e régiment des spahis est commandé par le lieutenant Olivier Dubos, celui-là même qui avait participé au massacre des habitants de Melouza, le 28 mai 1957. Il est défendu par 33 hommes dont 2 gardes forestiers. Pour réussir, cette opération tenue secrète a mobilisé deux compagnies et a nécessité une préparation minutieuse basée sur une complicité à l'intérieur même du poste. Les djounoud, mis au courant juste avant de quitter Béni Ouagag, ont accueilli la nouvelle avec enthousiasme. Le plan d'attaque ayant obtenu l'aval du chef de la wilaya, la présence de Hamid Mezaï, en sa qualité de responsable du service de santé de la zone, se clarifie à présent. En outre, la présence du lieutenant Mustapha Nouri, chargé de coordonner la mise en application du plan d'attaque, est une indication supplémentaire de l'importance accordée à sa préparation. N'étant pas du voyage, je suis néanmoins chargé de mettre en place, dans la forêt de Beni Ouagag où la compagnie de la région 2 reste en couverture, l'équipement sanitaire en préparant le nécessaire médical, de manière à accueillir d'éventuels blessés, Hamid Mezaï se chargeant donc d'intervenir sur place en cas de nécessité. La troisième compagnie du bataillon de choc se met en route en début d'après-midi pour se joindre à la compagnie de la région 1. Celle-ci, sous les ordres de l'adjudant Naïmi, attend aux abords du poste, accompagnée par le comité de région, en l'occurrence son chef, le sous-lieutenant Rabah Beldjerb, et ses adjoints, les aspirants Saïd Saoud dit “l'Autchkiss", Aïssa Hebid dit “Aïssa Blindé" et Boubekeur Messaoudi. Pour mémoire, les responsables de la Région I, notamment le sergent-chef Abdelhafid Adouane et l'aspirant Boubekeur Messaoudi avaient élaboré ce plan avec la complicité du sergent-chef Mohamed Zernouh. Celui-ci, faisant partie du personnel du poste d'El-Horane est un militaire de carrière. Né en 1924 à Zaâfrane (Djelfa), il était, auparavant, entré en contact avec le FLN(1). Voici le fil des événements tel que rapporté, à son retour le lendemain matin, par Hamid Mezaï. Trois sections embusquées sur chacune des routes menant au poste sont chargées d'intercepter les renforts éventuels. Le lieutenant Mustapha Nouri, le sous-lieutenant Rabah Beldjerb et l'aspirant Aïssa Hebid commandent chacune d'elles. Les autres sections sont scindées en trois groupes avec pour mission d'attaquer et d'occuper les objectifs fixés à l'avance. A cet égard, Naïmi, Saïd Saoud, Arezki Ouakouak et Hamid Mezaï sont chargés de les diriger. L'assaut est donné à la tombée de la nuit, lorsque le portail fut ouvert et après que Mohamed Zermouh eut neutralisé la sentinelle et laissé entrer les groupes. C'est le moment où les spahis, se trouvant dans le dortoir, s'apprêtent à rejoindre leurs collègues, en train de dîner au réfectoire, ne se doutant nullement de ce qui se trame autour d'eux. Puis, se rendant compte, soudain, de l'envahissement du cantonnement, les spahis, barricadés à l'intérieur du réfectoire, ouvrent le feu à travers la porte, blessant à l'épaule l'aspirant Saïd Saoud, dans sa tentative héroïque de forcer l'entrée de la cuisine, et tuant Belkacem n'Charfa. En attendant la reddition des assiégés, toutes les armes entreposées dans l'arsenal, les mitrailleuses de calibre 12-7 et 30, montées sur les véhicules blindés, des caisses d'armes et minutions, deux mortiers avec leurs obus, sont chargés sur des mulets mobilisés pour la circonstance et conduits par leurs propriétaires (des civils sympathisants de la région de Hammam Dalaâ). Le butin est fabuleux. Il comprend aussi des fusils américains Garant, des mitraillettes Mat 49, des pistolets Mac 50, des obus de mortier et des caisses remplies de munitions, de grenades et de mines anti-personnel. A l'issue de laborieux pourparlers menés adroitement et après les menaces de les brûler vifs en aspergeant de mazout le réfectoire, les 17 assiégés survivants, à leur tête le chef de poste, le lieutenant Olivier Dubos, finirent par se rendre. Le convoi composé de 63 mulets a alors pris le départ vers minuit en direction de Beni Ouagag, où nous les attendions, après une marche forcée de six heures. Avant de quitter le poste et disparaître dans la nuit, ne laissant aucun survivant, l'ordre est donné de brûler tout ce qui ne peut être emporté. La lueur des flammes étant visible depuis la ville de M'sila, un avion de reconnaissance est venu, peu après leur départ, survoler les lieux. Il est revenu, tôt le matin, survoler tout le secteur jusqu'à la lisière de la forêt de Béni Ouagag à la recherche des traces du convoi. L'un des gardes forestiers a réussi à s'échapper en se dissimulant dans le conduit de la cheminée. L'arrivée du convoi à Béni Ouagag est célébrée avec joie. Les prisonniers épuisés se reposent, sous bonne garde. La journée est vouée au repos tandis que les responsables, sous l'autorité du lieutenant Mustapha Nouri, dressent l'inventaire du butin. Nos pertes sont heureusement réduites à un tué : Belkacem n'Cherfa et un blessé : l'aspirant Saïd Saoud. Pendant ce temps, l'ennemi, désemparé, se mobilise pour retrouver nos traces. Les organisateurs ayant choisi Béni Ouagag comme lieu de repli espèrent que l'ennemi, ignorant le recours aux mulets pour transporter du butin, jugera irréalisable de l'atteindre en si peu de temps. Le temps de se rendre compte de son erreur, nous serons déjà bien loin. Dès la tombée de la nuit, notre convoi poursuit sa route, laissant derrière lui les compagnies de région 1 et 2 à Béni Ouagag, en direction du versant sud du Djurdjura, après avoir traversé l'oued Sahel et fait passer derrière nous un troupeau de chèvres pour effacer les traces de pas laissées par notre passage. L'itinéraire emprunté a dérouté les forces ennemies mobilisées en grand nombre. Notre convoi se dirige ensuite, successivement, vers le flan sud du Djurdjura avec un premier arrêt au douar Béni M'likhech (Tazmalt), où nous avons récupéré le reste du bataillon et son chef, le lieutenant Mohand Ourabah Chaïb, puis au douar Ighram (Akbou), où il est resté deux jours, le temps d'exhiber les prisonniers à la population, puis Chellata et Ouzellaguen, pour enfin arriver, au sixième jour, dans la forêt d'Akfadou où nous sommes accueillis par le colonel Amirouche, exultant de ce coup terrible porté à l'ennemi. A chacune de nos étapes, les mulets, soulagés de leurs lourdes charges confiées au chef du village pour les dissimuler dans des caches, s'en retournent alors chez eux enfourchés fièrement par leurs propriétaires heureux d'avoir accompli leur mission. L'enlèvement du poste militaire d'El-Horane est, sans conteste, l'une des actions les plus spectaculaires réussies par l'ALN. Aujourd'hui, nous sommes persuadés que ce haut fait d'armes, réalisé par les combattants de la zone II de la Wilaya III, marquera les mémoires pour la postérité. Mais qui s'en souvient aujourd'hui en dehors des gens de la région qui ont vu ce qui s'était passé ? Qui le commémore ? Qui parle de cet acte héroïque qui a marqué nos esprits ? A. A. *Ancien syndicaliste et écrivain (1) Il sera nommé plus tard lieutenant, chef du bataillon de choc de la zone II, et tombera au champ d'honneur à 46 ans, en avril 1960, au milieu de ses djounoud dans une bataille près d'El-Kseur