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MEHRI �CRIT � BOUTEFLIKA :
�Il faut un r�gime r�ellement d�mocratique�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 17 - 02 - 2011

Au fr�re Abdelaziz Bouteflika Pr�sident de la R�publique
Je m�adresse � vous par cette lettre dans un contexte particuli�rement d�licat et dangereux en �tant conscient que seuls les liens de fraternit� et les principes qui nous ont rassembl�s durant la p�riode de la lutte pour la libert� de notre pays et son ind�pendance me donnent cet honneur ; c�est aussi ma conviction que ces liens demeurent le d�nominateur sur lequel peuvent se rencontrer les bonnes volont�s au service de notre pays et du bonheur de notre peuple. J�ai privil�gi� cette voie ouverte pour m�adresser � vous car vous occupez une position principale et prioritaire.
N�anmoins, vous n��tes pas le seul concern� par le contenu de la lettre, ni la seule partie appel�e � traiter des questions qu�elle soul�ve. J�ai tenu dans cette lettre � faire preuve de la franchise qui pr�valait dans les d�lib�rations des instances dirigeantes de la R�volution alg�rienne et qui �tait, m�me si elle d�passait parfois les limites du raisonnable, certainement pr�f�rable au silence complice ou � l�assentiment d�nu� de conviction.
Monsieur le Pr�sident
Vous �tes aujourd�hui au sommet d�un r�gime politique dont la mise en place n�est pas de votre seule responsabilit�. C�est un r�gime � l��dification duquel a particip� quiconque a assum� une part de responsabilit� publique depuis l�ind�pendance, que ce soit par son opinion, son travail ou son silence. Mais aujourd�hui, de par votre position, vous assumez, et avec vous tous ceux qui participent � la prise de d�cision, une grande responsabilit� dans la prolongation de la vie de ce r�gime qui, depuis des ann�es, est bien plus marqu� par ses aspects n�gatifs que positifs. Il en est devenu, en outre, inapte � r�soudre les �pineux probl�mes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins � le pr�parer efficacement aux d�fis de l�avenir qui sont encore plus ardus et plus graves. Le syst�me de gouvernement install� � l'ind�pendance s�est fond�, � mon avis, sur une analyse erron�e des exigences de la phase de la construction de l�Etat national. Certains dirigeants de la r�volution avaient opt�, dans le contexte de la crise que le pays a connue en 1962, pour une conception politique d�exclusion pour faire face � la phase de la construction plut�t qu�une strat�gie de rassemblement �nonc�e par la d�claration du 1er Novembre 1954. Pourtant, cette strat�gie avait pr�valu, en d�pit des divergences et des difficult�s, dans la conduite des affaires de la r�volution jusqu�� l�ind�pendance. L�exclusion est devenue, � la suite de ce choix, le trait dominant de la gestion politique et de la mani�re de traiter les divergences d�opinion. Les cercles et groupes politiques qui �taient choisis au d�but du mois �taient susceptibles d�exclusion et de marginalisation � la fin du m�me mois. Ces pratiques, qui ont contamin� m�me certains partis d�opposition, ont eu pour effet de pousser des milliers de militants � renoncer � l�action politique, de r�duire la base sociale du r�gime et de r�duire le cercle de d�cision � son sommet. Outre le fait qu�il est fond� sur l�exclusion, le r�gime a h�rit� de m�thodes et de pratiques s�cr�t�es par les conditions difficiles de la lutte de la lib�ration et les a adopt�es dans la conduite des affaires publiques apr�s l'ind�pendance. Il s�est nourri �galement d�emprunts et d�adaptations qui n�ont pas �t� fa�onn�es par le libre d�bat, ni affin�es, durant leurs �volutions, par une �valuation objective qui a �t� le grand absent dans l�exp�rience du pouvoir en Alg�rie. Plut�t qu�une �valuation critique objective du r�gime politique, on a pr�f�r� les campagnes de glorification et de d�nonciation taill�es sur mesure pour des personnes et par l�attribution de couleurs � des d�cennies, de sorte � masquer la nature du r�gime, ses pratiques et sa vraie couleur qui ne change pas malgr� le changement d�hommes. Les voix qui revendiquent le changement de ce r�gime et qui sont soucieuses qu�il advienne dans un climat de paix et de libre d�bat sont nombreuses. Les signes qui alertent sur le caract�re imp�ratif d�un tel changement sont visibles depuis des ann�es. Ils se sont encore accumul�s ces derniers mois d�une mani�re telle qu�il est impossible de les ignorer ou de reporter la r�ponse. Les �v�nements qui surviennent continuellement chez nous et qui adviennent autour de nous depuis des mois �voquent ceux que le pays a v�cus en octobre 1988 et des faits graves qui en ont d�coul�, de crise et de drames dont le peuple continue encore � avaler certaines des plus am�res potions. Les choses sont aggrav�es chez nous par le fait que le discours officiel, � des niveaux responsables, fait une lecture erron�e � sciemment ou non � des r�alit�s. Il en minimise l�importance et en nie les grandes significations politiques au pr�texte que les manifestants, chez nous, n�ont formul� aucune revendication politique. L�aspect le plus incongru de cette lecture et de cette analyse est qu�ils renvoient � l�image d�un m�decin qui attendrait de ses malades la prescription d�un rem�de ! Cette lecture erron�e de la part de plusieurs parties � avec des intentions sournoises de la part de certaines autres parties � a emp�ch�, fort regrettablement, que les v�ritables enseignements soient tir�s des �v�nements d�Octobre 1988. Elles ont permis aux adversaires du changement, � cette �poque, d��uvrer m�thodiquement au blocage des voies menant � la solution juste qui consiste � assurer le passage vers un syst�me politique r�ellement d�mocratique. Cela a fait perdre au pays, � mon avis, une opportunit� pr�cieuse de renouveler et de consolider sa marche vers le progr�s et le d�veloppement. Cette interpr�tation erron�e s��tend �galement aux �v�nements qui se d�roulent dans des pays proches, comme la Tunisie et l��gypte. Cette lecture insiste sur les diff�rences afin de rejeter les enseignements qui en d�coulent. Pourtant, ce qui est commun entre l�Alg�rie et ces pays ne se limite pas � la vague tragique de recours aux suicides par le feu, il est encore plus profond et plus grave. Ce qui est commun est la nature m�me des r�gimes ! Les syst�mes de pouvoir en �gypte, en Tunisie et en Alg�rie se pr�valent tous d�une fa�ade d�mocratique clinquante et emp�chent, en pratique et par de multiples moyens, de tr�s larges cat�gories de citoyens de participer effectivement � la gestion des affaires du pays. Cette marginalisation et cette exclusion nourrissent en permanence les ressentiments et la col�re. Elles alimentent la conviction que tout ce qui est li� au r�gime ou �mane de lui leur est �tranger ou hostile. Quand s�ajoute � ce terreau de la col�re le poids des difficult�s �conomiques, qu�elles soient durables ou conjoncturelles, les conditions de l�explosion sont r�unies. A ces facteurs communs s�ajoute le fait que la majorit� des Alg�riens consid�re que le r�gime politique chez nous n�est pas fid�le aux principes de la r�volution alg�rienne et � ses orientations et ne r�pond pas � la soif d�int�grit�, de libert�, de d�mocratie et de justice sociale pour laquelle le peuple alg�rien a sacrifi� des centaines de milliers de ses enfants. De ce qui pr�c�de, il appara�t que la question centrale qui exige un effort national global et organis� est celle de la mise en place d�un r�gime r�ellement d�mocratique, capable de r�soudre les probl�mes du pays et de le pr�parer � relever les d�fis de l�avenir. Un r�gime d�mocratique qui lib�re les larges cat�gories sociales du cercle de l�exclusion et de la marginalisation pour les faire entrer dans une citoyennet� responsable et active. Il en d�coule �galement que le changement ne viendra pas d�une d�cision du sommet isol�e du mouvement de la soci�t� et de ses interactions. Il est, au contraire, n�cessaire de faire m�rir le processus de changement et de le consolider par les initiatives multiples provenant, en toute libert�, des diff�rentes cat�gories de la soci�t�. Le peuple alg�rien qui a pris en charge, de mani�re consciente et loyale, la r�volution quand elle a �t� jet�e dans ses bras, et en a assum� la responsabilit� avec abn�gation et patience, est apte, du fait de sa profonde exp�rience, � prendre en charge l�exigence du changement d�mocratique pacifique du r�gime et � l�accompagner vers les rivages de la stabilit� et de la s�curit�. Ce changement souhait� n�cessite, selon moi, de commencer simultan�ment par les actions suivantes :
Un - Acc�l�rer la suppression et la lev�e des obstacles et des entraves qui inhibent la libert� d�expression ou la restreignent. R�unir les conditions n�cessaires permettant aux organisations et aux initiatives sociales des jeunes de la nation, ses �tudiants, ses cadres et ses �lites des diff�rents secteurs et disciplines, d�exercer leur droit naturel et constitutionnel � exprimer par tous les voies et moyens l�gaux, leurs critiques, leurs aspirations, leurs opinions et leurs propositions.
Deux - Appeler � la multiplication des initiatives populaires �manant de la soci�t� et soutenant la demande de changement pacifique autour des axes et des modalit�s suivants :
1 � Des s�minaires de dialogue rassemblant � diff�rents niveaux et dans la diversit� des courants intellectuels et politiques, des citoyens engag�s qui rejettent la violence et l'exclusion politique et qui �uvrent � identifier les similarit�s et les pr�occupations communes permettant la jonction des volont�s et des efforts pour la r�ussite du changement pacifique souhait�.
2- Des groupes d'�valuation regroupant � des niveaux diff�rents les repr�sentants de divers courants intellectuels et politiques, des sp�cialistes int�ress�s par un secteur sp�cifique de l'activit� nationale. Ils auront la charge de proc�der � une �valuation objective de ce qui a �t� accompli depuis l'ind�pendance, d�en identifier les forces et les faiblesses et de tracer des perspectives pour son d�veloppement.
3- Des amicales de solidarit� contre la corruption qui auront pour mission d��difier un barrage contre la g�n�ralisation de la corruption en sensibilisant les larges cat�gories sociales susceptibles d��tre les victimes des corrompus. Il s�agit de les amener � une position ferme contre la corruption en adoptant le slogan �nous ne payerons rien en dehors de ce que pr�voit la loi�. Cette mobilisation sociale interviendra en appui � des mesures administratives et l�gales contre la corruption.
Les centaines d'initiatives qui peuvent �clore de cet appel et se multiplier, sans �tre dict�es par le haut, seront comme des bougies qui �clairent la voie du v�ritable changement pacifique et traduisent les orientations du peuple et ses aspirations.
Trois - Etablir des ponts pour le dialogue et la concertation les plus larges avec les forces politiques pour pr�parer un Congr�s national g�n�ral qui aura pour mission :
1 - D��tablir l��valuation critique et globale du syst�me de gouvernance et de ses pratiques durant ses diff�rentes �tapes depuis l'ind�pendance et de d�terminer les t�ches, les moyens et les �tapes pour jeter les bases d�un syst�me d�mocratique et de l�Etat de droit.
2 - Prendre les mesures n�cessaires pour sortir le pays, d�finitivement, de la spirale de violence qu�il conna�t depuis vingt ans. La crise, dont les effets continuent � marquer la sc�ne politique, est la somme d'erreurs commises aussi bien par des mouvements islamiques que par les autorit�s de l'Etat dans leur traitement. Il est impossible de r�soudre la crise en traitant la moiti� de celle-ci et en occultant l�autre moiti�.
3 - Etablir une plateforme nationale sur les perspectives du d�veloppement national global et sur la pr�paration du pays � faire face aux �volutions impos�es par les changements mondiaux.
4 - Etablir une plateforme nationale sur les fondements de la politique �trang�re nationale et ses lignes g�n�rales et en premier lieu identifier les mesures permettant la r�alisation de l�union entre les pays du Maghreb.
Fr�re Pr�sident
L'Alg�rie doit c�l�brer bient�t le cinquanti�me anniversaire de son ind�pendance. Le temps qui nous s�pare de cette grandiose occasion est suffisant, selon moi, pour parvenir � un accord entre Alg�riens pour le changement pacifique souhait�. Le meilleur des pr�sents � faire � nos glorieux martyrs est que l�on c�l�bre l�anniversaire de l�ind�pendance avec un peuple alg�rien fier de son pass� et rassur� sur son avenir.
Avec ma consid�ration et mes salutations fraternelles
Abdelhamid Mehri, ancien secr�taire g�n�ral du FLN.


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