Par Ahmed Cheniki Les choses vont mal dans tous les pays arabes dirig�s d�une main de fer par des pouvoirs sans l�gitimit�, s�accordant tous les droits et suspectant tous les �peuples� depuis les ind�pendances. Fichant les uns et les autres, faisant et d�faisant tous les appareils, privatisant l�Etat et matraquant une soci�t� apeur�e, vivant l�innommable. On ne peut comprendre cette situation qu�en convoquant l�Histoire. Le passage de la p�riode coloniale � l��re post-coloniale s�est fait sans une r�elle interrogation des territoires et des structures �tatiques et institutionnelles de la colonisation, reproduisant ses discours et ses pratiques. D�ailleurs, une lecture attentive des textes et des d�clarations politiques donnent � constater de nombreuses similitudes entre les discours et les pratiques de la p�riode coloniale et ceux d�apr�s les ind�pendances. Le discours colonial est marqu� par la profusion de champs lexicaux de la r�pression et de la violence, souvent teint� de paternalisme et de m�pris � l��gard d�une foule r�duite � l��tat primaire. �Le peuple alg�rien ne sait que casser, d�truire� �, disait, il y a quelques semaines � la t�l� gouvernementale, un ministre alg�rien, avec un m�pris non dissimul�, rejoignant ainsi le discours alg�rianiste des ann�es 1920. En f�vrier 1955, un responsable colonial �crivait ceci � propos du d�clenchement de la guerre de Lib�ration nationale : �C�est une poign�e d�indig�nes ne repr�sentant gu�re l��crasante majorit�, mais il est n�anmoins reconnu que l�histoire de l�Alg�rie renferme beaucoup de violence.� Ce qui est paradoxal, c�est la reproduction du mod�le colonial o� l��l�ment militaire et l�espace policier occupent une place pr�pond�rante. L�Alg�rie, comme les autres pays arabes, ob�issent � ce sch�ma. Plus de cinquante ans plus tard se dessine un processus de red�colonisation qui semble atteindre tous les pays arabes, apr�s avoir, dans un autre contexte, permis la mise en �uvre de nouvelles attitudes et l�installation de pouvoirs plus proches de leurs peuples en Am�rique Latine. Ce mouvement est perceptible en Alg�rie, dans la relation qu�entretiennent les populations avec les pouvoirs publics interpell�s par des pronoms impersonnels ( houma, signifiant eux en fran�ais). Ce qui se passe en Tunisie et en �gypte semble passionner les foules qui se surprennent � faire un parall�le avec l�Alg�rie, fustigeant toute forme de r�pression, de corruption et de censure. Nous retrouvons paradoxalement le m�me regard port� par les colonis�s sur le corps du colonisateur, jamais nomm�. Dans les caf�s, les march�s et les lieux de travail, les gens sont extr�mement fascin�s par le combat des Tunisiens et des �gyptiens. Ce qui pr�figurerait d�s lors d�une sorte de projection sur leur propre soci�t�, s�identifiant � la foule de ces pays, frustr�s de ne pas y �tre. L�imaginaire incite les uns et les autres � se construire un univers o� ils pourraient �tre les doubles des acteurs tunisiens et �gyptiens. Contrairement � ce qui se dit dans certains cercles, ayant v�cu dans quelques pays arabes, je ne peux que relever de nombreuses similitudes entre l�Alg�rie et de nombreuses soci�t�s arabes, notamment la Tunisie, la Syrie et l��gypte. Certains responsables de ce qu�on appelle commun�ment �la coalition pr�sidentielle�, le PT et l�UGTA (ce ne sont que des sigles, tant que nous ne disposons pas de g�ographie �lectorale, compte tenu de l�absence d��lections s�rieuses), prompts � c�l�brer une illusoire nation arabe, la rejette d�s qu�il s�agit de g�rer des situations d�licates en n�arr�tant pas de crier que l�Alg�rie n�est nullement la Tunisie ou l��gypte. Cette mani�re de faire a d�j� �t� pratiqu�e par les dirigeants �gyptiens avant d��tre broy�s par cette lame de fond mettant en cause toutes les structures en place, d�nu�es de l�gitimit�. Les autorit�s y�m�nites, soudanaises et jordaniennes tentent, elles aussi, d�entreprendre quelques repl�trages, des concessions qu�elles ont r�guli�rement refus�es jusqu�� ces moments de contreviolence l�gitim�s d�ailleurs par ce d�ni d�existence des populations. Le gouvernement alg�rien se r�veille subitement et annonce la lev�e imminente (c�est-�-dire en attente, pour le moment ind�termin�e) de l��tat d�urgence et de lib�rer les m�dias en reconduisant, bien entendu, les m�mes hommes et les m�mes femmes, alors que le monde change et que les �peuples� exigent d�sormais une refondation int�grale du syst�me politique. Partout, l�id�e de la n�cessit� de la mise en place d�une Assembl�e constituante, synonyme d�une red�colonisation de la soci�t�, gagne du terrain. Ce processus est d�sormais indispensable, surtout aujourd�hui, o� le taux des populations scolaris�es est relativement �lev�, permettant aux uns et aux autres d�acqu�rir un savoir les aidant � lire les r�alit�s politiques et culturelles et � revendiquer une place r�elle dans leur soci�t�. La scolarisation et l�instruction, � c�t� de la libre information sur la Toile, sont des facteurs essentiels dans l��mergence de ce mouvement que ne semblent pas comprendre les dirigeants et les polices arabes et d�Europe, pris de vitesse par l�ampleur du mouvement et la qualit� des revendications. Les choses ne seront jamais comme avant. Ainsi, plusieurs param�tres expliquent cette situation, justifient ce changement de ton des manifestants devant l�aphonie des dirigeants. Tout commence par un groupe restreint de personnes, vite consid�r�es comme minoritaires, par les espaces m�diatiques des gouvernants, puis subitement, le groupe se transforme en une incontr�lable multitude. Aujourd�hui, en Alg�rie, les �l�ments de notre analyse nous permettent de conclure � la n�cessit� d�une profonde refondation syst�mique et � la mise en place d�une constituante, succ�dant � la dissolution de toutes les assembl�es dites �lues. 1- N�cessit� d�une red�colonisation : dans des pays comme le n�tre, c�est la rencontre tragique avec la colonisation qui nous a fait d�couvrir l�Etat au sens �moderne� du terme. Les choses s��taient faites surtout d�elles-m�mes dans la mesure o� le colonisateur consid�rait l�Alg�rie comme fran�aise et n��tait donc que le prolongement logique de la m�tropole. L�Alg�rien a fragmentairement int�rioris� les nouvelles formes de repr�sentation symbolique, mais sans souvent se d�lester de ses repr�sentations �traditionnelles �, ni interroger ces structures coloniales trop suspectes et charg�es de significations tragiques. Ce qui provoque un s�rieux probl�me et un v�ritable choc au niveau du fonctionnement des structures �tatiques apr�s l�ind�pendance, parce que, quoiqu�en disait Boumediene qui parlait sans rel�che de l��dification d�un Etat qui survivrait aux hommes et aux �v�nements, l�Etat �syncr�tique � paradoxal (lieu o� cohabitent deux attitudes dissemblables et peu compatibles, l�une ancr�e dans la culture �autochtone �, l�autre marqu�e par le regard occidental) caract�risait le fonctionnement de cette soci�t�, lieu et enjeu de comportements et de pratiques ambivalents. L�ind�pendance acquise, les nouveaux dirigeants n�ont fait finalement que remplacer ceux qui d�tenaient les postes administratifs et de pouvoir de l�appareil colonial sans chercher � red�finir les contours de cette r�alit� qui allait engendrer d�innombrables et tragiques malentendus. La gandoura se met � se prendre pour le costume-cravate de l�administrateur colonial. C�est pour cette raison que l�Etat �moderne� n�est en fin de compte qu�une cr�ation charriant, entre autres ph�nom�nes, les stigmates du discours colonial. Ainsi, la m�me relation de m�fiance des populations � l��gard des pouvoirs est rest�e vivante, m�me apr�s l�ind�pendance. Le vocabulaire utilis� par les populations sugg�re la pr�sence d�un rapport d��tranget� et d��trang�it� par rapport aux pouvoirs publics. Le discours de certains responsables depuis 1962 pourrait �tre compar� � celui des autorit�s coloniales. Jusqu�� pr�sent, tout pouvoir est per�u comme un espace de contrainte et de r�pression. Il n�est pas �tonnant que les gens cultivent une sorte de m�fiance par rapport aux espaces de pouvoir assimil�s � des lieux o� dominent corruption, passe-droit et client�lisme. Ce serait utile de consulter les d�clarations de certains ministres apr�s les derni�res �meutes et les cas de torture enregistr�s depuis 1962. C�est pour cette raison qu�un travail de red�colonisation est n�cessaire. On pensait que la fameuse commission de r�forme de l�Etat mise en place par le pr�sident actuel allait r�fl�chir sur la question, mais elle semble avoir ignor� les �l�ments essentiels d�une refondation de l�Etat et de sa red�colonisation. 2- La pr�sence trop formelle de l�Etat : l�Etat est un mythe, souvent confondu avec le chef ou le gouvernement. Ce qui correspond aux jeux d�un r�gime autocratique. L�Etat, paradoxalement d�muni de ses pr�rogatives essentielles et de certaines de ses r�gles de fonctionnement, va graduellement abandonner de nombreuses fonctions � un discours oral, manich�en, mais peu clair. Ce qui provoque de multiples malentendus et permet une sorte de confusion trop pernicieuse entre Etat et pouvoir d�Etat. Cet amalgame r�duit l�Etat � une simple fonction de police r�pressive comme si les appareils id�ologiques le constituant �taient tout simplement exclus de sa composante. L�Etat privatis�, c�est-�-dire dot� d�un pouvoir ne tirant pas son autorit� de fondements juridiques mais se confondant avec les qualit�s et les traits particuliers du chef, investit le paysage et engendre une forte et pr�judiciable distance avec les populations m�fiantes et percevant l�autorit� comme un espace trop peu cr�dible. D�o� l�usage de termes comme el-beylikou el-houkouma trop marqu�s s�mantiquement et id�ologiquement, provoquant une certaine distance. Ainsi, la Constitution, m�me s�il existe un conseil constitutionnel charg� th�oriquement de veiller � son application, ne pourrait pas, compte tenu des relations trop marqu�es par l�oralit� et les d�marches personnelles, �tre op�ratoire ni pertinente. Ce qui rend les relations institutionnelles peu claires et trop ambigu�s. Les pr�rogatives confuses des uns et des autres o� plusieurs cercles se chevauchent et s�entrechoquent ne permettent pas une s�rieuse administration de la chose publique. La profonde c�sure entre les d�tenteurs du pouvoir et la soci�t� avec ses �lites parall�les, non reconnues ou marginalis�es, est r�elle d�autant plus que les partis politiques, encore fonctionnant � leur tour comme de v�ritables tribus, ne semblent pas repr�sentatifs de la sc�ne sociale, fonctionnant toujours comme des entit�s syncr�tiques donnant � voir un Etat trop mouvant et complexe d�pouill� de l�gitimit�, donc vou� � �tre l�instrument d�une fragile l�galit�. Jamais jusqu�� pr�sent, ni l�APN ni le gouvernement ou le parti unique FLN d�avant 1988 ou les autres partis-appareils de la �coalition� (RND et Hamas ou le PT qui est un espace de cette mouvance) n�ont fonctionn� comme des lieux r�els de pouvoir ou de d�cision. Le PT, ancien groupe trotskyste, se positionne ouvertement comme une entit� du pouvoir en place. Certaines raisons d�ordre subjectif expliqueraient cette volte-face. Les assembl�es ��lues� (S�nat, APN, APW et APC) ont une existence virtuelle, consommant �norm�ment d�argent. N�es pour donner l�illusion d�une responsabilit� collective et fonctionnant pratiquement comme des espaces d�illustration du pouvoir en place, les �assembl�es �lues� ne sont pas encore int�rioris�es dans l�imaginaire populaire qui limite la responsabilit� au pr�sident et au wali assimil�s � des cheikhs de zaouias. D�ailleurs, trop peu d�Alg�riens connaissent la fonction et les pr�rogatives r�elles de telles chambres investies d�espaces illusoires de gouvernement ou de d�lib�rations et se limitant � une r�p�tition du discours officiel, s��loignant s�rieusement des jeux de la repr�sentativit� populaire. Les urnes fonctionnent comme illusion du r�el et espace de d�n�gation des marques de souverainet� du �peuple� ainsi brim� de sa citoyennet�, engendrant une profonde c�sure. Les gens ne connaissent de cette assembl�e ni d�put�s, ni s�nateurs, ni pr�sidents d�APW mais ressassent tout simplement cette question des salaires qui a tant d�cr�dibilis� une Assembl�e populaire nationale et un S�nat dont ils ignorent la fonction r�elle sauf qu�il sert parfois � caser certains anciens responsables et qu�il reproduit un sch�ma existant dans quelques pays �occidentaux �, notamment la France. Le S�nat qui donne la possibilit� au pr�sident de d�signer le tiers de ses membres �tait per�u, � l�origine, comme un espace de censure et de police pouvant bloquer un groupe majoritaire dans l�assembl�e s�il est consid�r� comme politiquement peu correct. M�me les ministres restent encore hors des sentiers de l�efficacit�. Ils sont vus comme des repr�sentants d�entit�s symboliques peu r�elles. D�ailleurs, le fonctionnement des diff�rents gouvernements confirme justement cette impression donnant � voir la structure gouvernementale comme une entit� abstraite au m�me titre que l�Etat transform� en un lieu mythique � tel point que ce sont les espaces informels qui prennent s�rieusement le dessus sur les structures formelles ou l�gales. Il faudrait savoir que le gouvernement se r�unit de mani�re tr�s irr�guli�re en Conseil des ministres, ce qui montre le peu d�int�r�t, de s�rieux et de poids accord� � cette instance. La dissolution du gouvernement actuel dont l�utilit� reste � d�montrer et son remplacement urgent par un conseil d�union ou de salut national avec des ministres se recrutant dans les espaces ext�rieurs, autonomes, repr�sentant les diff�rentes facettes de la soci�t�, en dehors de ces postures traditionnelles comme le beniouiouisme, le client�lisme et l�all�geance, est n�cessaire. Seule la comp�tence devrait primer. Il n�existe pas de structures- tampon, interm�diaires entre les hauts-lieux du gouvernement et la soci�t�. L�Etat est � red�finir. Il est urgent de dissoudre toutes les assembl�es et revoir compl�tement les diff�rentes modalit�s d��lection. Ainsi, seule une assembl�e constituante est � m�me de r�soudre la question de la l�gitimit� et de l�efficacit� de ces conseils enfin librement �lus. La l�galit� ne suffit plus. L�Etat est appel� � porter des oripeaux civils, l�arm�e pouvant jouer le r�le d�arbitre neutre, de mod�rateur, tout en entamant une v�ritable professionnalisation et une modernisation de son organisation. Comme d�ailleurs les diff�rents services de s�curit� qui se limiteraient � leur r�le consistant en la s�curit� du territoire, loin de ces enqu�tes d�habilitation qui devraient revenir � une gestion ordinaire (extraits du casier judiciaire). Le fait de vouloir contr�ler toute la soci�t� est contre-productif. Il est peut-�tre temps que certains universitaires comprennent aussi qu�il n�est pas de notre ressort de demander la nomination ou le d�gommage de telle ou telle personne dans quelque structure de s�curit� ou de l�arm�e ou ailleurs. Notre fonction devrait, certes, �tre critique, mais cela ne nous donne pas le droit de d�signer des noms pour tel ou tel poste. Un pays fort devrait aussi poss�der une arm�e et des services de contre-espionnage puissants dont l�objectif et la vocation r�sident dans la d�fense du territoire. L�Alg�rie n�a pas connu des �lections normales depuis la nuit coloniale. C�est une succession de fraudes mettant entre parenth�ses la notion de citoyennet�, exclue des trav�es de l�activit� sociale et politique. 3- La pr��minence du pr�sident et de l�arm�e : jamais, depuis l�ind�pendance, l�Alg�rie (comme d�ailleurs tous les pays arabes) n�a connu un pr�sident �lu dans les r�gles. Ce qui pose s�rieusement probl�me. Ici et dans les autres territoires arabes, le pr�sident qui se comporte en monarque n�a de compte � rendre � personne. Le pr�sident, c�est l�Etat. Tout le monde sait que le mod�le Franco reste pr�gnant dans les milieux dirigeants et notamment au sein de l�ex-EMG. Le pr�sident se trouve � la fois espace d�all�geance �traditionnelle� et lieu de pratiques �modernes�. Le cheikh et le pr�sident se mettent en concurrence. Le cheikh arrive � se substituer au pr�sident. Le pr�sident ou le cheikh est l�homme autour duquel s�articule toute la r�alit� du pouvoir. En attendant souvent les ��lections� pr�sidentielles, tout est bloqu�, tout est en attente jusqu�� l�arriv�e de cet �homme providentiel� qui a pour fonction de r�gler tous les probl�mes de la soci�t�. Une fois en place, les all�geances d�clar�es et proclam�es n�arr�tent pas de se multiplier. Le pr�sident, lui-m�me, d�couvrant des groupes de pression constitu�s de militaires et de civils influents dans et en dehors de la sph�re apparente du pouvoir, cr�e lui-m�me son propre �r�seau� constitu� de la famille et des proches. Boutros Boutros Ghali expliquait que les choses changeraient si les gens au pouvoir s�abstenaient de placer leurs fr�res, leurs cousins et leurs proches � tous les hauts postes de responsabilit�. C�est cette r�publique des cousins et des nouveaux alli�s qui d�sarticule l�Etat. Le fait qu�un responsable de �parti� en exercice, par exemple, voit des membres de sa famille pris en charge sur le plan m�dical en France, aux frais de l�Etat, ne pose-t-il pas probl�me ? Ce qui pourrait l�inciter � changer de discours. Le pouvoir dans les r�gimes pr�sidentiels autocratiques s�exerce dans l�anonymat marqu� par l�empreinte de l�entourage du pr�sident que ne connaissent que les hommes du gouvernement et les proches du s�rail. Ces hommes n�ont aucune l�gitimit�, mais ce sont souvent eux qui d�tiennent les v�ritables leviers de la d�cision � tel point qu�on se pose parfois des questions sur la place et les fonctions du gouvernement. Ils d�tiennent le pouvoir du seul lien avec le Pr�sident qui n�arr�te pas de s�emparer de dossiers du gouvernement pour les soumettre � une de ses �quipes pour les traiter comme d�ailleurs les fameuses commissions sur la r�forme de la justice et de l��cole, la nomination des recteurs, des magistrats, des walis, des ambassadeurs� Le pr�sident est le centre du pouvoir. Le cousin, le fr�re ou le fils sont les lieux centraux de la �r�publique monarchique�. Cette pratique n�est pas nouvelle, elle traverse toute la soci�t� depuis l�ind�pendance. Les nominations � des postes de responsabilit� ob�issent toujours � des consid�rations claniques, familiales et client�listes � tel point que le pays se retrouve r�gent� pour reprendre Bouteflika par dix personnes et Ben Bella qui parle de trente Borgeaud. 4 - Les partis politiques, le syndicat et les associations � caract�re social et culturel : n�s ou l�galis�s durant une p�riode particuli�re, apr�s les �v�nements d�Octobre 1988 o� les uns et les autres, dans les cercles de gouvernement faisaient et d�faisaient les textes en fonction de leurs calculs, ces instances partisanes sont souvent r�duites � de simples appareils, � tel point qu�on se pose des questions sur les conditions pr�sidant � leur naissance dans un pays o� il n�y a jamais eu d��lections libres depuis la nuit coloniale. C�est pour cette raison justement qu�il faudrait revoir profond�ment l�appareil l�gislatif tout en prenant la d�cision, une fois pour toutes, de rendre les sigles FLN et UGTA � l�histoire, patrimoine commun. Cette confiscation des symboles de la glorieuse lutte de lib�ration par les nouveaux dirigeants de l�Alg�rie apr�s 1962 est un d�ni de l�histoire, les premiers dirigeants du FLN historique avaient promis la restitution de tous les sigles, une fois l�ind�pendance acquise, le FLN devenant un espace commun que personne ne devrait reprendre � son profit. Le mouvement associatif reste trop marqu� par sa d�pendance. Le parti fonctionne comme une petite tribu, le chef ne change jamais, il est ind�boulonnable, les exemples de Louisa Hanoune, Sa�d Sadi, Touati et d�A�t Ahmed sont patents. Leur audience semble limit�e : la derni�re marche du 12 f�vrier aurait perdu en force et en nombre, selon de nombreux �chos, � cause de la pr�sence trop envahissante de Sa�d Sadi et du RCD (si�geant encore � l�APN !!!) qui auraient pu soutenir cette initiative sans trop chercher � se l�accaparer. 5 - Les jeux m�diatiques, la pens�e unique et l�exclusion de la soci�t� : jamais l�Alg�rie n�a connu une v�ritable libert� de presse et d�expression. Parce que parler ne veut rien dire. Quand le dire n�est pas pris en consid�ration, il c�toie le vide. C�est vrai que les journaux priv�s, dont les contours restent encore � d�finir, critiquent diff�rents pouvoirs tout en restant paradoxalement prisonniers de l�institutionnel et de la fascination des cercles des diff�rents pouvoirs. Certaines exp�riences au temps des dictatures de Ben Bella, de Boumediene ou de Chadli �taient paradoxalement beaucoup plus ouvertes, sauf que depuis l�ind�pendance, m�pris ou fausse condescendance, aucun dirigeant supr�me de ce pays n�a accord� d�interview � un journaliste alg�rien. Selon les dirigeants alg�riens qui voudraient tout r�genter, les m�dias lourds ne devraient pas fonctionner de mani�re autonome, le �peuple� ne serait pas m�r, seuls les chefs ont le droit de d�cider du niveau de maturit� de leurs populations. Profond foss� entre dirigeants et soci�t� profonde condamn�e � une compl�te aphonie. Les journaux de la presse gouvernementale sont les plus pauvres du pays, � tirage trop r�duit, mais b�n�ficiant paradoxalement de plusieurs pages de publicit�, offertes par les autorit�s � contre-courant de la logique �conomique. La t�l�vision, la radio et les organes de la presse �crite sont autant de lieux d�articulation d�un discours univoque, prenant en charge une parole du gouvernement se conjuguant au futur ant�rieur. Ce que nous a montr� l�ENTV apr�s la marche du 12 f�vrier est le summum d�une mauvaise manipulation qui pousse encore � plus de mobilisation des foules contre ceux qui privatisent l�Etat et la t�l�vision. Le t�l�spectateur a l�impression de regarder ainsi la t�l� du temps de Ben Ali et Moubarak. La contradiction vient heureusement d�Al Jazeera et des cha�nes europ�ennes et am�ricaines qui, elles aussi, usent de l�image. Mais �galement des NTIC. La t�l�vision et la radio du gouvernement sont surpris en flagrant d�lit de mensonge. Une imagechoc, c�est celle de la rencontre de deux hommes diff�rents, de deux itin�raires parall�les, Sa�d Sadi et Ali Benhadj, repr�sentant deux discours, mais qui ont compris que le combat pour la red�colonisation de l�Alg�rie est le m�me. C�est vrai qu�ils ont connu les affres des ge�les ensemble. Plus d�exclusion. L�ind�pendance est � recouvrer r�ellement en impliquant tous les Alg�riens, de tous les bords. L��pouvantail islamiste ne fait plus recette. C�est le sens de ce message. Toute exclusion est contre-productive. L�Alg�rie devrait appartenir � tous les Alg�riens. Les exemples �gyptien et tunisien sont extraordinaires : les islamistes c�toient les la�cs, les lib�raux se frottent aux socialistes, les Oranais dialoguent avec les Kabyles qui rencontrent les Constantinois� Aujourd�hui, avec la parabole, Internet (Facebook, Twitter�) et les nouvelles technologies de l�information, l�Alg�rien regarde le monde en direct, tout en ayant la possibilit� de pr�senter sa v�ritable image. Ainsi, l�infra-citoyen se donne la possibilit� d�une certaine autonomie, produisant son propre discours d�sacralisant la parole des diff�rents pouvoirs. L�Alg�rien retrouve des r�flexes patriotiques, � l�origine du discours de la guerre de Lib�ration. La peur commence, surtout, avec les progr�s de l��ducation, � dispara�tre. Eduqu�, il sait. Il comprend mal comment les membres de la nomenklatura et leurs familles se soignent � l��tranger alors qu�eux moisissent dans des h�pitaux-mouroirs et comment leurs enfants �tudient ici dans des conditions lamentables alors que les enfants de nombreux ministres sont � l��tranger. Se soigner � l��tranger pour un responsable, c�est tout simplement un grave constat d��chec. Comment peut-on administrer un pays avec des responsables qui m�prisent les structures de ce territoire, reconnaissant ainsi l��chec patent de leur gestion ? Le jeu de la latence permet le r�veil d�attitudes, de r�miniscences et d�agressions enfouies qui se lib�rent vite au contact de la foule ou d�une ultime injustice. A la poste, dans les bus et ailleurs, les jeunes et les moins jeunes expriment leur m�contentement, leur d�sillusion, et r�v�lent la longue distance les s�parant des pouvoirs en place qui devraient entamer une pacifique transition vers le changement. On retrouve les m�mes pr�occupations chez de nombreux Alg�riens, ceux qui usent des �meutes et ceux qui marchent. Ayant v�cu dans quelques pays arabes, y compris la Tunisie, je retrouve les m�mes gestes et les m�mes attitudes enfouies, attendant le moment propice pour une �ventuelle transformation. 6 - La l�gitimit�, la r�pression et les jeux exquis de la corruption : la rente p�troli�re reste l�espace fondamental caract�risant les territoires peu am�nes de l��conomie alg�rienne. Les app�tits sont tellement gargantuesques qu�on a pris la d�cision de vendre la Sonatrach, c�est-�-dire l�Alg�rie, avec l�assentiment d���lus� qui, sans l�intervention de dirigeants �trangers, aurait �t� broy�e par les Am�ricains. Le �scandale de la Sonatrach de cette ann�e est une affaire ordinaire. La corruption est la chose la mieux partag�e par quelques-uns qui se dissimulent derri�re ce slogan tendancieux et dangereux : �Tous pourris�, � tel point que le ministre de la justice, r�pondant � une question sur la composante de la �commission anti-corruption�, avait cru bon de dire que le pr�sident n�avait pas trouv� 5 ou 6 hommes int�gres. Grave dans la mesure o� il r�duit l�Etat � un conglom�rat de personnes gravitant autour du pr�sident, excluant du coup la multitude et les �lites �loign�es des jeux de la corruption et du pouvoir. Cette privatisation de l�Etat est l�espace privil�gi� d�une absence tragique de l�gitimit�. La corruption est devenue monnaie courante. Chose importante : le gouvernement risquerait d�abroger le texte obligeant un investisseur �tranger � s�adjoindre des Alg�riens � raison de 51%. La m�me loi existait en Tunisie et en �gypte avant la chute de Ben Ali et de Moubarak. Ce qui favorisait la corruption. La l�galit� suppl�e la l�gitimit�. La mosqu�e est carr�ment d�vi�e de son objectif religieux par les pouvoirs publics qui font de l�imam un porte-voix du minist�re des Affaires religieuses, prenant le risque de diviser les fid�les. Derni�rement, lors des pr�ches t�l�guid�s d�Alger, fustigeant la marche du 12 f�vrier, de nombreux fid�les ont quitt� la mosqu�e pour aller prier ailleurs. Le gouvernement devrait �viter de continuer � instrumenter la mosqu�e (qui est un lieu commun de tous les croyants) et la parole de Dieu le Tout- Puissant � son profit contre une partie de la soci�t�. Les choses ne semblent pas si simples, m�me si pour tous les partis politiques et les observateurs de la vie publique nationale, la corruption demeure le mal fondamental qui ronge notre soci�t�. Ce ph�nom�ne n�est pas r�cent dans notre pays. D�j�, au temps de la colonisation, l�administration proposait des privil�ges contre de l�argent ou des biens de consommation. Mais bien avant l�occupation fran�aise, la corruption marquait le quotidien. Chez nous, la colonisation n�a pas arrang� les choses en en faisant une v�ritable ligne de conduite. Juste apr�s l�ind�pendance, certains avaient commenc� � marchander pour occuper des �biens vacants�. C��tait la belle aubaine. Certes, les moyens n��taient pas cons�quents, mais d�j�, on entamait le jeu de la d�brouille qu�une soci�t�, trop rurale, marqu�e par des habitudes peu commodes, acceptait facilement. Et au lendemain de l�ind�pendance, certains responsables grossissaient � vue d��il � tel point qu�on avait parl� de trafic et de vol du fameux �sandouk ettadamoun�. Ainsi, la corruption inaugurait une Alg�rie d�livr�e de la colonisation. Les situations de rente li�es au jeu de la corruption favorisent l�av�nement d��intellectuels � du pouvoir, participant de toutes les zerdas-festivals organis�es par le minist�re de la Culture, gaspillant des dizaines de millions d�euros et des centaines de millions de dinars. Les membres de la squelettique �Union des �crivains� et bien d�autres artistes et �crivains comme Rachedi, Laaredj, Bagtache, Boudjedra� se positionnent apparemment dans cette direction. Apr�s �L�ann�e de l�Alg�rie en France�, �Alger, capitale de la culture arabe� et le Panaf, c�est autour de �Tlemcen, capitale islamique� qui va consommer des milliards sans aucun b�n�fice symbolique ou mat�riel. On joue encore avec l�argent public pour des festivit�s trop peu b�n�fiques, mais qui pourraient rapporter gros � certains. Au moment o� les espaces culturels sont en d�ficit chronique, le minist�re de la Culture se permet de f�ter l�absence avec l�argent public, g�n�reusement d�pens� pour des actions trop peu rentables sur le plan culturel. 7 - Les mots volubiles du discours politique alg�rien : les jeux de simulacre du langage politique et l�absence d��conomie linguistique traversent la communication des responsables politiques usant souvent de termes et d�expressions redondants. Cette inflation de formules r�p�titives exprimerait un s�rieux d�ficit en mati�re de gestion de la vie courante et mettrait en lumi�re l�absence de perspectives et de projets concrets. La multiplication de clich�s et de st�r�otypes t�moignerait de la d�route du langage et d�une parcellisation du territoire de la culture de l�ordinaire trop marqu�e par une s�rie de r�sistances mettant en sc�ne la pr�sence de plusieurs Alg�rie s�excluant les unes les autres. Le discours des membres du gouvernement et de leur relais principal, la t�l�vision, est marqu� par une absence presque totale du �dit� et du �dire� au profit d�une �parole� bavarde qui nie toute relation avec une soci�t� et une autre Alg�rie, profonde et manquant tragiquement d�espaces de repr�sentation l�gitimes. Ainsi, nous sommes en pr�sence de champs lexicaux s�entrechoquant et s�opposant continuellement, refl�tant cette profonde c�sure caract�risant la soci�t� profonde trop �loign�e des bruits de parole de gouvernants employant � profusion le futur ant�rieur comme espace de justification d�une ambigu�t� et d�une ambivalence servant paradoxalement d�outil de gestion et r�p�tant � outrance des mots vid�s, � force d��tre rab�ch�s, de leur sens originel. Les diff�rents gouvernants, depuis l�ind�pendance, ont sign� des milliers de textes qui, souvent, sont produits en fonction des humeurs et des r�glements de compte du moment. Les analogies linguistiques et langagi�res sont frappantes � tel point qu�on se dit qu�on a uniquement reproduit les �papiers� de cette p�riode. Les titres, les �attaques� (le d�but), les �chutes� (la fin) et les arguments sont identiques. Le discours politique ne se renouvelle pas, malgr� les changements et les traumatismes subis par la soci�t�. La d�mocratie est, dans ce contexte particulier, semblable � un moulin de paroles. Le grand linguiste am�ricain Noam Chomsky a raison de d�finir ainsi la d�mocratie : �Une caract�ristique des termes du discours politique, c�est qu�ils sont g�n�ralement � double sens. L�un est le sens que l�on trouve dans le dictionnaire, et l�autre est un sens dont la fonction est de servir le pouvoir � c�est le sens doctrinal. Prenez le mot d�mocratie. Si l�on s�en tient au sens commun du terme, une soci�t� est d�mocratique dans la mesure o� les gens qui la constituent peuvent participer de fa�on concr�te � la gestion de leurs affaires. Mais le sens doctrinal de d�mocratie est diff�rent � il d�signe un syst�me dans lequel les d�cisions sont prises par certains secteurs de la communaut� des affaires et des �lites qui s�y rattachent. Le peuple n�y est qu�un �spectateur de l�action� et non pas un �participant� comme l�ont expliqu� d��minents th�oriciens de la d�mocratie (dans ce cas, Walter Lippmann). Les citoyens ont le droit de ratifier les d�cisions prises par leurs �lites et de pr�ter leur soutien � l�un ou l�autre de leurs membres, mais pas celui de s�occuper de ces questions � comme par exemple l��laboration des politiques d�ordre public � qui ne sont aucunement de leur ressort. Lorsque certaines tranches du peuple sortent de leur apathie et commencent � s�organiser et � se lancer dans l�ar�ne publique, ce n�est plus de la d�mocratie.� La situation actuelle n�cessite la mise en �uvre d�une s�rieuse refondation politique permettant une v�ritable red�colonisation d�un pays trop pi�g� par les attitudes autoritaires et les jeux d�all�geance. L�Alg�rie devrait redevenir la terre de tous les Alg�riens. C�est pour cette raison que toute exclusion est mortelle. C�est peut-�tre le moment d�entamer la construction de la premi�re v�ritable r�publique, avec comme point nodal la mise en �uvre d�une Assembl�e constituante, pr�lude � des �lections r�elles et � un retour de l��lan patriotique.